Entomophtora muscae

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Mouche domestique probable (ou espèce proche ?) sur une vitre mais en parfaite santé.

Parmi les divers organismes parasites susceptibles de s’attaquer aux insectes (parasites entomophages), les champignons figurent en bonne place avec notamment le groupe des Entomophtorales qui appartiennent au vaste ensemble des Zygomycètes au sens strict dans lequel figurent notamment les moisissures. Dans la famille des Entomophtoracées (littéralement « qui détruisent les insectes ») qui compte une douzaine d’espèces, l’une d’elles s’observe assez facilement et de manière assez surprenante ; elle parasite les mouches domestiques (Musca domestica) et bien d’autres espèces de mouches plus ou moins proches parentes et se nomme Entomophtora muscae. Elle provoque une muscardine, terme général désignant diverses maladies épidémiques affectant les insectes et dues à des champignons et qui se manifestent extérieurement par l’apparition d’un revêtement blanc cotonneux (muscardin désignant une dragée en provençal !). Donc, rien à voir avec l’amanite tue-mouches qui doit ce nom à son usage ancien comme insecticide car elle contient un poison, …. la muscarine !

Un halo blanc autour d’un cadavre tétanisé !

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Mouche parasitée par E. muscae collée sur une vitre de ma véranda avec, juste en-dessous le halo de spores qui se sont collées sur la vitre après leur projection.

Voilà le meilleur résumé pour décrire comment se manifeste ce champignon, au moins au stade final de son attaque, quand la mouche est morte ; souvent, ce sera sur une vitre que l’on pourra observer ce spectacle surprenant d’une mouche « momifiée », en apparence intacte (mais en fait quasiment vide à l’intérieur), collée par sa trompe au support, les pattes arrière étendues raides, les ailes écartées, le corps un peu soulevé et, surtout, un abdomen distendu, gonflé, marqué de traits blancs entre les segments : le voilà le champignon, ou plutôt la partie émergée de l’iceberg, celle qui permet la reproduction.

Le halo blanchâtre, particulièrement bien visible sur une vitre, d’environ 2 cm de diamètre, correspond au « nuage » de spores (conidies) libérées par les organes blancs faisant saillie au niveau de l’abdomen (conidiophores). Une seule mouche infectée peut en libérer près de 8000 !

Vous n’aurez des chances de voir une telle scène qu’en fin d’été et début d’automne, plutôt par temps humide: le cocktail température/humidité reste nécessaire au bon développement du champignon …. à l’instar des champignons des sous-bois ! Ponctuellement, on peut même assister à de véritables épidémies si vous êtes dans un lieu particulièrement infesté de mouches.

En pleine nature, faute de support révélateur du nuage de spores comme la vitre, il est plus difficile de repérer des mouches ainsi tétanisées ; mais, avec un œil aguerri, on les trouvera presque toujours au sommet des tiges des herbes. En effet, quand elles sentent venir la mort proche, les mouches infectées tendent à se déplacer le plus haut possible avant de se coller au sommet d’une tige.

Voyons le processus qui conduit à cette fin peu enviable.

Toucher une cible

L’infection peut se faire soit par contact direct avec une mouche déjà infectée mais aps encore au stade final, l’infection se développant dans la semaine qui suit ; l’autre voie possible passe par le contact avec les spores rejetées après l’issue fatale. En effet, dans les trois heures qui suivent la mort de la mouche infectée, les spores (conidies) commencent à être libérées avec un pic au bout de 10 à 12 heures ; elles sont libérées au sommet des minuscules organes blancs apparus entre les segments de l’abdomen. Leur émission se fait de manière explosive ce qui les projette à quelques centimètres ; ainsi, elles peuvent atteindre éventuellement une autre mouche ou être emportées par le vent. Au moment de leur projection, les spores se trouvent enveloppées d’une couche de cytoplasme qui sèche rapidement mais agit comme un point de colle qui permet l’adhésion de la spore sur la cuticule (la « peau » durcie) d’une mouche.

Une fois atterrie au bon endroit (sinon, elle est perdue !), la spore développe un disque adhésif qui renforce sa fixation. Dans les heures qui suivent, on voit apparaître à la surface de la cuticule de la mouche des fissures sous le point de fixation. La spore élabore une expansion à paroi fine en forme de poche qui s’introduit à l’intérieur du corps et se met à se ramifier en filaments (hyphes du mycélium).

Rongée de l’intérieur

Les filaments investissent en priorité les corps adipeux nutritifs et commencent à les consommer. En même temps, ils libèrent des éléments curieux formés d’un noyau entouré de cytoplasme mais sans membrane, des protoplastes ; ceux-ci se propagent dans tout le corps en circulant dans le liquide qui baigne la cavité interne du corps (hémocoele ; il n’y a pas d’appareil circulatoire). Les protoplastes s’installent partout et se construisent une membrane et produisent à leur tour des filaments. L’invasion devient donc générale dans les trente heures qui suivent l’installation et la curée interne peut commencer, doucement mais sûrement : les organes digestifs vont y passer à leur tour !

Au bout de 5 à 8 jours, la mort survient après que la mouche se soit dirigée vers un point haut (voir ci-dessus). Des sortes de racines (rhizoïdes) issues des filaments installés dans la tête sortent par la trompe et vont ancrer la mouche pétrifiée et presque vide au support. Les organes blancs producteurs de spores apparaissent alors au niveau de l’abdomen : la boucle infernale se referme !

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La mouche morte est collée par sa trompe ; les pattes arrière sont relevées et les ailes écartées. Une posture de mort qui fait froid dans le dos !

Il y a de la réserve

Si les spores ne réussissent pas à germer (autrement dit si elles n’ont pas atterri sur une mouche), elles restent vivantes 3 à 5 jours et peuvent alors se mettre à bourgeonner de nouvelles spores (des conidies secondaires) ; il peut même y avoir une troisième génération, tout aussi infectieuse que la première.

Dans le corps de la mouche, des éléments contenant plusieurs noyaux se forment et donnent des « corps dormants » capables de résister à l’hiver. Au printemps, ils peuvent germer à leur tour, stimulés par l’action des bactéries qui décomposent la cuticule riche en chitine de l’hôte. Ainsi, d’une année sur l’autre, l’infection reste possible à condition que les conditions soient réunies (voir ci-dessus).

A propos de conditions réunies, nous verrons dans une autre chronique (voir Un champignon manipulateur) que le champignon augmente ses chances d’atteindre un nouvel hôte en « manipulant » le comportement de ses hôtes et ce, de manière différente selon les espèces parasitées.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Introduction to fungi. Third edition. J. Webster ; R. S.W. Weber ; Cambridge University Press. 2007
  2. Invasive and developmental processes of Entomophthora muscae infecting houseflies (Musca domestica). Patricia J. Brobyn, N. Wilding. Transactions of the British Mycological Society. Volume 80, Issue 1, February 1983, Pages 1-8
  3. Seasonal Activity of Entomophthora muscae (Zygomycetes: Entomophthorales) in Musca domestica L (Diptera: Muscidae) with Reference to Temperature and Relative Humidity. D.W. Watson, J.J. Petersen. Biological Control. Volume 3, Issue 3, September 1993, Pages 182-190

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la mouche domestique et ses parentes
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