Ailanthus altissima

L’ailante, espèce exotique introduite, est devenu très envahissant dans nombre de milieux forestiers ou urbains grâce entre autres à sa capacité de dispersion à partir d’arbres plantés le long des routes ou des avenues. Ses fruits ailés très légers en forme d’hélice tordue, des samares (voir la chronique consacrée au fonctionnement de celles ci), possèdent de toute évidence les qualités requises pour une dispersion par le vent lors de leur chute plus ou moins tourbillonnante depuis l’arbre porteur ; effectivement, sur le terrain, on observe une telle dispersion avec l’installation de jeunes arbres dans des microsites improbables notamment en ville. Cependant, les études donnent une dispersion maximale de l’ordre de 200m avec le vent et encore cela ne concerne t’il qu’une partie des fruits emportés.

L’ailante ne s’est guère jusqu’alors implanté dans les milieux riverains des cours d’eau, corridors naturels idéals pour une dispersion à longue distance, contrairement à d’autres envahisseurs comme l’érable négondo, doté lui aussi de samares. Néanmoins, ponctuellement, on observe des ailantes isolés apparus spontanément çà et là le long de cours d’eau loin de centres urbains où sont plantés des arbres reproducteurs.

D’où la question posée par deux études récentes : les voies d’eau ne seraient elles pas ou ne pourraient elles pas devenir des voies privilégiées de dispersion à longue distance des fruits de l’ailante et lui fournir un nouvel élan dans son expansion. La première étude a consisté en expériences en laboratoire (samares placées dans des bassins artificiels et soumises à différents traitements puis testées en germination) alors que la seconde s’est faite sur le terrain au bord d’un lac et d’une rivière en marquant les fruits pour suivre leur destinée. Pour évaluer la réalité et l’efficacité d’un transport par l’eau (hydrochorie), il faut tester deux aspects : la capacité des fruits à flotter et à être ainsi transportés et la capacité à germer après un séjour dans l’eau.

ailante-panoramaripi

Exemple de corridor fluvial : la rivière Allier bordée de ripisylve sur les deux berges.

Et vogue la samare

La légèreté des fruits de l’ailante (30 +/- 3,5 mg) et leur forme aplatie en aile rigide, adaptées a priori au transport par le vent, les prédisposent tout autant à flotter sur l’eau. Sur l’eau calme d’un lac, ces fruits peuvent effectivement flotter pendant près d’un mois ; dans l’eau agitée d’une rivière en crue, ils conservent leur flottabilité au moins 24 heures. En bassin artificiel, 81% des fruits déposés à la surface flottaient toujours après 20 jours. Cela dit, même les fruits submergés après avoir coulé peuvent aussi être transportés par une rivière en crue.

Dans l’étude (2), sur 10 000 fruits marqués à la peinture jaune et jetés au bord d’une rivière, 565 ont été retrouvés échoués dans les 24 heures sur les 8 km de berges recensées en aval du point de lâcher ; ils avaient en moyenne parcouru 4km avec un maximum observé de 6,8 km. Dans une autre expérimentation, on a obtenu un « record » de 7,2km en 4 heures !

Donc, potentiellement, la dispersion par l’eau est bien une possibilité très intéressante pour l’implantation de l’ailante dans de nouveaux sites en autorisant des transports à longue distance. Mais, tout cela n’a d’intérêt que si la capacité à germer des graines contenues dans les fruits ainsi transportés est au minimum conservée : qu’en est-il ?

Même pas peur de se mouiller !

En bassin artificiel, les graines des fruits laissés 3 jours à la surface de l’eau germent à 87% contre 53% pour des fruits au sol ! Au bout de 10 jours de flottaison, les chiffres restent presque identiques ; on n’observe une baisse qu’au bout de 20 jours. Même des fruits submergés voient leurs graines conserver une bonne capacité de germination. Globalement, sur le terrain, (2), les graines des fruits ayant séjourné dans l’eau (soit en flottant; soit submergées) ont une capacité de germination en moyenne de 15% supérieure à celle de fruits restés au sol ; les auteurs invoquent entre autres l’action possible du froid (l’ailante étant d’origine exotique) plus marquée en milieu terrestre.

Comme de toutes façons, le transport par une rivière en crue a toutes les chances de ne durer que très peu de temps avant un dépôt sur une berge, on voit donc que le passage par l’eau fournit même un avantage en augmentant la capacité à germer et donc à occuper le nouveau milieu face à des compétiteurs.

Cependant, toutes ces données n’ont pas beaucoup de sens sachant que les ailantes ne fréquentent (pour l’instant en tout cas) guère les berges immédiates des cours d’eau.

Même pas besoin d’être juste au bord

Le long d’une rivière des USA, les chercheurs (2) ont recensé 33 ailantes femelles (espèce à sexes séparés où seuls les arbres femelles produisent des fruits) sur 1 km de long et 100m de large et poussant en moyenne à 27m du bord. 18% des fruits produits par des arbres situés à moins de 20m du bord partent directement à la rivière ; on passe à 3,5% pour des arbres à 50 mètres du bord. Mais il faut ramener ces pourcentages à la quantité impressionnante de fruits produits ; une estimation donne ainsi pour ce lieu, un apport direct à l’eau de 62 000 fruits par an et par km de rivière !

Ces chiffres ne tiennent pas compte en plus de la dispersion secondaire au sol (voir chronique sur les samares de l’ailante) : une fois au sol, les samares peuvent être redéplacées par l’eau ou le vent et ainsi atteindre indirectement la rivière.

On voit donc que, potentiellement au moins, les voies d’eau représentent pour l’ailante une seconde opportunité très efficace d’expansion en autorisant des évènements suffisamment nombreux de dispersion à longue distance pouvant être suivi d’une germination effective. Si cette possibilité avait été aussi longtemps oubliée, c’est à cause de notre propension à catégoriser le mode de transport des fruits en fonction des caractéristiques morphologiques : des fruits ailés c’est forcément « fait que pour voler » ! Ce finalisme de l’esprit occulte les autres possibilités dont celle du transport par l’eau aux modalités certes différentes mais aux conséquences non moins réelles

Çà change quoi en pratique ?

Dans la perspective du changement climatique, les températures à la hausse risquent favoriser le maintien de l’ailante dans les milieux déjà conquis ; l’augmentation induite des accidents météorologiques violents comme les fortes précipitations y compris en été pourraient faciliter la dispersion à longue distance par l’eau. Les fruits des ailantes peuvent rester très longtemps accrochés sur l’arbre : certaines années, tous les fruits sont tombés en février, mais d’autres années (y a t’il un lien avec les températures hivernales douces ?), 60% des fruits restent jusqu’en mai voire août de l’année suivante : autant d’opportunités en plus d’être arrachés lors d’une tempête ou coup de vent et d’atterrir dans une rivière en fortes eaux ! De plus, les milieux riverains connaissent de plus en plus de perturbations liées aux activités humaines qui créent de nouveaux « vides » très favorables à l’implantation d’espèces pionnières comme l’ailante.

ailante-fruitspersis

Ailante encore couvert de fruits mûrs en plein hiver dans un parc.

On pourrait donc prédire une future invasion de l’ailante dans les milieux riverains des cours d’eau jusqu’alors en grande partie épargnés, d’autant que les fragments de tiges cassés peuvent aussi être transportés et redonner de manière végétative de nouveaux individus ! Et à partir de là, il pourrait aussi conquérir de nouveaux territoires en progressant côté « terre » cette fois grâce au vent.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Water dispersal as an additional pathway to invasions by the primarily wind-dispersed tree Ailanthus altissima. Ingo Kowarik ; Ina Saümel. Plant Ecol. 2008.
  2. Seed Viability and Dispersal of the Wind-Dispersed Invasive Ailanthus altissima in Aqueous Environments. Matthew A. Kaproth and James B. McGraw. Forest Science 54(5) 2008
  3. Biological flora of Central Europe: Ailanthus altissima (Mill.) Swingle Ingo Kowarik, Ina Saümel. Perspectives in Plant Ecology, Evolution and Systematics 8 (2007) 207–237.

 

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez l'ailante
Page(s) : 106 Guide des fruits sauvages : Fruits secs
Retrouvez l'ailante
Page(s) : 25 Le guide de la nature en ville
retrouvez l'érable négondo
Page(s) : 126 Guide des fruits sauvages : Fruits secs