Pandion haliaetus/Pandionidae

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Photo J. Lombardy

Par sa vaste répartition mondiale, le balbuzard constitue déjà une exception notoire dans le monde avien au point qu’on se demande si il n’y a pas en fait plusieurs espèces jumelles différenciées géographiquement (voir la chronique sur « une ou quatre espèces »). Mais son originalité ne s’arrête pas là puisque, dans le cadre de la classification des oiseaux, on lui a constitué une famille à part pour sa seule espèce (ou les quatre très proches !), la famille des Pandionidés qui s’est séparée relativement tôt des « autres » rapaces diurnes au sens strict, les Accipitridés (voir la chronique « les rapaces ne sont plus ce qu’ils étaient »). Nous allons donc parcourir ici toutes les particularités de ce rapace vraiment à part.

Bref portrait

Déjà, le balbuzard se démarque de la plupart des rapaces par son aspect général et son plumage sans pour autant que ce soit des caractères « hors norme » ! Son plumage brun sombre contraste fortement avec le dessous où le blanc domine si bien que vu de loin, par dessous, il frappe par sa blancheur. Ce caractère n’est d’ailleurs sans doute pas anodin car, vu d’en bas, depuis l’eau, il doit être bien difficile de le repérer à contre jour ! La tête relativement petite porte une sorte de houppette plus ou moins ébouriffée à l’arrière qui lui donne un air de « mal coiffé » ! Un bandeau sombre traverse l’œil jaune vif, ce qui lui confère un air de pirate. Le bec très fortement crochu ne manque pas d’attirer l’attention d’emblée.

En vol, on est frappé par ses ailes longues et étroites, par rapport à un corps de taille moyenne, et qu’il tient presque toujours plus ou moins coudées ; ceci en fait un planeur moyen mais par contre un excellent voilier au long cours en vol battu capable de parcourir des distances remarquables d’une seule traite comme en attestent les données recueillies à partir d’oiseaux porteurs de balises (voir la chronique sur les migrations des balbuzards).

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Balbuzard naturalisé (Muséum de Bourges).

Comme chez de nombreux autres rapaces, les femelles sont en moyenne plus grosses que les mâles (d’environ 20% en poids et 5 à 10% en envergure) mais ce caractère varie et s’avère peu utilisable sur le terrain. Les femelles présentent en général une poitrine plus fortement tachée que celle des mâles.

Un pêcheur sachant pêcher

Le balbuzard reste actuellement le seul rapace qui se nourrisse exclusivement de poissons vivants qu’il pêche selon une technique peu répandue même chez les autres oiseaux pêcheurs : plongeon depuis les airs, immersion éventuelle et capture juste sous la surface. On ne trouve ce mode de pêche que chez les fous, les martins-pêcheurs, le pélican brun américain ainsi que chez une espèce de buse (voir le dernier paragraphe). Le balbuzard survole les plans d’eau, en eau douce comme en bord de mer (un autre aspect original en passant), à plus ou moins grande hauteur (jusqu’à 70m de haut !) en décrivant souvent des cercles. Quand il a repéré un poisson proche de la surface, il se met à battre des ailes sur place, penche la tête pour bien fixer sa proie puis se laisse piquer presque à la verticale ailes repliées le long du corps ; soit il réussit à saisir la proie juste en plongeant les serres sous l’eau, soit il entre avec fracas dans l’eau où il s’immerge presque entièrement et ressort très vite en battant fortement des ailes, dans un gerbe de gouttelettes d’eau. Quand il s’extirpe de l’eau, s’il a réussi sa capture, il la tient d’une seule patte puis, très vite, il plante l’autre patte en avant ou en arrière de manière à placer le poisson dans le sens de la longueur, lequel continue à se débattre souvent vigoureusement ! Il cherche un perchoir élevé où il va pouvoir achever sa proie et la consommer à l’aide de son bec.

Ce mode de vie entièrement piscivore ne peut être accompli que grâce à un certain nombre de particularités physiques : un bec très crochu, un plumage dense et compact quasi imperméable, des valves qui obturent les narines pendant la « plongée », des pattes et des pieds assez gros et puissants capables de porter des proies pesant jusqu’à près de 2 kg et qui se tortillent en tous sens et, surtout, des pieds très originaux sur lesquels nous allons nous attarder.

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Photo J. Lombardy

Des pieds de chouette !

La disposition des doigts chez le balbuzard ne répond pas au schéma le plus répandu. En effet, chez une majorité d’oiseaux, il y a trois doigts en avant et un en arrière (disposition dite anisodactyle). Pour s’y retrouver (voir le schéma ci-joint), on numérote les doigts en partant de celui à l’arrière (le n°1 ou hallux), puis, de la gauche vers la droite pour la patte droite par exemple, le doigt le plus interne (n°2), le médian (n°3) et le plus externe (n°4). Chez le balbuzard, le doigt externe n°4 est réversible et peut s’orienter à la demande vers l’arrière aux côtés du n°1, ce qui donne une disposition en croix assurant une prise très ferme sur les proies très glissantes que sont les poissons couverts de mucus. Cette disposition originale dite semi-zygodactyle (2) ne se retrouve ailleurs que chez les touracos (oiseaux forestiers frugivores africains très colorés), les rapaces nocturnes ou strigiformes (voir la chronique sur les rapaces) et les oiseaux-souris ou colious, qui sont les plus proches parents des strigiformes ; ceci signifie que cette disposition est apparue trois fois au cours de l’évolution : deux fois indépendamment chez les touracos et les balbuzards (non apparentés) et une fois chez l’ancêtre commun aux rapaces nocturnes et aux colious.

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Pieds de balbuzard sur un spécimen naturalisé (Muséum de Bourges). Noter les serres très courbées, presque égales, le doigt n°4 écarté sur le côté, les spicules sous les doigts, les tarses emplumés, les doigts puissants.

Des serres et des doigts high-tech

Les griffes ou serres (voir la chronique sur les serres des rapaces) se distinguent nettement de celles autres rapaces par leur grande taille avec une très forte courbure tant interne que externe, impressionnante quand on les voit de près. Les quatre serres sont presque de même longueur sauf celle du doigt n°4, celui qui peut pivoter vers l’arrière, qui est légèrement plus longue (1). La forte courbure accentue la prise sur les poissons gluants. Les doigts se démarquent en plus par la présence de minuscules spicules de 1mm de long qui couvrent le dessous, formant ainsi un revêtement antidérapant très efficace. On peut donc dire que le balbuzard possède une série d’adaptations originales liées à son mode d’alimentation strictement piscivore, acquises dans sa lignée qui s’est détachée relativement tôt de celle des autres rapaces ou accipitridés.

Toujours à propos des pattes, on peut rajouter deux autres caractères sans doute adaptatifs mais que l’on retrouve chez divers autres rapaces : les tarses relativement longs, projetés en avant au moment du plongeon et couverts de plumes jusqu’à la base des doigts.

Les autres rapaces pêcheurs

Le balbuzard est le seul rapace à se nourrir exclusivement de poissons mais il existe d’autres rapaces qui pêchent régulièrement tout en complètant leur régime avec d’autres proies. Il est intéressant de les comparer avec le balbuzard pour saisir les différences évolutives.

Parmi les rapaces nocturnes, on connaît sept espèces qui capturent beaucoup de poissons : trois espèce kétoupas (Ketupa) nommés fish-owl en aglo-saxon, trois espèces africaines de chouettes-pêcheuses ou fishing-owls (Scotopelia) et le grand-duc de Blakiston en Chine. Tous ne pêchent qu’en eau douce et capturent leurs proies uniquement en surface sans s’immerger depuis un affût et non pas en vol. Plusieurs d’entre elles peuvent même pêcher en marchant dans l’eau peu profonde.

Chez les Accipitridés, la famille qui réunit les rapaces diurnes à l’exception des faucons et caracaras, les pygargues ou aigles pêcheurs ont eux aussi beaucoup développé la pêche mais complètent leur régime avec d’autres proies dont des charognes en hiver. Ils ne s’immergent pas et capturent uniquement en surface sans effectuer de plongeon. On remarque que leurs serres sont grandes, fortement courbées et de taille presque égales entre elles, caractères convergents avec ceux du balbuzard ; dans le détail cependant, les serres des doigts n°3 et 4 sont un peu plus grandes. Et la disposition des doigts n’est pas semi-zygodactyle.

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Pygargue vocifer en Afrique de l’Est : un rapace qui pêche mais uniquement en surface. Photo D. Bermudez

Enfin, il existe une espèce sud-américaine apparentée aux buses, la buse à tête blanche (Busarellus nigricollis) ou buse pêcheuse qui se nourrit surtout de poissons mais complète avec des insectes aquatiques ou des poussins d’oiseaux et des escargots. Elle aussi immerge son corps lors des captures mais, par contre, du fait de son plumage non imperméable, elle doit ensuite se sécher longuement avant de repêcher ! Ses serres sont aussi fortement recourbées et le dessous des doigts est un peu râpeux.

On voit donc que la forme des serres, sous la pression sélective d’un mode alimentaire piscivore, a été fortement guidée au cours de l’évolution par les contraintes liées à ce mode de chasse particulier.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Predatory Functional Morphology in Raptors: Interdigital Variation in Talon Size Is Related to Prey Restraint and Immobilisation Technique. PLoS ONE 4(11). Fowler DW, Freedman EA, Scannella JB (2009)
  2. Altriciality and the Evolution of Toe Orientation in Birds. J.F. Botelho et al. Evol Biol (2015) 42:502–510
  3. Bird families of the world. D.W. Winkler et al. Lynx Ed. 2015
  4. Site Handbook of birds of the World : http://www.hbw.com

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le balbuzard pêcheur
Page(s) : 235 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez les Accipitriformes
Page(s) : 461-463 Classification phylogénétique du vivant. Tome II. 4ème édition revue et augmentée