Alliaria petiolata

Aux U.S.A., l’alliaire officinale, introduite, est devenue invasive. Pour comprendre son impact sur l’environnement forestier et sa capacité d’expansion, les chercheurs américains (3) ont exploré la piste de l’allélopathie, i.e. la capacité d’une plante à agir (pathie pour maladie) sur le développement d’autres espèces (allélo pour étranger) par l’intermédiaire de composés secondaires libérés dans l’environnement immédiat. En effet, depuis longtemps, on connaît de tels pouvoirs chez l’alliaire (comme de nombreuses autres espèces de la famille des Brassicacées). Ainsi, on a pu démontrer que le taux de germination des graines d’une plante américaine, la benoîte rugueuse (Geum laciniatum) se trouvait significativement réduit dans un sol précédemment occupé par l’alliaire à cause de composés secondaires secrétés par les racines (exsudats), mécanisme assez classique et observé chez de nombreuses autres espèces.Une autre piste se précise avec des études récentes qui mettent en évidence une action négative des exsudats des racines d’alliaire sur les champignons du sol réalisant avec les racines des plantes des associations ou mycorhizes (nom féminin). L’alliaire ne dépendant pas elle-même de mycorhizes au niveau de ses racines (plante dite amicorhizale) , elle peut donc agir sur les autres plantes sans risquer d’être atteinte elle-même.

Mycorhizes internes ou externes

L’association racines de plantes/champignon du sol est de type symbiotique, i.e. qu’elle profite en principe aux deux partenaires qui effectuent des échanges nutritifs ; le développement des plantes mycorhizées se trouve donc favorisé par de telles associations et devient le plus souvent indispensable à leur croissance au moins au stade plantule.

On peut distinguer deux grandes catégories de mycorhizes :

  • les mycorhizes internes (ou endomycorhizes) : les filaments des champignons (le mycélium) pénètrent dans les cellules des racines des plantes et y développent des sortes de vésicules pelotonnées ou arbuscules ; elles concernent 80 à 90% des plantes terrestres et quelques centaines d’espèces de champignons souvent microscopiques, très généralistes
  • les mycorhizes externes (ou ectomycorhizes) : les filaments du champignon forment un manchon autour des radicelles et s’insinuent au plus entre les cellules externes de celles-ci ; les racines ainsi mycorhizées ne développent pas de poils absorbants. Elles concernent environ 5% des plantes terrestres, surtout des arbres et se font avec de nombreuses espèces de champignons dont des espèces très connues telles que bolets, amanites, lactaires, cortinaires, ….

Les champignons responsables de ces deux types de mycorhizes appartiennent à des groupes non apparentés, très éloignés dans la classification et réagissent donc de manière très différente aux éventuelles modifications de l’environnement du sol.

Les armes chimiques de l’alliaire

L’allaire contient un véritable arsenal chimique destiné à décourager les attaques d’herbivores dont des substances azotées et sulfurées, les glucosinates, dérivés d’acides aminés et responsables du goût piquant (comme dans les graines des moutardes, qui sont aussi des Brassicacées). Le principal d’entre eux est la sinigrine qui peut représenter jusqu’à 3% du poids sec de la plante. Par ailleurs, la plante produit une enzyme, la myrosinase qui découpe les molécules de sinigrine, libérant entre autres des substances volatiles à odeur piquante dont des isothiocyanates.

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Au froissement, les feuilles (ici celles de la base) répandent une nette odeur d’ail. ©zoom-nature. GG

En 2007, une équipe américaine (4) a mis en plus en évidence la forte production de composés cyanurés dans les tissus frais de l’alliaire avec des quantités suffisantes pour être toxiques envers de nombreux vertébrés. La production est particulièrement intense dans les jeunes feuilles des rosettes de première année qui se distinguent par leur forme fortement arrondie. On ne sait pas exactement par quelle voie métabolique sont produits ces composés cyanurés : peut être résultent-ils de la décomposition des molécules de glucosinates citées ci dessus (mais apparemment ce ne serait pas à partir de la sinigrine).

En tout cas, ces composés toxiques, que ce soit les isothiocyanates ou les composés cyanurés, finissent par passer dans le sol via les exsudats des racines et vont agir sur les organismes présents dans le sol dont les champignons responsables de mycorhizes.

Impact sur les mycorhizes

Une étude (1) sur des plantules d’érable à sucre (Acer sachharum) montre que la présence d’alliaire diminue significativement la colonisation des racines par des champignons responsables de mycorhize interne. La présence de l’alliaire modifie de plus la composition des communautés de champignons présents dans le sol car certains d’entre eux montrent une certaine résistance qui les favorisent.

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La silhouette de la feuille de l’érable à sucre nous est familière en tant qu’emblème du drapeau canadien. ©zoom-nature. GG

En 2011, il a été démontré que la sinigrine et les isothiocyanates qui en dérivent étaient bien libérés dans le sol, certes en quantités très faibles mais suffisantes pour inhiber la croissance des champignons associés aux mycorhizes internes et empêcher la germination de leurs spores et donc la colonisation des racines.

Une autre étude (2) menée dans trois forêts de la Nouvelle-Angleterre a comparé l’abondance des champignons responsables de mycorhizes externes dans le sol et sur les racines. La biomasse de mycorhizes externes racinaires diminue dans les sols de forêts envahis par l’alliaire surtout quand il s’agit de forêts de conifères alors que la biomasse totale des racines elles-mêmes n’est pas affectée. L’effet se fait surtout sentir dans un rayon de 10cm à proximité d’une colonie d’alliaire.

On voit donc que l’alliaire possède le potentiel de modifier les communautés de champignons du sol associés aux racines des plantes dans des mycorhizes et, en agissant indirectement sur la croissance des espèces herbacées et des jeunes arbres, de transformer toute la communauté végétale des forêts envahies sur le moyen terme.

 

BIBLIOGRAPHIE

  1. Differences in arbuscular mycorrhizal fungal communities associated with sugar maple seedlings in and outside 
of invaded garlic mustard forest patches. E. Kathryn Barto • Pedro M. Antunes • Kristina Stinson • Alexander M. Koch • John N. Klironomos • Don Cipollini. Biological Invasions 2011
  2. Low allelochemical concentrations detected in garlic mustard-invaded forest soils inhibit fungal growth and AMF spore germination. Aaron Cantor • Alison Hale • Justin Aaron • M. Brian Traw • Susan Kalisz. Biological Invasions 2010
  3. The invasive plant Alliaria petiolata (garlic mustard) inhibits ectomycorrhizal fungi in its introduced range. Benjamin E. Wolfe , Vikki L. Rodgers, Kristina A. Stinson, Anne Pringle. Journal of Ecology ; 2008
  4. Cyanide in the Chemical Arsenal of Garlic Mustard, Alliaria petiolata. Don Cipollini & Bill Gruner J Chem Ecol (2007) 33:85–94

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez l'alliaire officinale
Page(s) : 238-239 Guide des Fleurs des Fôrets
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Page(s) : 94 Le guide de la nature en ville