Alliaria petiolata

L’alliaire a été introduite aux U.S.A. où elle est devenue une plante invasive majeure en milieu forestier. Parmi les caractéristiques permettant d’expliquer son succès envahissant, on a repéré notamment son aptitude à inhiber ou détruire les champignons du sol qui entretiennent des relations mutualistes avec de nombreuses plantes. Mais, cette aptitude, pour spectaculaire qu’elle soit, n’explique pas tout ; en fait, si on se penche sur le cycle de vie de l’alliaire et qu’on le transpose dans ce nouvel environnement (les forêts américaines), on découvre alors que de banals traits de vie chez nous en Europe deviennent outre-Atlantique des avantages majeurs par rapport à la flore indigène.

Trois traits avantageux ont été dégagés dans une synthèse récente (1) ainsi qu’un quatrième qui fait appel à un allié indigène lui aussi envahissant.

Le relâchement de la prédation par les herbivores

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L’aurore pond ses oeufs sur des plantes de la famille des brassicacées (dont l’alliaire) (ici, le papillon est posé sur une bourse-à-pasteur). ©zoom-nature. GG

En Europe, on a recensé au moins 69 espèces d’insectes qui consomment l’alliaire que ce soit les feuilles, les fleurs ou les fruits et les graines ; or, aucune de ces espèces n’est présente en Amérique du nord. Comme en plus l’alliaire bénéficie d’une protection naturelle (lien vers article allélopathie) par la production de composés secondaires toxiques ou repoussants, elle ne subit pratiquement aucune attaque d’insectes en Amérique ce qui constitue un avantage notoire par rapport à la flore indigène qui, elle, est soumise à la prédation des insectes indigènes. Ce relâchement se retrouve chez de nombreuses plantes invasives hors de leur aire d’origine et constitue une hypothèse explicative majeure pour comprendre le caractère invasif d’une plante.

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En France, parmi les nombreux prédateurs de l’alliaire, figure la chenille verte de l’aurore, papillon de jour. ©zoom-nature. GG

Même les cerfs de Virginie (Odocoileus virginianus) pourtant devenu hyper abondants et qui exercent une très forte pression sur la végétation forestière en broutant les plantes des sous-bois évitent l’alliaire (voir dernier paragraphe).

 

 

 

 

 

Une bonne longueur d’avance au printemps

L’alliaire est une bisannuelle stricte ; la germination des graines très tôt au printemps donne une plantule qui va élaborer au cours de sa première année une rosette basale de grandes feuilles arrondies vert foncé bien typiques. Cette rosette va passer l’hiver et ne craint pas le couvert neigeux. Dès le début du printemps de l’année suivante (mars-avril), une tige feuillée se forme et grandit à un rythme soutenu de près de 2cm/jour ; d’avril à juillet, elle fleurit et ce quelque soit la taille atteinte par la tige ; en septembre, les fruits (siliques allongées) se forment avec les graines et en fin d’automne, toutes les plantes ayant atteint donc leur seconde année fanent et meurent. Les tiges sèches chargées de siliques persistent une bonne partie de l’hiver. Il s’agit donc d’un cycle de développement très banal, tout au moins en Europe.

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Rosette basale de feuilles rondes de l’alliaire au printemps.©zoom-nature. GG

En Amérique du nord, l’essentiel de la biodiversité florale des sous-bois se compose d’espèces vivaces à grande longévité et à croissance lente qui démarre plutôt tardivement. Du fait de leur cycle bien différent, les alliaires y atteignent leur pic d’activité dès le début du printemps, bénéficiant alors de l’absence de compétition et en plus de la lumière qui atteint encore le sous-bois à cette période. Elles disposent donc d’un maximum de ressources nutritives. De plus, on a observé que l’alliaire montre de remarquables qualités d’adaptation aux conditions d’éclairement : l’activité photosynthétique d’une population donnée atteint son maximum pour le niveau de lumière sous lequel elles ont commencé leur croissance. On voit donc que l’alliaire a les coudées franches pour envahir les sous-bois de ses colonies et prélever toutes les ressources dont elle a besoin.

Une reproduction sexuée très efficace

L’alliaire ne se reproduit que par voie sexuée compte tenu de son caractère bisannuel. La pollinisation est de type généraliste : les petites fleurs blanches ouvertes, simples d’accès, sont visitées par toutes sortes d’insectes : des abeilles solitaires, des abeilles domestiques, des syrphes et quelques papillons. De ce fait, al pollinisation reste quasi certaine. Cette pollinisation croisée efficace assure aux populations une forte variabilité génétique favorable à l’adaptation aux nouvelles conditions et à la conquête de nouveaux environnements. De plus, on a pu montrer que l’installation en Amérique résultait de plusieurs introductions indépendantes, autre facteur de diversité génétique favorable à l’espèce.

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Les fleurs blanches de l’alliaire officinale avec leurs quatre pétales en croix. zoom-nature. GG

Les fleurs restent ouvertes 2 ou 3 jours ; en général, elles reçoivent une visite de pollinisateur dès le premier jour. Dans le cas contraire, elles s’auto-pollinisent dès le lendemain. Il peut même y avoir une part d’autopollinisation dans les fleurs encore en bouton. Finalement, tous les ovules sont fécondés et donnent des graines même si dans ce dernier cas la variabilité génétique ne sera plus au rendez-vous.

Une remarquable production de graines

Les graines produites présentent un fort taux de viabilité, notamment du fait de la pollinisation croisée (voir ci-dessus). Chaque silique contient en moyenne 10 à 20 graines. Une plante peut produire plus de 3500 graines. En Amérique, selon les populations, on a évalué des productions de graines allant de 9500/m2 à près de 107 000/m2 ! Il y a donc du potentiel pour une invasion en règle si les conditions sont réunies.

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Chaque pied d’alliaire peut produire de nombreuses graines libérées par l’ouverture des fruits secs (siliques) qui persistent longtemps en hiver. ©zoom-nature. GG

La plupart des graines tombent à quelques mètres des plantes qui les ont produites. Mais divers agents peuvent les entraîner plus loin : le vent (très peu), les petits mammifères, les cours d’eau (elle affectionne les bords des rivières) et les hommes. 70% des graines germent au printemps suivant après avoir subi l’action obligatoire du froid hivernal (au moins deux semaines). Les graines non germées entrent dans la banque de graines du sol et peuvent y rester viables près de 10 ans, dans l’attente de perturbations du milieu … comme par exemple celles imposées par les cerfs.

Un envahisseur au secours d’une invasive

Au cours des cinquante dernières années, les populations de cerfs de Virginie ont littéralement explosé en Amérique du nord et ces animaux s’observent couramment jusque dans les espaces urbains. Ces populations exercent une forte pression sur les milieux forestiers qu’ils fréquentent. Ils créent par leur activité et leur piétinement des zones dénudées en sous-bois favorables à l’installation de l’alliaire (2) qui en plus recherche les sols enrichis en nitrates (déjections de ces animaux). Les cerfs broutent préférentiellement les espèces indigènes, réduisant leur taille et leur capacité de fleurir et de se reproduire ; ils semblent éviter complètement l’alliaire ce qui la favorise donc doublement dans la compétition avec les espèces indigènes. On observe le même phénomène chez d’autres plantes invasives des sous-bois sans qu’elles ne soient forcément toxiques comme les baldingères européennes (Phalaris arundinacea) ou l’herbe-à-échasses du Japon (Microstegium vimineum).

Finalement, on voit donc que des caractéristiques « banales » placées dans un contexte nouveau deviennent d’un coup de baguette des avantages adaptatifs considérables dans ce nouvel environnement. Il n’y a même pas besoin de mutations favorables pour s’installer ce qui n’empêche pas la plante invasive de poursuivre sur place son évolution naturelle, pouvant devenir encore plus efficace !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Ready or Not, Garlic Mustard Is Moving In: Alliaria petiolata as a Member of Eastern North American Forests. V. L. RODGERS, K. A. STINSON, AND A. C. FINZI. BioScience ; May 2008 / Vol. 58 No. 5
  2. Deer facilitate invasive plant success in a Pennsylvania forest understorey. T. M. Knight ; J. L. Dunn ; L. A. Smith ; J. Davis ; S. Kalisz. Natural areas Journal. 29 : 110-116 ; 2009.

 

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez l'alliaire officinale
Page(s) : 238-239 Guide des Fleurs des Fôrets
Retrouvez l'alliaire officinale
Page(s) : 94 Le guide de la nature en ville