Davidia involucrata

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Ce petit arbre originaire des montagnes de Chine occidentale se rencontre de plus en plus comme ornemental dans les parcs. Au printemps, il se couvre de milliers de « colombes blanches » (dove-tree) ou « pochettes » (selon les images populaires), que le non-initié qualifie de « fleurs ». Voilà un spectacle qui ne s’oublie pas et qui ravira même les plus blasés !

Après avoir détaillé la structure particulière de ces « fleurs », nous allons découvrir les rôles de ces surprenants « mouchoirs blancs », uniques dans le monde des plantes à fleurs.

Une fausse fleur

Ce que l’on prend pour le pistil central de la « fleur » correspond en fait à un groupe de fleurs très réduites et serrées en une boule de 1 à 2 cm de diamètre, au bout d’un long pédoncule pendant : un capitule pour les botanistes. Chacun d’eux comporte une seule fleur centrale réduite à sa plus simple expression, un ovaire vert entouré d’étamines (souvent avortées) et de nombreuses fleurs mâles réduites chacune à des étamines aux anthères pourprées très voyantes. Il n’y a donc aucun pétale ni sépale. Ce type d’inflorescence condensée se retrouve dans la famille proche des Cornacées (dans le groupe des Cornales) avec les cornouillers dits « à fleurs » qui possèdent eux aussi des bractées voyantes simulant des pétales.

Ce que l’on prend pour des grands pétales blancs correspond à deux (parfois trois) bractées très inégales avec la consistance de papier et qui coiffent le capitule par dessus : la plus grande atteint à maturité entre 10 et 25 cm et la plus petite entre 7 et 14cm.

Après la floraison, chaque inflorescence ou capitule peut donner naissance à un seul fruit (puisqu’il n’y a qu’une seule fleur femelle) charnu (mais assez dur) en forme de prune striée brun verdâtre et contenant 6 à 10 graines dures.

Des mouchoirs qui changent de couleur

Dans son milieu naturel en Chine, la floraison de l’arbre aux mouchoirs a lieu entre mi-avril et mi-mai. Chaque fleur dure de 7 à 10 jours. A l’ouverture, les bractées apparaissent petites, nettement vertes et relevées ; leur richesse en chloroplastes en fait alors des organes chlorophylliens à part entière, comme des feuilles classiques (rappelons que les bractées sont en fait des « feuilles florales »). Elles jouent donc dans un premier temps la fonction d’organes nourriciers.

Au bout de 3 à 4 jours, les bractées qui ont atteint les trois-quarts de leur taille définitive commencent à se rabattre et à devenir nettement blanches. A ce moment là, les anthères des étamines (fleurs mâles) s’ouvrent et exposent leur pollen.Les trois jours suivants, elles poursuivent leur croissance. Au sixième ou septième jour, elles fanent très rapidement et tombent au sol, ajoutant un nouveau spectacle à l’éclatante floraison.

Des mouchoirs attractifs

Lors d’une étude menée en milieu naturel et sur deux années consécutives, on a suivi des inflorescences sur plusieurs jours pour recenser les visiteurs : 2174 visites ont ainsi été observées. Des expériences supplémentaires ont visé à définir le rôle des bractées : teinter en vert des bractées devenues blanches, enlever les bractées devenues blanches ou ajouter de fausses bractées blanches en papier à la place des vertes en début de floraison.

Les « abeilles » dominent largement avec 94% des visites : ce sont soit des abeilles domestiques asiatiques, soit des abeilles solitaires ou de gros xylocopes qui récoltent le pollen. Leur visite ne dure que 4 à 6 secondes par capitule. Les 6% restant correspondent à des scarabées mangeurs de pollen (des cétoines, des taupins et des nitidulidés) ; ils restent de 1 à 2 heures pour un capitule. Les données indiquent donc clairement le rôle primordial des abeilles dans la pollinisation de l’arbre aux mouchoirs. La consistance très collante des grains de pollen exclut le recours au vent comme agent de transport secondaire.

Les observations recueillies montrent que les abeilles évitent presque systématiquement les capitules avec des bractées vertes ce qui semble logique car à ce stade les fleurs mâles n’ont pas ouvert leurs anthères (donc pas de pollen) et la fleur centrale n’a pas de nectar.

Le virage coloré des bractées vers le blanc s’accompagne d’une capacité nouvelle à absorber les ultra-violets (due à des changements de composition chimique avec notamment un enrichissement en flavonoïdes) tout comme d’ailleurs les anthères pourpres qui s’ouvrent. Ainsi, les capitules fleuris se trouvent-ils fortement mis en évidence sur le fond vert sombre du feuillage aux yeux des abeilles capables de percevoir ces ultra-violets. Le rôle attractif des mouchoirs envers les pollinisateurs principaux semble donc opérer dans un second temps.

Des mouchoirs parapluies

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Jardin Botanique de la Charme à Clermont-Ferrand : la somptueuse floraison de l’arbre aux mouchoirs en mai.

Chaque capitule peut donner naissance potentiellement à 6 graines alors que dans le même temps il produit plus d’un million de grains de pollen. Or, sur les deux années d’étude, les chercheurs ont constaté un taux de visites assez bas suivi d’une production de graines assez faible (de 12 à 40% des ovules selon les années). Donc, dans ce contexte, le pollen bien qu’abondant reste un élément déterminant pour le succès reproductif ce qui expliquerait notamment la floraison prolongée sur dix jours environ. Comme la floraison a lieu en pleine période des pluies (milieu subtropical), la protection du pollen contre la pluie qui l’entraînerait prend un caractère important. Si on enlève les bractées, les étamines se détériorent rapidement et à l’inverse, même par forte pluie, les capitules restent secs sous cet abri salutaire. En plus, des tests montrent que le pollen mouillé germe rapidement sur place ce qui le rend ensuite impropre à sa fonction de fécondation. Ainsi, les « mouchoirs » jouent-ils un rôle de protection du pollen contre la pluie pour une plante soumise à une forte pression sélective du fait de la relative rareté des visites.

Cet exemple illustre très bien combien un même organe nouveau (ici des grandes bractées inégales) peut remplir plusieurs fonctions ; l’une d’entre elles a du être sélectionnée en premier au cours de l’évolution (peut être par exemple la couleur blanche qui attire les abeilles) avant que, dans un second temps, les autres fonctions n’aient été à leur tour sélectionnées (par exemple la grande taille qui protège de la pluie tout en attirant) : c’est ce qu’on appelle terme d’évolution des exaptations.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Multifunctional Bracts in the Dove Tree Davidia involucrata (Nyssaceae: Cornales): Rain Protection and Pollinator Attraction. Ji-Fan Sun, Yan-Bing Gong, Susanne S. Renner, and Shuang-Quan Huang ; vol. 171, no. 1 The American Naturalist. 2008.
  2. White Bracts of the Dove tree (Davidia involucrata): Umbrella and Pollinator Lure? Ji-Fan Sun and Shuang-Quan Huang. Arnoldia. 2011.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les Cornales et l'arbre aux mouchoirs
Page(s) : 197 Classification phylogénétique du vivant. Tome II. 4ème édition revue et augmentée