Helianthus annuus var. macrocarpus

28/10/2022 En dépit de la vertigineuse diversité de leur famille (entre 25 et 35 000 espèces), toutes les Astéracées partagent deux caractères communs, deux innovations évolutives majeures qui ont permis leur succès explosif : un calice transformé en pappus, un ensemble de soies, poils ou écailles qui persiste sur le fruit et aide à sa protection contre les herbivores et à sa dispersion ; une inflorescence formée par l’agrégation de nombreuses petites fleurs sur un réceptacle commun, un capitule ou tête florale (capitule dérive du latin caput, tête). Cette inflorescence est tellement transformée que le novice en botanique se trouve quelque peu dérouté pour l’interpréter et il a fallu créer un lexique spécifique pour décrire tous les éléments de ces capitules. Afin de permettre au plus grand nombre de savoir lire un capitule de Composée, nous allons ici étudier en détail un exemple iconique, celui du tournesol, remarquable par sa taille (ce qui facilite grandement la lecture) et son abondance comme plante cultivée, donc facile à observer de près … et sans se pencher puisqu’il vous « regarde ». En route donc pour une visite guidée chez le Roi Soleil en partant du sommet de sa tige.  

Un peu militaire à la nord-coréenne

Réceptacle 

Réceptacle et involucre de dos

Chaque tige unique et géante s’élargit en son sommet et donne une sorte de grosse assiette charnue, creuse en partie à l’intérieur avec de la moelle blanche, pouvant atteindre 70cm de diamètre chez certains cultivars : le réceptacle. Même s’il participe à la constitution de l’inflorescence en fournissant l’assise porteuse des fleurs, il est bien directement une émanation de la tige et la partie de la tige juste en dessous peut être assimilée à un pédoncule porteur, couverte de poils denses, courts ou longs, semi rigides et hérissés. Le pédoncule se courbe un peu ce qui place le réceptacle en une position presque verticale voire penchée en avant : c’est là que se situe un des « ressorts » de l’orientation par rapport au soleil (héliotropisme), phénomène auquel on associe souvent le seul tournesol même s’il existe chez de nombreuses autres espèces (voir paragraphe final à ce propos). 

L’intérieur du réceptacle est remarquablement plat et forme un disque parfait. Tout autour du rebord on trouve une couronne de petites feuilles vert foncé de 2 à 8cm de long, ovales brusquement rétrécies en pointe fine, finement dentées avec une à trois nervures saillantes : ce sont des feuilles modifiées ou bractées (voir la chronique sur ce type d’organe). L’ensemble forme un involucre ; ce nom dérive du latin classique involucrum pour enveloppe lui-même dérivé de involvere pour enrouler. 

Si on observe de nombreux pieds, on trouve régulièrement juste en-dessous de l’involucre quelques petites feuilles comme celles de la tige ce qui montre, qu’en fait, les bractées résultent de la transformation graduelle des feuilles de la tige (caulinaires). 

Feuilles sommitales et involucre

Attention : l’involucre de bractées n’est pas du tout un caractère propre aux seules astéracées, loin s’en faut (voir la chronique sur les bractées) ; par exemple, un autre exemple très connu est l’involucre qui entoure la noisette ou la cupule du gland formée de nombreuses bractées soudées ou l’involucre des ombellifères. De même le réceptacle existe chez pratiquement toutes les fleurs : voir l’exemple des rosacées ; ici, par contre, il prend une importance majeure comme support d’une nouvelle structure. 

Rayons de soleil 

Franchissons l’involucre aux bractées souvent un peu redressées formant une collerette protectrice, pour atteindre le premier cercle flamboyant d’une vingtaine de « languettes » jaune d’or, telles les rayons d’un soleil d’été. Elles sont à l’origine du nom de la famille Astéracées (Asteraceae) : aster signifie astre, sous-entendu soleil ; on le retrouve dans le nom genre bien connu des Aster

Ils correspondent à des fleurs élémentaires ou fleurons (mot dérivé de floron, petite fleur ou ornement en forme de fleur) qualifiés de rayonnants du fait de leur disposition sur un seul cercle, le plus externe du capitule. Chacun d’eux équivaut à une fleur très transformée dont trois des cinq lobes de la corolle originelle se sont soudés et allongés pour former cette languette ou hémiligule. Ligule signifie langue (lingula) ; le radical hémi signifie qu’ici seule une partie de la corolle s’est soudés en languette contrairement aux ligules (sans radical), comme celles des pissenlits par exemple, formées de 5 lobes soudés attestés par la présence de 5 dents terminales. Dans le cas du tournesol, souvent, on ne trouve même plus trace des anciens lobes au sommet terminé en pointe unique. Longues de 25 à 35mm, elles dépassent nettement et ourlent les bords du disque ; elles caractérisent un groupe informel de composées (qui recoupe plusieurs tribus et donc plusieurs lignées différentes) qualifiées de radiées (rayons).

Chez le tournesol, ces fleurons rayonnants sont complètement stériles, i.e. dépourvus d’organes sexuels. Ils jouent donc clairement un rôle limité à l’attraction visuelle vis-à-vis des pollinisateurs en créant un cercle coloré qui fait penser aux pétales d’une fleur unique qui aurait comme calice l’involucre de bractées. Dans d’autres genres, ces fleurs rayonnantes sont pistillées, i.e. « femelles », sans étamines et donc capables de produire des fruits. En se desséchant, elles prennent une consistance parcheminée et virent au blanc et persistent assez longtemps donnant l’illusion saisissante d’un « soleil en fin de vie ». 

Disque solaire 

Disque central : là où tout se passe pour la reproduction

Toute la surface du réceptacle à l’intérieur du cercle des fleurons rayonnants est occupée par une multitude hyper serrée de fleurons discaux. C’est vraiment là que l’on saisit la quintessence du capitule et son statut d’inflorescence composée hyper condensée (d’où l’autre nom de Composées, Compositae, de la famille).

Ces centaines de fleurons, particulièrement bien rangés (voir ci-dessous), sont cette fois des fleurs bisexuées (avec étamines mâles et pistil femelle) et à symétrie rayonnante i.e. à corolle à 5 lobes très courts étalés en étoile, au sommet d’un tube résultant de la soudure de la partie basale des cinq pétales. Pour le non initié qui jette juste un regard, toute cette surface pavée de petites fleurs apparaît comme le cœur d’une fleur unique ; d’où l’usage quasi constant du mot fleur pour désigner un capitule de tournesol alors que, scientifiquement, on devrait dire inflorescence. Cette illusion n’a rien de fortuit et s’est bien installée au cours de l’évolution de ces plantes, sous la pression de sélection des insectes pollinisateurs : le capitule imite parfaitement une mégafleur unique, une aubaine incroyable pour des pollinisateurs avec des centaines de fleurs à disposition les unes à côté des autres, accessibles sans problème avec une plate-forme d’atterrissage sans égal. Les botanistes parlent de pseudanthe (« fausse-fleur »). Dans le cas du tournesol, les lobes des fleurons discaux étant brunâtres, ils donnent une teinte générale brune au disque à la floraison.

L’illusion d’une seule giga fleur en tout début de floraison : calice vert, corolle jaune, pistils oranges et verts au centre

Chacun des fleurons discaux est en plus sous-tendu par une bractée florale individuelle transformée en écaille blanchâtre à la base, brune au sommet avec trois dents au sommet (la médiane en forme de crochet), à peine velue et enveloppant partiellement la base du fleuron. Leur présence renforce la teinte brune du disque et elles persistent ensuite à la base du jeune fruit. La présence de telles bractées florales (en sus de celles de l’involucre : voir ci-dessus) n’est pas la règle générale chez les Astéracées ; elle est typique justement de la tribu dans laquelle se place le tournesol, les Helianthae (de Helianthus nom latin du genre du tournesol) ; on peut les observer ainsi chez les Dahlias, les Zinnias, les Cosmos, les Rudbeckias , les Coreopsis, … autres membres de cette tribu essentiellement nord-américaine. Dans certains genres, ces bractées florales deviennent colorées et prennent une consistance papyracée et persistent comme chez les immortelles bien connues comme ornementales. 

Bractée écailleuse qui sous-tend le fleuron (loupe)

Floraison 

A l’échelle individuelle, chaque fleuron discal fleurit selon un protocole bien défini avec un décalage temporel entre la maturation des étamines et la libération du pollen (phase mâle) et la maturation des stigmates du pistil récepteurs sur lesquels les grains de pollen vont germer et assurer la fécondation des ovules dans l’ovaire. 

Les étamines mûrissent en premier ; portées sur des filets libres entre eux mais soudées au tube de la corolle, les anthères (les « loges à pollen ») sont tournées vers l’intérieur et convergent pour former un tube (synanthérie, i.e. anthères « jointes » ensemble) autour du style peu développé au début. Chez le tournesol comme chez les autres membres de sa tribu, elles sont foncées, presque noires. Quand elles sont mûres, elles s’ouvrent sur la face interne du tunnel et libèrent leur pollen qui tombe sur l’extrémité du style entière pour l’instant. Rapidement, le style s’allonge et, à la manière d’un piston, il ramone la cheminée formée par les anthères conniventes et pousse le pollen à son sommet ; le pollen se trouve ainsi offert, on dit présenté, aux insectes pollinisateurs, prêt à être récolté, pratiquement sans aucun effort. On parle de présentation à piston du pollen, un dispositif que l’on retrouve dans la famille des Campanulacées (voir la chronique) ce qui n’a rien de surprenant puisqu’elles sont parentes des astéracées et réunies avec elles dans la classe des Astérales. 

Puis, une fois le style entièrement sorti, ses deux stigmates sommitaux réunis jusque-là s’écartent l’un de l’autre, formant une fourche en Y qui expose les surfaces réceptrices, ainsi prêtes à recevoir du pollen accroché à des poils d’insectes et a priori venant d’autres fleurs puisque son propre pollen a été évacué depuis un certain temps. 

Par ailleurs, ces fleurons produisent un abondant nectar ce qui les rend très attractives pour une large gamme de pollinisateurs recherchant nectar et/ou pollen. 

Cette abeille est en train de prélever du nectar avec sa langue

La floraison à l’échelle d’un capitule se fait de la périphérie vers le centre comme une vague qui se propagerait vers le centre du disque ; ainsi, quand les fleurons les plus au centre sont en pleine floraison ceux de la périphérie sont déjà en fruits. Ce décalage interne réduit les risques de pollinisation entre fleurs d’un même capitule (geitonogamie) plutôt défavorable en termes génétiques (consanguinité). 

Stade moyen : le premier cercle avec styles écartés, le second avec pollen présenté et les troisième en boutons
Sur cette coupe, progression de gauche à droite : fruits déjà formés (violacés) ; puis fruits ébauchés (blancs) avec styles écartés puis styles serrés et enfin boutons floraux centraux

Pépites 

Fin de floraison : les corolles tubulaires sont encore en place ainsi que les hémiligules

Le style à deux lobes trahit la structure double de l’ovaire formé de la fusion de deux unités ; pour autant, chaque ovaire ne produit qu’un seul ovule et donc une seule graine par fleur. Le fruit sec est un akène qui ne s’ouvre pas et dont la paroi est soudée celle de la graine qu’il renferme. De couleur variable selon les variétés cultivées, il porte souvent rayures noires ; il est très connu en langage populaire sous l’appellation de pépite de tournesol, comme friandise grillée et sucrée. Un peu aplati, courtement velu, il peut porter quelques écailles ou poils mais celles-ci tombent en général rapidement. 

Ceci constitue une exception notoire au sein des Astéracées car ces organes (écailles et poils) correspondent à une structure clé évoquée en introduction : le pappus qui correspond au calice très modifié du fleuron. Ce terme étrange vient d’un ancien nom grec pappos qui désigne les papys, i.e. des hommes a priori avec une barbe ou des cheveux blancs … Dans la majorité des cas, le pappus persiste et peut prendre des formes multiples parfois extravagantes et représente une autre source de forte diversification au sein des astéracées compte tenu de son rôle majeur notamment dans la dispersion (par le vent ou par les animaux en s’accrochant au pelage/plumage).

La très forte agrégation des fleurons autorise ainsi une forte production de fruits/graines surtout compte tenu de l’efficacité de la pollinisation ; les plus grands capitules de tournesols peuvent produire jusqu’à 2000 fruits. 

Spirales mystérieuses 

Quand on regarde les disques des capitules de face, qu’ils soient en pleine floraison, en boutons floraux ou en fruits, on perçoit des spirales qui s’entrecroisent, créant un motif géométrique d’une régularité étonnante et très complexe. 

La mise en place des fleurons suit le même processus que celle des feuilles au long des tiges : un méristème apical, massif de cellules indifférenciées qui se divisent activement, génère des primordia (pluriel de primordium), i.e. des petits groupes de cellules qui vont produire ensuite par exemple un fleuron en se différenciant ; au fur à mesure de la croissance, ces primordia sont repoussés. Ces éléments ainsi fabriqués se disposent selon un arrangement spatial bien précis, appelé phyllotaxie (phyllo, feuille et taxis, arrangement). Ainsi, par exemple, dans le cas des feuilles alternes le long d’une tige, dans la majorité des cas, l’angle de divergence entre deux feuilles mises en place l’une après l’autre avoisine les 137,5°, soit l’angle d’or cher aux architectes. Sur le capitule du tournesol, le méristème central du réceptacle engendre des motifs spiralés secondaires du fait du fort rapprochement des fleurons, les uns enroulés vers la droite, les autres vers la gauche : on parle de parastiches (nom d’origine italienne) dextres ou sénestres. Dès 1831, A. Braun avait mis en évidence une curieuse propriété : les deux nombres des deux types de parastiches (droites et gauches) sur un capitule donné correspondent à deux nombres successifs d’une suite mathématique dite de Fibonacci (1,1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, …) : chaque nombre est la somme des deux précédents. La limite infinie de cette suite est le nombre d’or (1,618….). 

Nul besoin de recours divin pour expliquer une disposition aussi régulière et obéissant à une « loi mathématique » ; on sait que le nombre d’or correspond à une proportion géométrique « idéale ». De ce fait, on a longtemps pensé que cet arrangement répondait à une contrainte d’encombrement spatial qui s’imposait lors de la mise en place des primordia successifs qui se forment par divisions cellulaires selon des angles bien précis sur les côtés du méristème. Néanmoins, des reconsidérations récentes tendent à invalider cette interprétation : l’arrangement spiralé résulterait d’interactions d’inhibitions locales via des hormones de croissance (auxines) entre les primordia. 

Capitule dont les parastiches suivent une suite double (68/42) ; on a colorié certaines parastiches en deux couleurs (droites et gauches) Extrait de 4/Biblio

En 2016, une vaste étude faisant appel aux sciences participatives a engrangé un grand nombre de photos de capitules de tournesols sur lesquels, via un programme informatique, on a pu analyser et compter les parastiches. Cette étude a mis en évidence un nombre de cas significatif de capitules où les deux nombres suivent en fait une suite double de Fibonacci (2, 4, 6, 10, 16) ou une série dite de Lucas (1, 3, 4, 7, 11, 18) ; on a aussi découvert à cette occasion des capitules quasi réguliers où il devient impossible de compter les parastiches. Tout ceci prouve que l’on a sans doute trop dogmatisé cette histoire et que la réalité est bien plus complexe faisant appel à la fois à la génétique (gènes régulateurs) et à la physiologie (hormones). 

Le mythe de la fleur qui tourne 

Non, ils ne regardent pas le photographe mais sont tous tournés vers l’Est .. ou presque

Dès que l’on parle de tournesol, on entend dire « ah oui la fleur qui suit le soleil » : une légende tenace ancrée depuis des siècles et favorisée par la ressemblance entre le capitule fleuri et le soleil et ses rayons. Il n’en a pas fallu plus pour que dès le 17ème, un jésuite A. Kirchner ne fasse du tournesol une horloge créée pour informer les hommes de l’heure du jour via les mouvements de sa tête florale, pilotés par une mystérieuse force magnétique divine. Cette conception a très longtemps prévalu dans le monde non scientifique et reprise notamment par divers poètes. 

Il y a toujours des rebelles qui cassent la belle unité

Qu’en est-il vraiment. Comme en fait de nombreuses plantes, les jeunes pieds de tournesol en pleine croissance et porteurs d’un capitule en bouton à leur sommet effectuent effectivement des oscillations diurnes en fonction de la course Est-ouest du soleil. Le sommet de la tige (1/5ème sommital) et les 3 ou 4 plus jeunes feuilles supérieures se courbent vers l’Est le matin puis progressivement vers l’Ouest le soir ; au cours de la nuit, une remise en position initiale s’effectue. Mais ces mouvements qualifiés d’héliotropiques, i.e. orientés par rapport au soleil, cessent dès que le capitule mature s’ouvre et il reste généralement bloqué en position vers l’Est ; autrement dit, le tournesol fleurit ne bouge plus. 

Extrait de 5/Biblio

Des observations précises indiquent que le mouvement des feuilles supérieures est légèrement décalé de 50 minutes en retard par rapport à la progression du soleil. Le blocage des têtes fleuries tournées vers l’Est aurait plusieurs avantages : réduire la charge thermique de midi ; augmenter l’éclairage matinal moins fort (le tournesol fleurit en plein été) ce qui faciliterait la maturation des graines et diminuerait les risques d’attaques fongiques. Les mouvements des tiges et feuilles permettraient d’une part une photosynthèse plus efficace mais surtout diminuerait l’impact de l’ombrage porté ce qui optimise l’assimilation du dioxyde de carbone. 

Toutes nos interrogations font bien rire le tournesol

Bibliographie 

Don’t be fooled: false flowers in Asteraceae Teng Zhang and Paula Elomaa Current Opinion in Plant Biology 2021, 59:101972 

My favourite flowering image: a capitulum of Asteraceae Paula Elomaa Journal of Experimental Botany, Vol. 70, No. 21 pp. e6496–e6498, 2019 

Do Fibonacci numbers reveal the involvement of geometrical imperatives or biological interactions in phyllotaxis? TODD J. COOKE Botanical Journal of the Linnean Society, 2006, 150, 3–24.

Novel Fibonacci and non-Fibonacci structure in the sunflower: results of a citizen science experiment.R. Soc. open sci.3: 160091. Swinton J, Ochu E, The MSI Turing’s Sunflower Consortium2016

Phototropic solar tracking in sunflower plants: an integrative perspective Ulrich Kutschera and Winslow R. Briggs Annals of Botany 117: 1–8, 2016