L’une des approches, en milieu tempéré, des conséquences du changement climatique sur la biodiversité concerne l’étude des changements dans l’apparition d’évènements périodiques sous le contrôle des variations saisonnières. C’est le domaine d’une science en plein essor (notamment via les sciences participatives) : la phénologie. Les exemples ne manquent pas que ce soit pour les végétaux ou les animaux : éclosion des bourgeons, floraison, chute des feuilles, entrée en hibernation, arrivée ou départ des migrateurs, … Dès lors qu’on évoque l’évolution de ces manifestations, on pense immanquablement au printemps, symbole de la renaissance et de l’explosion de vie. Cette prééminence culturelle populaire du printemps en tant que saison clé pour comprendre les cycles de vie des êtres vivants se retrouve dans le monde de la recherche : la majorité des études scientifiques à propos des changements dans la phénologie des espèces concerne le printemps. A l’opposé, l’automne reste la grande oubliée avec seulement un tiers des publications par rapport à celles consacrées au printemps. Et pourtant, cette saison a elle aussi toute son importance surtout dans nos environnements tempérés où elle représente le signal de la fin de la saison de développement et de reproduction. Globalement, avec la crise climatique en cours, on observe une tendance générale en climat tempéré à une augmentation des températures moyennes au cours de l’automne ce qui repousse d’autant l’entrée dans l’hiver.

Un article vient de faire la synthèse des publications à l’échelle planétaire (en restant en milieu tempéré) concernant les conséquences des changements au niveau de la saison automnale sur la biodiversité.

La feuille d’automne …

Côté végétaux, le fait majeur bien connu associé à l’automne c’est la « mort » progressive des feuillages des arbres et arbustes feuillus (sénescence) accompagnée de son festival de couleurs et qui s’achève avec la chute des feuilles mortes (abscission). Diverses études montrent que la sénescence des feuillages se trouve en moyenne de plus en plus repoussée avec la crise climatique. Ainsi une étude sur une base de données phénologiques (floraison printanière et chute des feuilles en automne) allant de 1953 à 2005 sur la Corée du sud et le Japon démontre que pour la plupart des espèces, si la phénologie du printanière s’avance et si celle de l’automne est repoussée, les changements vont plus vite en automne qu’au printemps.  

Toutes les feuilles d’une même branche n’évoluent pas à la même vitesse en automne (ici, sur un hêtre) ce qui étale le phénomène.

Si les variations de l’émergence des feuilles au printemps s’expliquent fortement par les températures ambiantes, celles de la sénescence automnale sont bien moins liées aux températures automnales. Une étude conduite en Allemagne sur la période 1951-2000 sur 20 espèces révèle que le festival de couleurs automnales affectant les feuillages subit l’influence de deux facteurs opposés : des températures printanières et de début d’été plus élevées avancent ce processus alors que des températures douces en automne le retardent. D’autres facteurs peu prévisibles interviennent : une sécheresse estivale et automnale avance la coloration des feuillages et leur chute tandis qu’un sol humide les retarde. Des gelées précoces ou des coups de vents ponctuels peuvent induire une brusque sénescence et accélérer la chute tout comme la pollution de l’air par l’ozone. Par contre, les concentrations locales de dioxyde de carbone ne semblent pas avoir d’effet. 

Effet carbone 

Des deux tendances signalées ci-dessus (printemps et automne), il en résulte un allongement de la saison de croissance et de développement des végétaux. L’allongement de la saison automnale a un impact prononcé sur ce qu’on appelle la productivité nette des écosystèmes, i.e. le bilan annuel entre ce qui est produit via l’activité photosynthétique et ce qui est perdu via les processus de respiration : les écosystèmes forestiers stockent plus de carbone lors des années chaudes avec un automne rallongé ; cependant, ceci ne vaut pas partout ni tout le temps car parfois l’élévation automnale des températures peut amplifier les dépenses par respiration avec un effet mal connu sur les racines et les microbes du sol vivant autour de celles-ci. 

Les forêts littorales atlantiques connaissent l’arrivée de divers arbustes introduits ; ici, en Vendée, un fusain du Japon et des yuccas complètement naturalisés ; le feuillage persistant leur permet de profiter plus longtemps de la douceur des automnes.

Par contre, ces changements vont favoriser certaines espèces plus réactives soit parce qu’elles ont une plus grande plasticité soit parce qu’elles évoluent très rapidement ; c’est le cas notamment dans les forêts tempérées de nombreuses espèces d’arbustes et de plantes grimpantes introduites (non indigènes) des sous-bois et au comportement invasif. Une étude conduite sur trois ans dans l’Est des USA a exploré la phénologie du feuillage de 43 espèces indigènes et de 30 espèces invasives communes. Parmi les invasives figurent de nombreuses espèces qui nous sont familières puisque introduites depuis l’Europe : chèvrefeuille des bois, camerisier, bourdaine, viorne lantane, épine-vinette commune, Ces deux groupes connaissent classiquement un allongement de la période de sénescence des feuillages qui est retardée mais celles qui en profitent le plus sont les espèces invasives qui réussissent à prolonger leur croissance quatre semaines de plus que les indigènes. Par contre, ces invasives ne se montrent pas capables d’exploiter le démarrage printanier plus précoce. Elles profitent en fait de la chute des feuilles chez les espèces indigènes pour prolonger leur activité photsynthétique jusque tard en automne. Elles prennent le risque de maintenir des feuilles viables en dépit des risques imprévisibles de gelées … et çà paye de plus en plus ! Parmi les 20 espèces qui profitent le plus en termes de gain de carbone du prolongement de l’automne figurent 16 espèces introduites et seulement 4 indigènes ; en tête des grands gagnants figurent le chèvrefeuille d’hiver et le chèvrefeuille du Japon  originaires d’Asie. On ne sait pas encore bien quelles conséquences vont avoir ces bouleversements sur la composition de la litière de feuilles mortes (voir la chronique sur ce sujet) et les flux de minéraux dont l’azote car la composition des feuilles se trouve modifiée par cette sénescence retardée. 

Une hirondelle ne fait pas l’automne !

L’autre phénomène naturel saisonnier très popularisé concerne la migration des oiseaux en automne avec notamment l’image symbolique des alignements d’hirondelles sur les fils électriques en septembre ou les passages des vols de grues qui sillonnent le  ciel fin octobre/début novembre. Là aussi, il y a eu une pléthore d’études (justifiées par ailleurs) sur les changements du calendrier des dates d’arrivée au printemps pour la migration de retour mais très peu sur le calendrier automnal. Un suivi par baguage et captures au filet depuis 42 ans de la migration au col alpin de Bretolet, à cheval sur la France et la Suisse, révèle deux tendances diamétralement opposées au cours des dernières décennies à propos de 65 espèces d’oiseaux migrateurs. Le passage d’automne des espèces migratrices à longue distance, allant hiverner au sud du Sahara, se fit plus précocement comme la caille des blés, les martinets (voir les chroniques sur ces oiseaux), la pie-grièche écorcheur ou la bergeronnette printanière … Cette tendance résulterait de la pression sélective à traverser le Sahel plus tôt avant l’avènement de la saison sèche. A l’opposé, les espèces hivernant au nord du Sahara partent plus tardivement ! A cela vient se surimposer une seconde pression sélective selon le cycle de reproduction : les espèces avec un nombre variable de nichées par saison de reproduction (2, 3 voire 4) connaissent elles aussi un décalage vers un départ plus tardif probablement parce qu’elles tentent une nichée supplémentaire. 

Hirondelles rustiques (en haut) et hirondelles de fenêtre (en bas) en septembre : les rassemblements sont des préludes à la migration automnale.

Une étude du même type outre-Atlantique sur un site de migration du Massachussetts de 1969 à 2012 montre que les dates de passage automnal de 14 espèces sont corrélées avec la température moyenne à cette saison : 13 migrent plus tard et une plus tôt. En incluant le cycle des feuillages des arbres, on constate que quatre espèces tendent à migrer plus tard les années où la sénescence des feuillages est retardée. Là aussi, l’analyse des données montre que les espèces migrant en région tropicale partent plus tôt et que les espèces n’élevant qu’une seule nichée par saison font de même par rapport à celles élevant au moins deux nichées. 

Décalage 

Les végétaux entretiennent de nombreuses interactions positives de type mutualistes avec des animaux que ce soit dans le domaine de la pollinisation ou de la dispersion des fruits (voir la chronique générale sur les mutualismes) ; celles-ci reposent sur une forte synchronisation des cycles de vie des uns et des autres. Dès lors que le calendrier de développement de la végétation va se trouver affecté, des décalages plus ou moins importants vont émerger risquant d’annuler certaines interactions vitales ou d’obliger à trouver de nouveaux partenaires. Ainsi, la maturation des petits fruits charnus produits par nombre d’arbres et arbustes tempérés a lieu à la fin de l’été et à l’automne et coïncide avec la période des migrations des passereaux qui consomment ces fruits comme source d’énergie essentielle et assurent la dispersion des graines dans leurs excréments (voir la chronique sur l’endozoochorie). Or, un décalage bilatéral est en train de s’accentuer entre ces deux types de partenaires mutualistes : les espèces de passereaux qui migrent à courte distance partent plus tard tandis que les fruits qu’ils consomment mûrissent de plus en plus tôt.

Une fois de plus, dans cette histoire, les plantes invasives introduites vont tirer leur épingle du jeu comme le montre une étude réalisée dans l’Est des USA : on a comparé le taux de récolte des petits fruits d’espèces d’arbustes invasifs versus espèces indigènes. La majorité des graines collectées dans les crottes des passereaux frugivores migrateurs (92%) proviennent de six espèces introduites et seulement 8% viennent de quatre espèces indigènes, ces dernières ayant déjà perdu leurs fruits trop mûrs au moment crucial. Seules quelques espèces indigènes (un houx, des sumacs et une salsepareille) conservent des fruits mûrs en grande quantité et pendant tout l’hiver mais ils sont peu nombreux et très dispersés contrairement aux espèces invasives prospères et qui fructifient beaucoup. 

Ravageurs 

Le rallongement de l’automne et l’atténuation des froids hivernaux accélèrent le développement de nombres d’insectes et retardent leur entrée en hibernation pour passer l’hiver. Parmi les espèces concernées en milieu forestier figurent les scolytes, ces petits coléoptères dont les larves et les adultes creusent des galeries  juste sous l’écorce et propagent des champignons pathogènes, provoquant une forte mortalité lors des épisodes de pullulations, accentués par l’affaiblissement des arbres touchés suite aux épisodes de sécheresse ou de pollution atmosphérique. Ils peuvent ainsi augmenter leur nombre de générations annuelles et à chaque émergence aller coloniser de nouveaux arbres ; leur activité de creusement de galeries se prolonge plus tardivement. Ainsi dans l’ouest des USA et au Canada, deux espèces indigènes de scolytes, le dendroctone de l’épinette (qui parasite plusieurs espèces locales d’épicéas) et le dendroctone du sapin de Douglas ont vu leurs populations augmenter nettement au cours des dernières décennies ainsi que les dégâts associés aux peuplements forestiers.

L’homme lui-même se trouve confronté indirectement à ce processus via les arthropodes vecteurs de maladies infectieuses. Ainsi, les tiques, vectrices redoutées de la maladie de Lyme (voir la chronique sur les tiques), voient leur activité et leur cycle de développement se prolonger tardivement en automne, période propice aux promenades en forêts à la recherche des champignons ou des fruits sauvages ! Tant que les températures restent au-dessus de leur seuil d’activité, elles cherchent à prendre un repas de sang. Les populations de moustiques augmentent de même en automne notamment avec les pluies souvent abondantes qui marquent cette période : ainsi les infections humaines par la fièvre du Nil occidental deviennent prévalentes en automne car, avec le départ des oiseaux migrateurs, les moustiques se rabattent alors sur les mammifères … dont les hommes ! 

Mal aimé ?

Ces quelques exemples montrent clairement que l’automne est tout autant une saison clé dans le cadre de la crise climatique que le printemps avec des conséquences multiples dans tous les écosystèmes et donc y compris pour la santé humaine. Mais alors pourquoi ce désamour relatif général du monde de la recherche envers cette saison ? L’inconscient collectif valorise fortement le printemps par rapport à l’automne : le printemps c’est la renaissance, l’explosion de vie, les floraisons, les chants d’oiseaux, les promesses des beaux jours, … Dans le seul registre des chansons, comptines ou poésies, le printemps tient une position clairement dominante par rapport à l’automne ! L’automne évoque certes les belles couleurs et les paysages embrumés mais aussi le déclin, le chemin des morts (la Toussaint), le glissement vers le froid et les jours courts. Certes les motivations des chercheurs font en principe fi de ces représentations sociales dominantes mais peut-être bien que inconsciemment une certaine attirance les pousse plus à s’intéresser au printemps ? 

Il y a un autre type de raison bien plus rationnel et scientifique cette fois : des difficultés méthodologiques liées à l’automne. Contrairement à la majorité des évènements biologiques qui marquent l’avènement du printemps de manière souvent brutale et tranchée (donc facile à dater et à quantifier), ceux de l’automne tendent à s’étaler sur de longues périodes et se dérouler de manière progressive. Ainsi, pour mesurer la vitesse de la chute des feuilles, doit-on faire appel à des mesures du genre « 50% des feuilles tombées » pas faciles à apprécier. La sénescence des feuilles se fait très graduellement et touche de manière différente les feuilles d’un même arbre. On retrouve le même problème avec la migration d’automne bien plus étalée sans véritable pic. Enfin, il est bien plus difficile (voire souvent impossible) de connaître la date de dernière présence (avant hibernation ou avant le départ en migration) d’une espèce : l’absence est bien plus dure à démontrer que la présence ! 

En tout cas, l’automne ne doit plus être oublié dans les grandes études scientifiques liées aux conséquences de la crise climatique : de nouveaux outils standardisés de mesures des phénomènes naturels doivent être mis en place. 

Un bel automne vaut bien le plus beau des printemps, non ?

Bibliographie 

Autumn the neglected season in climate change research. Amanda S. Gallinat, Richard B. Primack, and David L. Wagner. Trends in Ecology & Evolution xx (2015) 1–8 1 

Extended leaf phenology and the autumn niche in deciduous forest invasions. Fridley, J.D. (2012) Nature 485, 359–362 
 

Forecasting phenology under global warming. Ines Ibanez et al. Phil. Trans. R. Soc. B (2010) 365, 3247–3260 

Timing of autumn bird migration under climate change: advances in long-distance migrants, delays in short- distance migrants. Jenni, L. and Kery, M. (2003) Proc. R. Soc. B: Biol. Sci. 270, 1467–1471 


Autumn migration of North American landbirds. Ellwood, E. R., A. Gallinat, R. B. Primack, and T. L. Lloyd-Evans. 2015. Pp. 193–205 in E. M. Wood and J. L. Kellermann (editors), Phenological synchrony and bird migration: changing climate and seasonal resources in North America. Studies in Avian Biology (no. 47), CRC Press, Boca Raton, FL.