Rhopalapion longirostre

Si vous avez des roses trémières chez vous ou près de chez vous, vous êtes pratiquement assurés de pouvoir y observer le minuscule charançon évoqué dans ce titre : l’apion des roses trémières. Certes, il faut regarder de près car cet insecte est petit mais comme il est abondant, il reste une petite bête facile à observer. Cette chronique va présenter son portrait et son cycle de vie étroitement associé à la rose trémière. Pour bien comprendre cette chronique, cela suppose d’être un peu familier avec la plante hôte sur laquelle il vit en permanence ; aussi, nous conseillons de d’abord lire (ou relire) la chronique consacrée à la rose trémière et à ses fleurs .

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Une tête emmanchée d’un long bec

Comme il est dit dans l’introduction, ce charançon (comme beaucoup de ses innombrables congénères de la superfamille des Curculionidés au sein des Coléoptères) appartient au monde des petites bêtes que, souvent, nous laissons de côté en disant « ils se ressemblent tous ». Ce n’est pas son cas car les femelles au moins se distinguent très nettement par un très long « bec courbé», fin et lisse, qui prolonge leur corps en avant, doublant au passage la longueur de celui-ci (2,4 à 3,4mm) : il s’agit d’un organe typique de la famille des charançons, le rostre. Il prolonge la partie frontale de la tête et en possède la même dureté. Il porte tout au bout les pièces buccales (mandibules, mâchoires et palpes). A mi-parcours de ce long rostre, se détache une paire d’antennes droites, formées de onze articles dont le terminal un peu en massue. Chez les mâles plus petits, le rostre est trapu, court (un peu plus long que la tête seulement), densément couvert de soies et de pores minuscules (à la loupe !).

 

Pour le reste, ce charançon porte une livrée gris cendre avec un revêtement de fines soies claires formant des lignes serrées sur tout le corps, notamment sur les élytres, les ailes dures qui couvrent son dos ; la forme générale est ovale allongée. On notera les deux gros yeux de chaque côté de la tête, à la base du « grand nez » et les pattes orangées avec les articles terminaux (les tarses) sombres.

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Femelle vue de dessus

Envahisseur sympa

Ce charançon est apparu en France il y a une quarantaine d’années, observé d’abord dans le couloir rhodanien et le Midi où il s’est répandu dans les années 1980 avant de se propager partout, suivant fidèlement sa plante hôte, une des ornementales les plus cultivées. Il progresse de même dans toute l’Europe et atteint la Pologne vers le nord au moins. Son origine reste incertaine mais se situe sans doute vers l’Asie mineure au Proche-Orient où vivent naturellement plusieurs espèces de roses trémières proches de celle cultivée. De même, il a suivi la rose trémière en Amérique du nord où elle est aussi cultivée.

Sa propagation rapide et généralisée s’explique sans doute d’une part par le réchauffement global en cours mais aussi et surtout par l’urbanisation croissante et ses jardins qui constituent autant de relais et d’ilots de colonisation pour notre apion. Contrairement à ses apparences de scarabée, il vole très bien et peut donc coloniser de nouveaux sites de proche en proche. Les échanges de graines entre particuliers ont du favoriser son expansion mais le facteur clé reste son succès reproductif important comme nous allons le voir en détaillant son cycle de vie.

Tandems

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Couple en début d’accouplement ; noter la différence de taille entre le mâle dessus et la femelle

L’insecte est visible à partir de mai (dès avril dans le sud) quand les inflorescences des roses trémières commencent à afficher leurs premiers boutons floraux sur leurs longues hampes. C’est là précisément que va se concentrer la vie de ce charançon. Et très vite, on observe les premiers accouplements : les femelles au long rostre portent sur leur dos, les petits mâles au rostre court cramponnés sur l’arrière bombé des élytres. Ces tandems affairés à leurs ébats copulatoires se déplacent sur les inflorescences : la femelle cherche un site favorable sur un bouton floral en tournant à la base de celui-ci. Quand son choix est fait, elle entame, le mâle toujours sur son dos, un travail de forage pour percer à travers le double calice épais et hérissé de soies (voir la chronique sur la rose trémière) un tunnel de ponte. Elle utilise pour cela son long rostre avec les pièces buccales au bout qui creusent à la manière d’un trépan pour les forages pétroliers. Elle enfonce progressivement son long rostre jusqu’au niveau de ses yeux. Elle tourne la tête pour mieux forer tout en avalant les tissus arrachés à l’avant par son pharynx. Au passage, elle doit replier vers l’arrière ses antennes qui gênent : le premier article basal de celle-ci, un peu allongé, permet aux antennes de se rabattre dans un sillon le long du rostre, en amont de l’antenne. La fonction principale du long rostre de la femelle est donc bien de percer le bouton floral particulièrement protégé et de permettre la reproduction et donc le succès de l’espèce.

Asticots

Le but de la femelle est d’atteindre le cœur du bouton floral caché sous le double calice replié autour : là se trouvent les ovules, les futures graines de la plante, le graal du charançon pour nourrir ses futures larves. Une fois ce forage laborieux accompli, la femelle retire son rostre, se retourne et insère dans le tunnel creusé l’extrémité de son abdomen qui porte l’organe de ponte ou ovipositeur allongé. Elle dépose alors 3 ou 4 œufs dans le bouton.

L’éclosion a lieu quelques jours plus tard, donnant naissance à des larves sans pattes, comme des asticots blancs d’un demi-millimètre de long. Si le trou de ponte a été percé dans le haut du bouton, la ou les larves se nourrissent au début des grains de pollen des étamines déjà formées ; si le trou est plus bas, elles se nourrissent des tissus mous du réceptacle. Rapidement, tout en commençant leur croissance par mues successives, elles creusent en direction des loges de l’ovaire où les ovules entament leur développement ; elles mordent à l’aide de leurs mandibules dentées pour progresser et se nourrir. Quand les ovules sont devenus des graines (après la fécondation, la fanaison et la chute de la corolle : voir la chronique sur la rose trémière), chaque larve choisit un des akènes du « fromage » formant le schizocarpe (fruit composé de dizaine d’akènes en croissant) et pénètre à l’intérieur pour en dévorer le contenu chargé de réserves nutritives et achever son développement (en un mois à un mois et demi au total).

Nymphose

Quand la larve a terminé son œuvre, l’akène s’est durci et est devenu sec. Avant de se transformer en chrysalide ou nymphe, la larve perce un trou, le plus souvent dans la gorge en creux de l’akène et l’obture ensuite avec un bouchon de sécrétion régurgitée. Elle prépare ainsi la sortie du futur adulte à naître. La larve se métamorphose en nymphe d’abord blanche qui va rester immobile pendant deux à trois semaines. Elle brunit au niveau du rostre et des élytres.

L’éclosion et l’émergence des adultes restent assez laborieuses et durent plusieurs jours. L’adulte ronge le bouchon qui ferme l’orifice ménagé par la larve ; il sort d’abord le rostre et peine à s’extirper en s’appuyant ses pattes avant sur le rebord. Dans ce processus, un certain nombre de femelles, handicapées par leur rostre encombrant, ne réussissent pas à sortir et meurent dans l’akène. Leur mortalité à l’émergence est nettement plus élevée que celle des mâles. Comme quoi, la phrase agaçante sans cesse répétée dans les médias « la nature est bien faite » ou « la nature fait bien les choses » n’a aucune valeur scientifique au regard de l’évolution et véhicule même quelques relents créationnistes !

Précision

Les femelles choisissent de préférence les boutons floraux au milieu de l’inflorescence en cours de développement ; ceux-ci ne fleuriront pas avant deux semaines ce qui laisse le temps à la larve de commencer son développement aux dépens d’autres tissus de la plante et de l’achever au pic de sa croissance quand les graines sont mûres dans les akènes. Les larves disposent ainsi de ces deux semaines pour atteindre l’ovaire avant que la corolle ne tombe d’un bloc et ne le mette ainsi à nu.

Quand une femelle est la première à percer un bouton donné, elle le choisit toujours du côté éclairé le matin par le soleil ce qui lui permet d’ajuster précisément son timing car l’éclosion des boutons dépend évidemment de leur éclairage et réchauffement par le soleil ! En principe, peu de femelles pondent dans le même bouton ; si c’est le cas, les trous sont creusés largement espacés ce qui doit éviter la compétition entre futures larves.

Comme l’inflorescence de la rose trémière est très longue et se développe très graduellement, l’offre de boutons ad hoc s’étale sur une longue période et des pontes ont lieu jusqu’à fin août. De ce fait, l’émergence des nouveaux adultes s’étale de la mi-août à fin octobre s’il n’y a pas eu de gelées. Il se pourrait que dans les régions chaudes, il y a ait deux générations annuelles successives.

La génération d’adultes va hiberner au sol et ressortir au printemps.

Qu’en dit l’hôte ?

On a beaucoup parlé du charançon et sa survie, mais qu’en est-il du côté de la rose trémière, hôte bien malgré elle de ce prédateur de graines. Chaque inflorescence peut porter jusqu’à cinquante boutons floraux successifs ; chacun d’eux peut produire jusqu’à une quarantaine d’akènes avec chacun une graine. Or, des relevés montrent que « seulement » 30% des graines seraient infestées et dévorées, donc perdues du point de vue de la plante et de son potentiel de reproduction. Extérieurement, il est facile d’évaluer les dégâts en automne quand les fruits sont mûrs : les akènes parasités du « fromage » portent un trou bien visible vers leur sommet par où est sorti l’adulte (ou bien celui-ci est mort à l’intérieur s’il n’a pas réussi).

Comme la graine n’est dévorée qu’en fin de cycle (voir ci-dessus) cela n’affecte pas l’ensemble du fruit et ne gêne pas son développement global : les autres akènes non infestés seront viables ; la fleur a pu se déployer, attirer des insectes pollinisateurs qui ont participé aux échanges de pollen avec les autres. Donc, en pratique, la présence de ce charançon ne pose guère de problème pour la survie des roses trémières et la production de graines. Pas besoin, comme l’affirment certains « conseillers » zélés et adeptes du gazage chimique tous azimuts sur des sites web de jardinage, de traiter et d’ajouter un nouveau pesticide de plus notre environnement déjà bien gâté à ce niveau ! Profitez en plutôt pour observer le manège de ces adorables charançons dont nous aurons l’occasion de découvrir (voir la chronique) d’autres aspects fascinants notamment quant au pourquoi de la présence de rostre aussi long et aussi différent entre les deux sexes. Une superbe leçon d’évolution en direct !

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BIBLIOGRAPHIE

  1. Sexual dimorphism in head structures of the weevil Rhopalapion longirostre : a response to ecological demands of egg deposition. G. WILHELM et al. Biological Journal of the Linnean Society, 2011, 104, 642–660.
  2. Fitness components in the relationship between
 Rhopalapion longirostre and Alcea rosea (Malvaceae).
 Analysis of infestation balance of a herbivorous weevil and its host plant. Gertha Wilhelm et al.. Bonn zoological Bulletin ; Volume 57 ; pp. 55–64 ; 2010
  3. Selection becomes visible: enforced sexual dimorphism caused by sexual selection in the weevil Rhopalapion longirostre. G. WILHELM, et al.. Biological Journal of the Linnean Society, 2015, 115, 38–47.
  4. Quelques observations sur la biologie de Rhopalapion longirostre (Coleoptera, Curculionidae, Apioninae). In: Bulletin mensuel de la Société linnéenne de Lyon, 66e année, n°2, février 1997. pp. 45-56

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la rose trémière
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