Anthocharis cardamines

A la campagne en plaine, dès la fin mars et en avril-mai, le vol décidé de ce petit papillon blanc aux ailes antérieures ornées chacune d’une grosse tache orange en haut (d’où le surnom anglais Orange tip) accompagne les premières floraisons du printemps, primevères et cardamines, et les chants des premiers migrateurs arrivés tels le rossignol ou le coucou. Nous allons parcourir le cycle de vie de ce papillon encore assez commun et répandu dans toute la France qui habite les prairies humides, les prés avec des fossés, les lisières de bois, les friches herbacées le long des chemins et des routes, là où se trouvent ses deux principales plantes hôtes (mais il y en a beaucoup d’autres possibles) : l’alliaire et la cardamine des prés. On peut le rencontrer jusque dans les jardins à la périphérie des villages, pourvu qu’il y trouve de quoi butiner et éventuellement de pouvoir y pondre ses œufs.

Mâles et femelles

Les deux sexes se différencient très facilement (dimorphisme sexuel) : seuls les mâles portent la belle tache orange, absente chez les femelles : ce signal visuel coloré les rend de ce fait bien plus visibles alors que les femelles rappellent diverses espèces de piérides, membres de la même famille (Piéridés) . Tous les deux partagent le fond blanc avec une bordure noire et un point noir sur les ailes antérieures et le dessous des ailes postérieures tacheté-vermiculé de verdâtre qui en fait correspond à un assemblage d’écailles noires et jaunes.

Les mâles apparaissent en premier et éclosent, comme les femelles ensuite, de chrysalides qui ont hiberné et sont issues du cycle de l’année précédente ; cette espèce ne présente qu’une génération par an (univoltine). Donc, contrairement aux vanesses paons de jour ou aux citrons par exemple qui hibernent au stade adulte et peuvent se réveiller même en plein hiver s’il fait beau, l’aurore signe vraiment l’entrée dans le printemps.

La saison des amours

Les mâles se signalent en plus par leur vol direct et affairé, longeant les lisières, les fossés, les chemins, sans se poser pour se nourrir, à la recherche active de femelles pour s’accoupler. Les femelles se montrent nettement plus discrètes, bougeant peu et restant le plus souvent à proximité de sites où croissent les plantes hôtes sur lesquelles elles pondront une fois fécondées. Leur durée de vie n’étant que de trois semaines environ, la rencontre des deux sexes est donc urgente d’autant que les femelles semblent moins abondantes en général. Parfois, des groupes de mâles se réunissent sur une plante fleurie, faute de trouver des femelles déjà sorties.

L’accouplement dure environ vingt minutes, avec, le plus souvent, la femelle suspendue sous le mâle : moment idéal pour faire des photos ! La ponte suit les accouplements : la femelle dépose en général un seul œuf par plante choisie, sur le pédoncule floral ou à la base d’une fleur en bouton. Elle ne pond que sur des plantes de la famille des Crucifères ou Brassicacées (famille du chou) : les espèces hôtes et les modalités du choix font l’objet d’une autre chronique consacrée à cet aspect particulier.

D’abord blancs, les œufs s’agrandissent et virent à l’orangé avant de s’assombrir pendant les une à deux semaines que dure leur développement.

Les adultes butinent pour se nourrir préférentiellement des fleurs bleues à rose ; leurs choix se portent alors, selon les milieux, sur les fleurs des jacinthes des bois, des bugles rampants, des cardamines des prés (par ailleurs plante-hôte des chenilles), les lychnis fleur-de-coucou, les valérianes, les compagnons rouges, les vesces des haies ; on les observe aussi sur d’autres fleurs jaunes ou blanches comme les pissenlits, les porcelles et épervières, les marguerites, les stellaires holostées. Dans les jardins, ils sont très attirés par les fleurs mauves des juliennes des dames ou de la monnaie-du-pape (aussi plantes hôtes à l’occasion !) ou sur les lilas.

Des chenilles exclusives

L’éclosion de l’œuf donne naissance à une chenille vert bleuté avec une bande blanche et de minuscules points noirs qui complètent la livrée verte, la tête comprise. Elle subira quatre mues de croissance au cours des 3 à 4 semaines de son développement pour atteindre la taille de 3cm.

Si une autre chenille éclot sur la même plante (soit qu’une femelle a pondu deux œufs ou qu’une autre est venue pondre après elle), la plus ancienne va souvent dévorer l’autre ou l’œuf encore non éclos en plus. Ceci s’explique sans doute par le fait qu’un pied de la plante hôte suffit à peine à nourrir une chenille ; en effet, celle-ci se nourrit au départ des jeunes fruits allongés en forme de gousse (siliques) typiques des plantes hôtes (voir la chronique sur le choix des plantes-hôtes) et leur nombre reste souvent limité ; dans un second temps, elle consommera les fleurs et feuilles si besoin. Les chenilles portent des poils fourchus qui secrètent une substance sucrée appréciée des fourmis, sans doute un moyen de bénéficier de la protection active de celles-ci contre les prédateurs ou parasites.

La femelle, au moment où elle dépose un œuf sur la plante, laisse en même temps une trace odorante sous forme de phéromone qui, en principe, décourage les autres femelles de pondre à leur tour.

L’entrée en sommeil

A l’entrée donc de l’été (en plaine), arrivée donc au cinquième stade larvaire, la chenille quitte le plus souvent la plante qui l’a nourri et recherche, plus ou moins loin, une tige sèche sur un buisson assez près du sol où elle va se fixer et se transformer en chrysalide. En général, la chrysalide se positionne à la verticale, attachée par un fil de soie « à la ceinture » et accrochée au bout de l’abdomen (cremaster). La chrysalide, d’abord verte puis virant le plus souvent au brun clair, se distingue par sa forme unique en triangle avec une longue pointe presque épineuse qui prolonge la tête.

Elle va rester ainsi, immobile, pendant près de dix mois (de juillet à avril en moyenne) jusqu’à l’éclosion au printemps suivant ! Il semble que lors d’années défavorables (avec un « printemps pourri »), l’éclosion de la chrysalide puisse être annulée et repoussée à l’année suivante ce qui permet d’éviter les mauvaises conditions temporaires.

Trois fois mimétique !

Les trois stades présentent chacun à leur façon un fort mimétisme qui leur permet de se fondre avec le milieu ambiant. Les adultes au repos replient leurs ailes et basculent les ailes antérieures fortement vers l’arrière ce qui fait passer celles-ci à l’intérieur des ailes postérieures repliées qui, elles, arborent leur dessin verdâtre vermiculé qui les rend alors bien moins visibles : plus de blanc ou presque et même chez les mâles si voyants en vol, plus d’orange ! Notons que par ailleurs la même couleur orange si visible en vol servirait alors de couleur d’avertissement indiquant aux prédateurs potentiels que l’insecte est peu appétissant du fait que la chenille qui lui a donné naissance a accumulé des substances toxiques dans son corps au cours de sa croissance (voir la chronique sur les plantes hôtes).

Les chenilles sont encore plus mimétiques avec leur robe verdâtre « cassée » par les bandes claires latérales graduelles ; l’effet est particulièrement saisissant quand elles se nourrissent sur les fruits allongés (siliques) des plantes hôtes, la similitude forme renforçant alors l’effet. Remarquons qu’elle peut aussi vivre sur des plantes hôtes aux fruits courts bien différents (silicules : voir photo ci-dessus).

Enfin, la chrysalide avec sa forme étrange et épineuse se fond remarquablement avec son décor de tiges sèches ; elle doit ainsi sans doute échapper aux recherches actives des oiseaux en hiver tels que les mésanges qui explorent les moindres brindilles.

Curieusement, l’œuf qui devient orange reste la forme du cycle la moins « cachée » mais comme il se tient au milieu des fleurs, il reste malgré tout peu visible.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Les papillons de jour. T. Lafranchis. Ed. Parthénope. 2000.
  2. Quel est donc ce papillon ? H. Bellmann. Ed. Nathan. 2003.
  3. http://www.ukbutterflies.co.uk/species.php?species=cardamines : site remarquablement documenté sur les papillons britanniques.

A retrouver dans nos ouvrages

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