Juglandaceae ; Juglans

nux-trinoix

Dans la chronique sur les Juglandacées, la famille des noyers et des caryas, nous avons exploré quelques caractéristiques propres à une partie des membres de cette famille : la moelle cloisonnée, la richesse de la composition chimique et les fleurs unisexuées, fleurs mâles en chatons et fleurs femelles au bout des rameaux. Nous avions volontairement laissé de côté les fruits car leur étude révèle quelques surprises : les noix des noyers et caryas ne sont pas …. des noix au sens botanique ; de plus, on a du mal à les ranger dans une catégorie claire ; toutes les noix des juglandacées ne sont pas équivalentes ; toutes les juglandacées ne produisent pas des noix. Bref, un beau casse-tête … une image qui nous permettra de terminer sur une pirouette métaphorique !

Les noix ne sont pas des noix

Ce jeu de mots s’appuie sur les différences de point de vue. En langage populaire, la noix du noyer a servi de modèle pour désigner tout fruit ou toute graine avec une coque dure (et qui plus est le plus souvent comestible !). Cette définition ne peut satisfaire le botaniste rigoureux qui ne peut se permettre de mélanger ainsi fruits et graines s’il veut réellement appréhender les parentés entre espèces. Pour le botaniste, le fruit est l’organe qui est issu de la transformation de l’ovaire (et uniquement de celui-ci) et il contient une ou des graines.

En botanique, une noix est un fruit sec simple à une seule graine dans lequel la paroi de l’ovaire entière devient dure, enfermant la graine libre ou pas à l’intérieur ; la plupart des « vraies noix » ne s’ouvrent pas. On voit bien que si la noix du noyer a bien une coque dure et ne contient bien qu’une seule graine (le cerneau), elle possède par contre une enveloppe charnue qui l’entoure, le brou vert qui noircit à maturité. La présence de ce brou exclut donc les noix de la catégorie « vraies noix ». En se limitant à notre flore, on trouve des « vraies noix » chez les chênes (glands), les hêtres (faines), les noisetiers ou les châtaignier (châtaignes). Chez ce dernier, la bogue épineuse ne fait pas partie du fruit puisqu’elle dérive de l’évolution d’un involucre, un groupe de bractées dans la fleur, et donc pas de l’ovaire.

Mais alors, si les noix ne sont pas des noix, qui sont-elles ?

Des trymas !!

Regardons la noix du noyer entière, avec son brou, telle qu’elle se forme sur l’arbre. On a en fait une sorte de « noyau » dur contenant une graine avec une enveloppe charnue, le brou ; voilà qui rappelle un type de fruits bien connu en langage botanique : les drupes, comme l’abricot ou la cerise. Il faut au préalable s’assurer que le brou appartient bien au fruit. La coque de la noix correspond à l’endocarpe, la couche interne de la paroi de l’ovaire ; le brou correspondrait au mésocarpe, la couche moyenne qui s’épaissit ; et la peau du brou, verte ponctuée de blanc, serait l’épicarpe, la « peau » du fruit. Oui, mais c’est oublier que, avant de devenir un fruit, la fleur femelle portait à sa base un calice et des bractées et bractéoles très réduites qui se trouvent incorporées dans la paroi du fruit ce qui en fait un vrai faux-fruit pour le botaniste puriste dans la mesure où il y a un peu plus que la paroi de l’ovaire. Alors, selon le degré d’appréciation et les ouvrages, on parle de drupe, ou de pseudo-drupe (ce qui semble préférable) et on a même créé un terme spécifique pour désigner les noix des juglandacées : un tryma ! Voilà un terme qui n’est pas près de passer dans le langage populaire !

Il y a noix et noix

D’aucuns vont gloser sur ces botanistes qui « coupent les noix en quatre » ! Sauf que si on étend l’observation aux « noix » produites par les proches parents des noyers, on découvre qu’en fait il existe trois types de noix au sein de la famille selon la manière dont se forme le brou : chez les noyers, le calice, les bractées et bractéoles ont fusionné avec le fruit ; chez les caryas, seules les bractées et bractéoles ont fusionné ; et enfin chez un genre tropical (Alfaroa), seul le calice fusionne. Autrement dit, au cours de l’évolution dans la famille, la « noix » est apparue trois fois indépendamment en donnant en apparence le « même fruit ».

Une preuve indirecte de la réalité ces différences se retrouve par exemple quand on compare les noix des noyers et des caryas. Chez les premières, la coque est plissée et le brou se déchire en se décomposant ; chez les secondes, la coque est lisse (au plus avec des crêtes) et le brou se sépare en quatre valves qui s’écartent presque jusqu’à la base. Elles se ressemblent beaucoup mais sont bien différentes. D’où l’intérêt (scientifique !) d’être rigoureux sur les mots !

Des noix zoochores

La noix seule finit à maturité par quitter son brou qui « s’ouvre » (voir ci-dessus). Qu’elle tombe au sol ou reste sur l’arbre, mise à nu, elle va attirer divers consommateurs car sa graine contient une forte concentration de substances oléagineuses énergétiques : des acides gras insaturés tels que l’acide oléique ou linoléique. Sous nos climats, les cueilleurs de noix (en laissant les humains de côté) sont soit des mammifères (écureuils, mulots, sangliers), soit des oiseaux (corneilles, geais, pies, pics). Comme la maturation a lieu en septembre-octobre, beaucoup de ces animaux ne consomment directement qu’une partie de ces noix en les rongeant ou en les brisant à coups de bec et vont cacher les autres soit dispersées une par une au sol, plus ou moins loin des arbres, à l’instar des geais (voir la chronique sur la dispersion des glands par les geais), soit groupées dans des caches comme le font les mulots. Elles serviront de provisions pour l’hiver car ces animaux savent les retrouver. Qu’ils en oublient quelques unes ou meurent pendant l’hiver, et une petite partie d’entre elles pourront germer au printemps et redonner de nouveaux noyers, loin de l’ombre des parents ! C’est le principe de l’ectozoochorie ou transport par les animaux à « l’extérieur » (sans les avaler). Fonctionnellement, les noix peuvent donc être assimilées à des « fruits » puisque au final ce sont bien elles seules (sans le brou) qui sont dispersées !

Des adeptes du vent

Ce mode de fonctionnement ne concerne pas tous les genres de la famille des Juglandacées. Une autre partie d’entre eux a recours à l’anémochorie, le transport des fruits par le vent. Ces genres produisent des fruits très différents, entièrement secs et pourvus d’une ou plusieurs ailes. Et là encore, comme pour les noix, on observe plusieurs modèles différents selon l’origine de ces ailes, preuve de l’extrême diversité qui existe au sein de cette famille ancienne et qui a connu une véritable explosion au cours de l’ère Tertiaire. Chez les ptérocaryas, grands arbres souvent plantés dans les parcs ou au bord de l’eau, les fruits sont groupés en longues pendeloques correspondant aux grappes de fleurs femelles ; chaque fruit est doté de deux ailes dérivées des bractéoles des fleurs.

Chez les genres exotiques Enghelardia et Oreomunna, les ailes proviennent des bractées trilobées ; chez Platycaria, les deux petites ailes dérivent de la fusion des bractéoles et d’une partie des sépales. Enfin, chez Cyclocarya, bien nommé avec son fruit sec entouré d’une aile circulaire, celle-ci provient de la fusion bractées-bractéoles.

La reconstitution de l’arbre de parentés de ces divers genres montre que la dispersion par le vent est ancestrale : l’ancêtre commun à toutes les juglandacées devait avoir des fruits ailés secs ; au cours de l’évolution du groupe, à trois reprises donc est apparue une nouvelle voie avec des noix et le mode originel des ailes a lui-même connu quatre évolutions différentes !

Des noix cérébrales

Pour terminer cette chronique « prise de tête », revenons à la case départ pour aller voir à l’intérieur des noix des noyers. Quand on casse une noix, on note qu’il y a quatre loges mais en fait, cet aspect provient de la présence de fausses-cloisons ayant la consistance de papier durci car il n’y a bien qu’un seul ovule, une seule graine donc ! Chez les noix des caryas, il n’y a d’ailleurs que deux chambres avec une seule cloison perforée au centre.

Pourtant, extérieurement, quand on observe une fleur femelle, on note deux stigmates bien visibles, preuve que l’ovaire d’un seul bloc (en forme d’outre) résulte de la fusion de deux éléments unités ou carpelles en une seule loge. On se dit alors : « ah oui, c’est pour cela que la coque a deux valves et la suture des deux correspond donc à la fusion des deux moitiés ». Et bien, non, ce serait trop simple ! Chaque valve correspond en fait à deux demi-carpelles : la fusion se situe donc au-dessus du milieu des valves !

La graine possède deux cotylédons (dicotylédones) divisé chacun en deux lobes contournés avec des replis (on retrouve ainsi le chiffre quatre observé au départ) ; en langage populaire, on dit que la noix a quatre cuisses ! Ca parle un peu mieux quand même !

Maintenant, pour calmer votre mal de tête, prenez le temps d’observer une noix « demi-ouverte » avec une valve enlevée : ne dirait-on pas une boîte crânienne (la coque) avec un cerveau, son cortex cérébral (les replis), ses méninges (la pellicule de la graine) avec même des vaisseaux. D’ailleurs n’appelle t’on pas cerneaux les demi-noix : étrange coïncidence ? Les Anciens ont depuis longtemps repéré cette troublante ressemblance et, en vertu de la croyance en la théorie des signatures, prescrivaient la noix contre … les maux de tête, les maladies de cerveau y compris contre la folie ou l’épilepsie. Or, les analyses chimiques modernes montrent que la noix contient des acides gras essentiels très favorables pour le bon fonctionnement du cerveau !

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Cerveau dans sa boîte crânienne ; euh, non, cerneau dans son endocarpe !

Sauvés donc : pour guérir le mal de tête engendré par cette chronique, il vous suffira de manger des noix !

 

BIBLIOGRAPHIE

  1. Evolution, Phylogeny, and Systematics of the Juglandaceae. Paul S. Manos and Donald E. Stone. Annals of the Missouri Botanical Garden. Vol. 88, No. 2 (Spring, 2001), pp. 231-269
  2. Phylogeny and evolution of angiosperms. Soltis et al. Ed. Sinauer Associates Inc. ; 2005

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le noyer commun
Page(s) : 196-197 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus
Retrouvez le noyer d'Amérique
Page(s) : 198-199 Guide des fruits sauvages : Fruits secs
Retrouvez le carya blanc
Page(s) : 200-201 Guide des fruits sauvages : Fruits secs