Lullula arborea

L’alouette lulu chante souvent en vol tout en décrivant des cercles haut dans le ciel (Photo J. Lombardy)

02/03/2021 Dès la fin de l’hiver, ses cacades de notes flûtées lululululu… mélancoliques tombent en pluie du ciel : minuscule point noir pour l’œil humain, l’alouette lulu décrit lentement des cercles tout en déversant ses notes pour marquer son territoire. Son nom latin de genre Lullula traduit bien ce chant flûté remarquable et si agréable ! Répandue dans une bonne partie de la France, cette espèce habite une large gamme de milieux assez différents mais réunissant un certain nombre de critères assez précis. Nombre de ses habitats actuels se situent dans des zones cultivées au moins partiellement ; dans une partie de son aire de répartition, elle tend à se cantonner essentiellement dans les zones viticoles où elle doit affronter depuis plus d’un demi-siècle les conséquences de l’intensification de la gestion des vignobles avec notamment l’usage généralisé des pesticides. Quelles sont les raisons de cette attirance de l’alouette lulu pour les vignobles et quelles gestions plus respectueuses de la biodiversité permettraient de favoriser son maintien et son expansion dans de tels milieux ? 

Exigeante   

Paysage « idéal » pour l’alouette lulu : agriculture extensive et mosaïque hétérogène comportant des arbres isolés (Pays des Couzes/Auvergne)

Quatre paramètres clés concomitants déterminent les habitats peuplés par la lulu en période de reproduction : un bon niveau d’ensoleillement (donc des versants sud) ; un sol sec ou bien drainé ; une végétation très basse, voire rase avec des surfaces de sol nu pour y chercher sa nourriture et installer son nid (au sol) ; des arbres ou arbustes dispersés dans une matrice paysagère ouverte, notamment comme perchoirs de chant. Ce dernier aspect transparaît à la fois dans son nom populaire anglais de woodlark, alouette des bois et l’épithète de son nom latin, arborea. Ces conditions se trouvent réunies dans un large éventail d’habitats semi-ouverts, hétérogènes avec une mosaïque de zones cultivées les moins intensives et de zones non cultivées. La lulu peut donc habiter : les zones associant polyculture extensive et élevage dont les estives de moyenne montagne ou les régions bocagères associant prairies et haies ; les verges ouverts extensifs, les oliveraies et les vignobles ; les landes basses buissonnantes ; les pelouses sèches sableuses (comme dans le lit majeur des grandes vallées fluviales) ou sur calcaire et marne ; les prés maigres en général ; les forêts très clairsemes avec des clairières ; les jeunes plantations de conifères ou de feuillus dans leurs stades initiaux. Elle peut persister dans des zones cultivées plus intensives à la faveur d’éléments semi-naturels en quantité suffisante (chemins, fossés, arbres isolés, haies buissonnantes, …). En hiver, où l’espèce se montre migratrice partielle à courte distance notamment dans le nord de son aire, elle se montre en petits bandes dans les champs cultivés. 

Ses exigences climatiques (chaleur et ensoleillement) expliquent son quasi absence du quart nord et nord-ouest du pays et des hauts massifs montagneux (très rare au-dessus de 1500 m). De même la déprise agricole au cours de la seconde moitié du 20ème siècle l’a favorisé via la colonisation des anciennes cultures et pâtures abandonnées  par des friches ou milieux hétérogènes. Inversement, depuis au moins deux décennies, il semble bien que la lulu soit entrée en déclin progressif du fait de l’intensification des milieux agricoles qu’elle peuplait dont les vignobles touchés eux aussi par cette dérive ; elle s’inscrit ainsi dans la tendance générale de la baisse des effectifs des populations des espèces d’oiseaux inféodés aux milieux agricoles. Bien que le réchauffement climatique puisse la favoriser, cette dégradation générale des habitats semble bien l’emporter et elle figure dans l’annexe I de la Directive Oiseaux de l’UE comme espèce devant faire l’objet de mesures de conservation.

Au premier plan, un coteau encore favorable avec arbres, friches et en contrebas, un paysage très défavorable, voire hostile : la grande plaine en agriculture intensive pratiquement sans éléments semi-naturels

Viticole 

Alouette lulu perchée sur un chêne ; noter le sourcil clair (photo J. Lombardy)

Une étude menée dans l’ouest de la France (Saumurois) a exploré l’importance des vignobles comme habitats pour les oiseaux nicheurs associés aux paysages agricoles. Elle montre que si pas moins de 93 espèces d’oiseaux sont présentes à l’échelle des paysages viticoles dans leur ensemble, i.e. en incluant la matrice paysagère dans laquelle ils s’insèrent, seulement 16 d’entre elles fréquentent de manière régulière les vignobles à l’échelle des parcelles. Ceci confirme le fait que les vignobles ne sont utilisées que par très peu d’espèces et avec des niveaux d’abondance bas ; à l’échelle paysagère globale, on accède par contre à une bonne richesse en espèces d’oiseaux, liée avant tout éléments semi-naturels autour des vignobles (bosquets, friches, pelouses, chemins, …) et aux caractéristiques climatiques (exposition, sols) associés aux vignobles. 

Une vigne isolée au milieu d’une matrice cultivée suffit comme point de fixation pour l’alouette lulu

Parmi les seize espèces plus étroitement associées aux vignobles, considérées pour la plupart comme des spécialistes des milieux agricoles, on trouve le pipit farlouse, l’alouette des champs et l’alouette lulu, la linotte mélodieuse, le bruant zizi, … Une analyse statistique démontre qu’en fait deux de ces espèces seulement réagissent positivement et fortement aux vignobles : les deux alouettes et surtout la lulu. Donc, l’alouette lulu peut être qualifiée d’oiseau viticole et pourrait être une belle bannière pour la promotion d’une viticulture réellement respectueuse de la biodiversité : des crus lulus ! Ce lien avec les vignobles se renforce d’autant que l’on se rapproche de la limite nord de répartition de cette alouette. Ainsi, en Suisse, la moitié de la population nationale se concentre dans les vignobles du Valais ; en Allemagne, les coteaux viticoles de la vallée supérieure du Rhin abritent un tiers de la population nationale ! 

Un paysage à la fois « boisé » et ouvert avec des espaces herbeux

Au vu des exigences écologiques décrites ci-dessus, on pourrait s’étonner de cet attrait des vignobles pour les lulus car, après tout, les rangs de vignes se rapprochent plutôt de milieux « boisés » ; mais les alouettes semblent bien les percevoir comme des milieux ouverts ou semi-ouverts via les inter-rangs, la relative faible hauteur des ceps et la configuration physique des sites. Pour autant, cette attraction n’exclut pas une forte sélection entre les différents types de vignobles de la part des alouettes lulus. 

Vignobles verts 

Le vignoble idéal (s’il n’y a pas de pesticides !) pour l’alouette lulu : des inter-rangs larges, des bandes herbeuses occupant 50% de la surface et du sol dénudé pour chasser

Les ornithologues suisses étudient attentivement la forte population valaisanne liée aux vignobles et ont d’ores et déjà mis en évidence un certain nombre de critères favorables aux alouettes lulus. Le premier élément clé concerne la couverture végétale herbacée au sol, dans les parcelles viticoles : les lulus recherchent préférentiellement les vignobles avec un peu plus de 50% de couvert herbacé et le reste en sol nu. Elles évitent donc a contrario les deux pôles opposés : d’une part, les vignobles « minéraux » avec pas une herbe et que du sol nu, image dominante dans la majorité des paysages viticoles et entretenue par des traitements herbicides intensifs ; d’autre part, les vignobles complètement enherbés, y compris aux pieds des ceps, comme certains vignobles gérés en agriculture biologique. Cette mosaïque optimale de 55% de couvert herbeux et 45% de sol nu correspondrait à une double contrainte pour la lulu, espèce essentiellement insectivore et se nourrissant au sol. Elle doit disposer de proies abondantes (insectes, araignées, cloportes, …) qui vivent dans la végétation herbacée ; les parcelles entièrement « minérales » n’hébergent que très peu de faune invertébrée et surtout cet état dénudé résulte de l’emploi d’herbicides toxiques, associés par ailleurs aux nombreux autres pesticides déversés dans les vignobles et néfastes pour la biodiversité. Mais, encore faut-il que les alouettes puissent chasser ces proies depuis les espaces dégagés donc les taches dénudées : traquer les insectes dans les hautes herbes relève pour elles de la mission impossible. Nous avons déjà évoqué une problématique semblable avec un oiseau lui aussi associé aux vignobles valaisans, le torcol fourmilier (voir la chronique Le syndrome du sol dénudé). La lulu a besoin à la fois du couvert et des voies d’accès à la nourriture ! 

Vignoble minéral très défavorable : qu’y a t’il à manger au sol dans un tel environnement ?

Vignobles avicoles 

L’alouette lulu chasse les insectes dans l’herbe rase ou à la faveur de plages dénudées en bordure de zones herbeuses

Comme ce double besoin se retrouve chez d’autres espèces d’oiseaux insectivores se nourrissant au sol, on peut donc promouvoir, dans la perspective de favoriser cette avifaune, un mode de gestion évitant l’usage des pesticides et installant des bandes herbeuses mais pas sur toute la surface cultivée ! Ceci peut heurter les personnes environnementalistes soucieuses à juste titre de maintenir un couvert végétal au contraire continu mais si l’on veut réellement conserver la biodiversité, il faut s’appuyer sur les données scientifiques et se rappeler que dans les milieux semi-naturels avoisinants ces vignobles très souvent sur des coteaux secs, on trouve des taches de sol dénudé : celui-ci constitue un « milieu » de vie à part entière à prendre en compte. 

La diversité floristique importe aussi beaucoup pour les alouettes lulus (ici, touffes de lotier corniculé)

Les études suisses et allemandes mettent en évidence par ailleurs d’autres critères favorables aux lulus. La hauteur moyenne du couvert herbacé importe : si on compare celle-ci dans des parcelles occupées par des lulus par rapport à des parcelles non occupées, on constate qu’elle est de 14,2cm pour les premières versus 19,6cm pour les secondes. Cette hauteur doit influer sur la capacité des lulus à détecter leurs proies.  Pour accéder à ce critère, il faut préconiser une réduction de l’usage des fertilisants azotés qui favorisent les grandes graminées aux détriments des vivaces sauvages à rosettes et plus basses. Ces études confirment par ailleurs que l’abondance des insectes joue un grand rôle : les parcelles occupées ont une abondance moyenne de proies de 69 versus 57,5 pour celles non occupées : disposer de ressources nutritives accessibles représente donc un enjeu essentiel pour cette espèce. La richesse en espèces de plantes à fleurs influe fortement sur la sélection des vignobles enherbés par les lulus ; on comprend intuitivement que plus il y a d’espèces de fleurs, plus il y aura de chances d’avoir une faune d’insectes diversifiée ne serait-ce que les butineurs. Pour atteindre ce critère, il suffit le plus souvent de « laisser faire » le développement de la végétation spontanée dans la mesure où il y a assez de milieux semi-naturels autour pouvant servir de sources de colonisation. La largeur des inter-rangs, où se trouvent les bandes enherbées, influe elle aussi : les inter-rangs plus larges favorisent les alouettes. Cet effet s’explique sans doute d’une part par plus de surfaces où peut se développer la petite faune chassée par les alouettes et aussi par une évolution vers un paysage plus ouvert et donc plus proche des exigences de la lulu. Enfin, en Allemagne, on a démontré que la proximité de zones bâties agissait négativement : les parcelles les plus occupées se trouvent en moyenne à plus de 550m des premières habitations versus 370m pour celles non occupées. Il faut donc éviter l’urbanisation des coteaux viticoles, très prisés pour leur ensoleillement. 

Sécurité 

Les vignobles ne servent pas seulement de sites de recherche de nourriture pour l’élevage des jeunes en période de reproduction mais aussi directement de sites de nidification. Comme les autres alouettes, la lulu niche au sol : elle bâtit une coupe d’herbes sèches encastrée dans une touffe d’herbes ou au pied d’un buisson. De ce fait, elle se trouve très fortement exposée aux dérangements liés aux passages d’engins et d’humains mais aussi à la prédation naturelle par des oiseaux (corneilles noires, geais), des mammifères (renard, mustélidés) ou des serpents (vipères, couleuvres). Une étude suisse montre que les sites de nid dans les vignobles se trouvent préférentiellement dans de petites taches de végétation plus haute et plus dense au sein de parcelles végétalisées, assurant un certain abri vis-à-vis des prédateurs. 

Pour mieux appréhender ce problème, les chercheurs suisses ont conduit une étude avec des nids artificiels, imitant ceux des lulus et contenant un œuf de caille, installés soit dans des parcelles presque nues (moins de 20% de couvert végétal), soit végétalisées (plus de 40% de couvert) ; ces nids sont suivis pendant 10 à 12 jours grâce à des pièges photos. Seulement quatre évènements de prédation directe ont été observés et tous sur des nids dans des parcelles « minérales ». Il semble donc que la présence de taches herbeuses plus denses dispersées dans les parcelles soit un plus important pour la fixation des alouettes et pour leur succès reproductif. 

Matrice paysagère 

Au delà des parcelles viticoles elles-mêmes, nous avons vu l’importance de la matrice paysagère dans laquelle celles-ci sont incluses. Les vignobles peuvent occuper soit de vastes surfaces quasi-exclusives ou se trouver sous forme d’îlots dispersés au milieu d’éléments semi-naturels. Dans les secteurs où elles se concentrent sur les vignobles, les alouettes lulus dépendent à la fois de la quantité d’habitat favorable, i.e. des vignobles, et de leur fragmentation relative, i.e. en taches dispersées ou en blocs continus. Quand la quantité d’habitat favorable excède les 20% dans le paysage, elles recherchent les parcelles enherbées dispersées et optent donc pour la fragmentation. La probabilité de présence des lulus augmente fortement quand la couverture végétale dépasse les 60%. La pente représente un autre critère déterminant : elles choisissent des zones de vallée ou de bas de pentes dans un rayon de 150m ce qui correspond grosso modo avec la surface d’un territoire de lulu (7 hectares). Les zones avec une mosaïque de pelouses et de bosquets composant des paysages très hétérogènes sont choisies de manière préférentielle ; les longueurs de lisières boisées semblent un critère déterminant dans ce choix. 

Vignoble inséré dans une matrice de pelouses marneuses basses très favorables (Coteau de Châteaugay/Limagne auvergnate)

On devine donc à travers ces données statistiques toute la complexité des critères de choix d’une espèce donnée. Comment les lulus font-elles pour intégrer tous ces paramètres ? Peut-être perçoivent-elles la mosaïque paysagère via certains de ses éléments comme mes taches végétalisées, les lisières ; peut-être perçoivent-elles aussi la richesse des floraisons ; ou bien au hasard de leurs recherches de nourriture, elles sélectionnent rapidement les secteurs les plus garnis en faune ? Ce mystère, valable pour tous les animaux en fait, ne cesse d’interpeller et de nous renvoyer que chaque espèce doit avoir sa propre perception d’un paysage donné, bien différente de celle que nous avons. 

Toutes ces études soulignent l’importance ne tout cas d’aller vers des pratiques de gestion viticole respectueuses de la biodiversité avec, en première ligne, l’abandon des pesticides et la végétalisation (mais pas totale !) des inter-rangs. Nous aussi nus devons apprendre à changer notre perception des paysages viticoles : des parcelles à perte de vue avec un sol rocailleux dénudé, ce ne sont pas de « beaux » vignobles mais des usines de production intensive d’où le vivant est quasi exclus. Des vignobles où ne règne pas le chant de la lulu (et de bien d’autres espèces) ne sont que de tristes déserts qui produisent un vin … bien triste ! 

Bibliographie

Atlas des oiseaux de France métropolitaine. Nidification et présence hivernale. Nissa N. ; Muller Y coord. Ed. Delachaux et Niestlé ; 2015 ; p 848-851

Ground greening in vineyards promotes the Woodlark Lullula arborea and their invertebrate prey. Laura Bosco ; Raphaël Arlettaz ; Alain Jacot. Journal of Ornithology (2019) 160:799–811 

New vineyard cultivation practices create patchy ground vegetation, favouring Woodlarks. Raphaeël Arlettaz et al.  J Ornithol (2012) 153:229–238 

Nest site preferences of the Woodlark (Lullula arborea) and its association with artificial nest predation. Roman Buehler
 et al. Acta Oecologica 78 (2017) 41e46 

Prey, management and landscape requirements of an endangered population of the Woodlark Lullula arborea in Southwest German. Verena Rösch et al. Journal of Ornithology 2021

Fragmentation effects on woodlark habitat selection depend on habitat amount and spatial scale. L. Bosco et al. Animal Conservation. (2020)