Clematis vitalba

15/11/2020 

Tigibus le chauffeur fit passer des tisons enflammés. On emboucha les morceaux de « vélie* » et tous, fermant à demi les yeux, tordant les bajoues, pinçant les lèvres, plissant le front, se mirent à tirer de toute leur énergie. Parfois même, tant on y mettait d’ardeur, il arrivait que la clématite bien sèche, s’enflammait et alors on admirait et tous s’appliquaient à réaliser cet exploit…. 

Cet extrait de La guerre des boutons de Louis Pergaud paru en 1912 plante le décor : derrière cette locution « bois à fumer » se cache la clématite des haies ou clématite vigne-blanche, une liane très commune dans presque toute la France.

* En Franche-Comté, région d’origine de L. Pergaud, la clématite était connue sous plusieurs noms populaires proches : vélier, véhier, villé, vélie, veuillet ou vieille. Ces surnoms renvoient (peut-être ?) à l’image du vieillard à tête blanche suscité par les fruits secs (voir la seconde chronique) .

Parmi ses innombrables noms populaires, plusieurs tournent autour de ce thème de « plante à fumer » : bois fumerot, bois de fume, fumerottefumaille, bois de pipe, bois fumant ; chez nos voisins anglo-saxons on l’a nommée baccy plant (plante tabac) ou  sheperd’s delight (délice pour le berger qui la fume).  Tous ces noms font allusion à l’utilisation de ses grosses tiges séchées, découpées en tronçons que les garçons (évidemment !) de la campagne, autrefois, fumaient en cachette comme un cigare, d’autant que ce bois fumé n’irrite que très peu la gorge. 

Nous allons découvrir en détail cette remarquable liane ligneuse à partir de cette anecdote. Dans une seconde chronique, nous nous intéresserons aux feuilles, fleurs et fruits de la clématite des haies. 

Vraie liane

La clématite des haies se présente sous deux aspects différents : dans les milieux buissonnants bas comme les haies ou les friches, elle forme des tapis ou des dômes enchevêtrés, inextricables recouvrant le moindre support qui dépasse ; en milieu arboré, elle grimpe aux arbres et forme des  rideaux de « vraies » lianes ; ce sont elles qui vont ici retenir notre attention. Elles correspondent au stade adulte des tiges acquis à partir de l’âge de dix ans.

Ces tiges faisant penser à des cordages grossiers peuvent atteindre plus de quinze mètres de long avec un diamètre de quatre centimètres soit deux fois la largeur d’un pouce ! Elles n’ont donc rien à envier aux lianes tropicales. Enfant, j’ai souvent devant elles pensé à l’image J. Weissmuller alias Tarzan au cinéma se jetant de liane en liane en lançant son célèbre cri. Une fine écorce jaunâtre qui se détache en lanières les recouvre. Chacune d’elles est formée d’une succession de segments ou entre-nœuds  séparés par des renflements à peine marqués ou nœuds. A un stade plus jeune, ces nœuds portaient une paire de feuilles opposées (voir la seconde chronique). 

Les tiges grimpent jusqu’au sommet des arbres supports et, souvent, retombent en draperies de tiges plus minces vers le sol quand elles ont atteint la cime ou bien se servent de celle-ci comme d’un escalier pour accéder à une autre cime proche plus haute. A ce titre, la clématite des haies est une des rares lianes ligneuses indigènes d’Europe occidentale ; si on exclut le lierre qui se colle aux troncs par ses crampons (voir la chronique sur cette liane), il n’y a guère que les vignes sauvages des forêts riveraines qui égalent (voire dépassent) la clématite des haies par leurs tiges. 

Clématite (seule au centre) grimpant en compagnie de tiges de lierre cramponnées

Dès qu’on les manipule, on est frappés par leur flexibilité en dépit de leur taille : cette propriété a suscité nombre d’usages pratiques (voir ci-dessous). Cependant, si on veut couper une de ces tiges, on constate qu’elle est bien faite de vrai bois, un trait singulier pour cette plante membre de la famille des Renonculacées qui ne renferme par ailleurs que des espèces herbacées !  Mais ce bois présente plusieurs particularités surprenantes. 

Bois poreux 

La clématite des haies fabrique bel et bien du bois mais celui-ci est très léger car criblé d’une multitude de « trous », des vaisseaux conducteurs de sève. Ce détail n’avait pas échappé à Marcel Pagnol dans le tome II de ses Souvenirs d’enfance (le Château de ma mère) paru en 1957 : 

Lili savait tout […] Il prenait une branche bien sèche de clématite, il en coupait un morceau entre les nœuds, et grâce aux mille canaux invisibles qui suivaient le fil du bois, on pouvait la fumer comme un cigare.

Car il est là le secret du bois à fumer : il est traversé tout en long par une forte densité de vaisseaux disposés en douze faisceaux, six petits et six grands en alternance. Ainsi, en allumant l’extrémité et en aspirant fortement, on arrivait à la faire se consumer lentement ; on en tirait aucun effet secondaire de type hallucinogène ou autre mais simplement la satisfaction de faire comme les grands, de fumer le cigare ! 

La clématite construit comme un arbre des cernes année après année même s’ils sont le plus souvent très étroits et indistincts sauf chez les individus croissant très vite. Cet aspect dit « poreux » correspond au sein de chaque cerne à deux générations successives de vaisseaux conducteurs : ceux élaborés au printemps avant même le débourrage des bourgeons (le feuillage est caduque) ont une section de 100 à 300 microns tandis que ceux de plein été ne mesurent que 30 à 50 microns. Les vaisseaux d’un cerne donné ne restent fonctionnels que deux ou trois ans avant de subir une occlusion. 

On retrouve une telle disposition et structure poreuse chez le chêne pédonculé (bois de printemps versus bois d’été) : elle caractérise les arbres qui ont stocké des sucres dans le tronc permettant de développer de gros vaisseaux de printemps avant même l’émergence des feuilles et donc le démarrage de la photosynthèse. Mais chez la clématite, ces vaisseaux représentent près de 65% du volume total du bois contre seulement 40% chez le chêne (ou 50% chez les ormes). Ceci explique son extrême légèreté : on a utilisé du bois carbonisé de clématite comme matrice pour favoriser la régénération d’os chez des souris ou des lapins, comme on le fait maintenant avec du corail chez l’homme. 

Ajoutons qu’une moelle occupe le centre de ces tiges ligneuses ; elle présente parfois une cavité centrale interrompue par un diaphragme au niveau des nœuds : d’où l’importance pour fumer de couper un tronçon correspondant à un entre-nœud ! Mais la plupart des tiges même âgées ont une moelle continue pleine ou bien creuse seulement par endroits. 

Aspirateur 

Comme toutes les lianes, la clématite se trouve confrontée à un problème clé : faire monter la sève brute (eau et sels minéraux extraits du sol) sur de grandes longueurs et souvent à des hauteurs importantes. Le système de vaisseaux évoqué ci-dessus offre de ce point de vue une capacité de circulation extraordinaire de l’eau et des éléments en solution. Cela dit, la clématite montre une large amplitude hydrique, capable de vivre sur des sols secs à frais. 

Des colonies très volumineuses qu’il faut nourrir : ici dans une vigne abandonnée

L’autre challenge associé concerne la capacité à prélever des éléments minéraux indispensables pour la vie lianescente  qui suppose une production de biomasse considérable comme en témoignent les masses de feuillage et de tiges engendrées par ces plantes. L’azote semble bien être un élément clé dans ce contexte pour la synthèse de protéines et constitue un facteur limitant pour la croissance exubérante. La clématite se comporte comme une nitrophile légère, exigeant une quantité minimale de nitrates (la forme assimilable de l’azote dans le sol).  En absence de ces derniers, elle est capable de se rabattre sur une autre forme de l’azote, l’ammonium et de la traiter de manière efficace via un équipement enzymatique ad hoc. 

Elle tend à s’installer dans des milieux récemment perturbés comme les clairières en forêt, les trouées dues à des chutes d’arbres, ou les lisières ; la brusque exposition du sol à la lumière provoque une transformation de la matière organique azotée en azote minéral sous forme de nitrates. D’ailleurs, l’éclairement constitue un facteur clé pour sa survie et son maintien : en dessous de 5% de lumière incidente, la clématite régresse et disparaît : d’où l’urgence pour elle d’atteindre la cime des arbres porteurs pour accéder à la lumière avant que ceux ci ne l’étouffent de leur ombre. Sa progression récente dans nombre de haies et son caractère très invasif dans certains pays où elle a été introduite traduisent notamment l’eutrophisation globale, i.e. l’augmentation des taux de nitrates dans les sols du fait de la pollution atmosphérique et des apports liés à l’agriculture. 

La clématite des haies fréquente donc une large gamme de milieux compte tenu des exigences ci-dessus auxquelles il faut ajouter un environnement assez chaud et une acidité limitée du sol (elle évite les sols trop acides et pauvres en éléments minéraux). On la trouve dans toutes sortes de milieux buissonnants (fruticées) : ceux associés aux cycles des forêts (voir ci-dessus), les friches dont les vignes abandonnées, les haies, les creux dans les dunes littorales, …. Elle fréquente aussi les bois clairs ou très perturbés notamment dans les bas de pentes, les forêts galeries des rivières aux sols très enrichis où on trouve souvent les plus gros spécimens, et se répand de plus en plus en milieu urbain dans les décombres ou les friches industrielles, s’appuyant souvent sur des clôtures ou des structures bâties. 

Viorne 

En ancien français et dans l’Antiquité, la clématite était souvent surnommée viorne (Viburnum en latin) et on parlait d’ailleurs de « fumer la viorne ». Or, ce terme désigne d’autres arbustes non grimpants, les « vraies » viornes dont la lantane (voir la chronique sur cet arbuste). Elles partagent avec la clématite le fait d’avoir des tiges assez flexibles et donc utilisables par l’homme pour la fabrication d’objets divers. Viorne vient du latin vierequi signifie lier, attacher. Son port grimpant et ses tiges sarmenteuses lui valent par ailleurs des rapprochements avec la vigne comme dans le nom latin vitalba, vigne blanche (voir la seconde chronique) ou d’autres surnoms comme vigne de Salomon, aubervigne, …

Depuis la Préhistoire, les tiges de la clématites à la fois souples et solides figurent parmi les matériaux appréciés en vannerie grossière ou pour faire des liens dans des domaines très variés : nouer les bottes de chaumes aux chevrons sur les toits ; fabriquer des claies servant à faire sécher des fruits ; tresser des paniers pour faire couver la volaille ou des muselières pour les chevaux ou les bœufs ; ramoner les cheminées ; faire des cordes à sauter ou des cordes à linge ; fabriquer des formes pour maintenir les chapeaux ronds en chapellerie ; … On reste confondu devant cette gamme d’usages qui en dit long sur l’inventivité des Anciens en des temps où on ne disposait que des matériaux naturels disponibles dans l’environnement local. 

Certains artistes et jardiniers ont remis au goût du jour les tiges de clématite que ce soit en land-art ou comme liens ou armatures de structures servant de supports au jardin. En témoignent ci-dessus ces créations de Gilles Guillot (mon frère) maître-jardinier.

Développement 

Jeune tige raide

En fait, cette flexibilité appréciée ne vaut que pour les tiges adultes et résulte de transformations successives depuis la jeune plante. La première année qui suit la germination, la plante élabore une pousse avec une tige mince anguleuse, creusée de six sillons latéraux, mais très raide, sans aucune souplesse ; elle élabore plusieurs entre-nœuds successifs jusque tard en automne et des bourgeons de renouvellement se forment aux aisselles des feuilles. L’hiver suivant, la partie supérieure de la plante meurt et repart au printemps suivant depuis ces bourgeons. Souvent étalée au sol ou couchée, elle tend à taller, i.e. à s’enraciner et élaborer de nouvelles pousses. Pendant plusieurs années, elle va ainsi se ramifier sans adopter de tiges de type liane, qui restent toujours rigides. 

Vers l’âge de quatre à dix ans, elle entre dans une phase d’allongement considérable des pousses pour lesquelles le caractère de liane commence à s’affirmer. Vers 10-15 ans, la floraison commence (voir la seconde chronique) ; les nouvelles pousses ne durent souvent qu’une saison mais se ramifient de plus en plus : on aboutit à des systèmes inextricables avec souvent plus de dix ordres successifs de ramification. Si elle trouve un support vertical, elle commence à grimper en s’accrochant (voir la seconde chronique).  

Appareil souterrain dégagé par une tempête dans une dune littorale

A partir de ce stade, la clématite se « recentre » sur son appareil souterrain et développe alors un important réseau de tiges souterraines qui vont persister longtemps et émettent de nouvelles pousses : ainsi se forment ces colonies opulentes enchevêtrées. Chaque grosse tige aérienne ne vivrait que quelques dizaines d’années mais l’ensemble par contre peut persister bien plus et atteint son maximum de développement vers l’âge de 60-80 ans. 

Métamorphose 

Quand une pousse « chercheuse » qui explore l’environnement rencontre un support, elle subit une transformation anatomique profonde qui la rend flexible. Cette métamorphose implique la perte de tissus de soutien qui conféraient la rigidité initiale et surtout la formation de tissus secondaires et de fibres via l’activité d’une assise génératrice, un cambium. Les botanistes s’appuient sur deux paramètres pour caractériser l’architecture mécanique de ces tiges : la rigidité en flexion i.e. la résistance offerte si on tente de plier une tige et l’élasticité (module de Young). On constate qu’au cours du développement évoqué ci-dessus l’élasticité ne cesse d’augmenter mais de manière différente selon que la plante a trouvé ou non un support et selon la nature de celui-ci : ainsi, si elle se contente de s’appuyer sur une masse de végétation buissonnante, l’élasticité se renforcera moins et elle restera semi-rigide. 

Cette capacité à produire des tiges ligneuses souples surprend encore plus quand on replace les clématites dans leur contexte de parentés au sein de la famille des Renonculacées. La majorité de celles-ci sont des plantes vivaces avec des rhizomes souterrains et des tiges dressées annuelles sans tissus secondaires (bois). Or, la majorité des clématites fabriquent des tiges ligneuses, même si chez certaines (comme la clématite dressée), ce caractère ne concerne que les tiges souterraines. Pour autant, aucune n’a développé des axes ligneux qui se soutiennent seuls au-dessus de 1m : il n’y a pas de forme buissonnante chez les clématites. Au sein de la famille, les plus proches parentes des clématites sont les renoncules (les « boutons d’or ») et les anémones (avec qui elles partagent d’ailleurs les fruits plumeux : voir la seconde chronique). 

La forte augmentation de l’élasticité correspond à la stratégie de la majorité des lianes tropicales ou tempérées : les jeunes tiges raides se tiennent par elles-mêmes le temps de rechercher un espace vide éclairé et d’atteindre un support avant donc de s’assouplir ce qui leur permet d’éviter les chocs et ruptures quand la plante hôte support « bouge » lors des coups de vent notamment. Cette élasticité est acquise via une organisation des fibres en un faisceau commun qui optimise la résistance à la pliure. Ce dispositif économise aussi la fabrication de tissus de soutien plus rigides et coûteux en énergie et en matériaux. Cette apparition isolée dans cette lignée de ce caractère lianescent peut être considéré comme une innovation évolutive (voir la chronique sur les plantes grimpantes) qui a boosté la diversification des clématites chez lesquelles ont compte entre 200 et 300 espèces (voir l’exemple des ancolies avec leurs fleurs à éperon). 

Etouffante 

Toutes ces caractéristiques de développement et de nutrition permettent à la clématite une expansion incroyable tant en hauteur qu’à l’horizontale : elle colonise de manière durable ses milieux de vie (voir ci-dessus) et tend à former des peuplements étendus et volumineux. Avec ses tapis, ses draperies et ses enchevêtrements de tiges, elle finit par recouvrir la végétation environnante d’un manteau lourd et continu. Elle peut finir par étouffer littéralement certains arbres et arbustes en les privant de lumière via son feuillage ; ainsi dans les haies vives, son expansion menace à moyen terme certains arbustes comme les aubépines. 

Ce caractère dominant s’exprime surtout dans les pays où elle a été introduite et où elle s’est naturalisée : son potentiel de développement y devient alors sans limites. Le cas d’école le plus connu concerne la Nouvelle-Zélande. Sa naturalisation y a commencé à partir des années 1940 et depuis elle a colonisé toutes les régions boisées de basse altitude, surtout le long des cours d’eau. Elle est devenue l’espèce invasive la plus médiatisée dans ce pays et concentrait près de 40% des plaintes par rapport aux espèces invasives à la fin des années 90. Son développement y est tellement exubérant qu’elle atteint la canopée des grands arbres indigènes ; son feuillage dense intercepte la lumière et le poids considérable de ses tiges finit par écrouler les arbres supports. Elle provoque de nets changements dans la biodiversité forestière locale avec une baisse du nombre et de la diversité des arbres et arbustes indigènes. 

Même chez nous, on observe une tendance à l’expansion car elle profite de l’enrichissement généralisé des milieux et avec le changement climatique, on peut se demander si elle ne va pas devenir un réel problème dans certains milieux qu’elle tend à envahir en bloquant notamment les étapes de régénération forestière ou en uniformisant la végétation des haies. 

Bibliographie 

Site Flore populaire de Rolland

Ammonium can stimulate nitrate and nitrite reductase in the absence of nitrate in Clematis vitalba. R. A. BUNGARD et al. Plant, Cell and Environment (1999) 22, 859–866 

Effects of irradiance and nitrogen on Clematis vitalba establishment in a New Zealand lowland podocarp forest remnant New Zealand Journal of Botany, 1998, Vol. 36: 661-670 

On the stem anatomy of Clematis vitalba L. Markus Sieber and Ladislav J. Kucera
 IAWA Bulletin n.s., Vol. I (1-2), 1980 

Mechanical architecture and development in Clematis: implications for canalised evolution of growth forms S. Isnard et al.
 New Phytologist (2003) 158: 543–559 

Comparative study on the ontomorphogenesis of herbaceous and shrubby Clematis species based on the evo-devo concept. Nina V. Chubatova & Olga A. Churikova. Wulfenia 25 (2018): 161–172