Gonepteryx rhamni

Le mâle du citron est le symbole de la première belle journée d’avant-printemps (parfois dès la fin janvier), une de ces journées qui annonce le printemps même s’il reste encore lointain : un éclair jaune qui patrouille à toute allure le long des chemins, à l’abri des haies, dans les sous-bois, en suivant les lisières. Il porte merveilleusement bien son nom avec sa livrée jaune citron vif sur ses ailes au contour géométrique, juste rehaussées d’un point orange vif sur les ailes postérieures. Les femelles d’un blanc verdâtre n’apparaissent souvent que plusieurs semaines plus tard. A quoi correspond ce curieux calendrier de vie avec un tel décalage des sexes et que signifie ce comportement de « mâles pressés » ? Une étude menée en Suède (1), non loin de la limite nord de son aire de répartition, a exploré ce cycle de vie et sa signification.

Mâle de citron en été (19 août) sur des fleurs de menthe aquatique

Bisannuel

Des émergences aussi précoces au tout début du printemps signent d’emblée une espèce de papillon qui hiberne au stade adulte ; ainsi, au moindre réchauffement même temporaire, ces adultes peuvent se réveiller et entrer en activité l’espace d’une journée puis se replonger en hibernation si la météo redevient froide (ce qui est le cas le plus fréquent). Ils peuvent même voler dans des paysages enneigés dès lors que la température extérieure est douce et qu’il n’y a pas de vent ! Un tel comportement se retrouve chez plusieurs vanesses dont le paon-du-jour (voir les chroniques sur l’hibernation de cette espèce). Contrairement aux mammifères hibernants, les papillons qui sont des « animaux à sang froid » (expression très inadaptée aux insectes qui n’ont pas de … sang !) ou ectothermes : chez eux, l’interruption de l’hibernation n’est pas un problème notamment parce que à l’occasion de ces sorties ils trouvent déjà des fleurs très précoces à butiner. Ils hibernent le plus souvent au milieu de tapis de feuilles mortes ou dans des massifs de houx ou de lierre à feuillage persistant.
Ces papillons qui volent si tôt au printemps sont nés à la fin du printemps précédent en juin-juillet ; ils sont restés actifs tout l’été et tout l’automne mais sans se reproduire avant d’entrer en hibernation. Ils ne vont s’accoupler que maintenant, à l’issue de cette émergence printanière et donner naissance ainsi à la génération unique qui passera l’hiver prochain ; et ainsi de suite. Ceci signifie que les citrons adultes peuvent vivre presque douze mois consécutifs ce qui est remarquable pour des papillons même s’ils en passent une bonne partie en hibernation !

Femelle de l’année butinant un oeillet des Chartreux (31 août)

Sexes décalés

Une étude menée en Suède (1) a analysé en détail ce processus d’émergence printanière précoce et ses conséquences. Il est évident qu’on ne peut pas transposer tels quels ces résultats à l’Europe tempérée ne serait-ce qu’au niveau des dates moyennes obtenues mais néanmoins le déterminisme reste le même. Sur trois ans de suivi, les chercheurs ont constaté que les tous premiers mâles émergent de 18 à 24 jours avant les toutes premières femelles ; on parle, comme chez les plantes, de protandrie (sexe mâle en premier puis sexe femelle) pour qualifier ce décalage temporel des deux sexes. Cependant, si on mesure le temps qui s’écoule entre les pics d’émergence des mâles et des femelles, ce décalage se rétrécit à 8 à 9 jours. Il n’empêche que le citron est bien l’espèce la plus protandre comparé notamment aux onze autres espèces de sa famille, les piérides.
Ces mâles qui sortent donc les premiers ont par ailleurs un comportement typique : ils patrouillent inlassablement d’un vol rapide les chemins, les lisières, les sous-bois ; s’il fait froid, ils s’accordent quelques pauses pour se chauffer sur un talus ou dans une clairière, à l’abri du vent, en penchant leurs ailes repliées sur le côté pour absorber le maximum d’énergie solaire et réchauffer leur corps.

2 mars : un mâle se chauffe au soleil en se couchant un peu sur le côté sur un talus en forêt (Boischaut/18)

Cette frénésie, typiquement masculine diront certaines, n’a qu’un but : être le premier à repérer une femelle qui vient juste d’émerger et se précipiter dessus pour avoir toutes les chances de s’accoupler et de transmettre ses propres gènes. Dans ce scénario, émerger en premier devient un avantage sélectif majeur puisque cela augmente fortement les chances de trouver une femelle non fécondée. Il s’agirait donc d’un processus évolutif favorisé par la pression de sélection sexuelle.

17 mars : accouplement ; noter les ailes abîmées du mâle qui a déjà beaucoup patrouillé alors que la femelle vient probablement juste d’émerger.

Anticipation

Cette différence de comportement selon les sexes suppose un développement différent en amont de l’émergence printanière. La capacité des femelles à voler au printemps ne s’exprime que si elles ont accumulé un certain nombre de journées plus chaudes alors que les mâles se montrent capables de voler dès la première belle journée même si auparavant les températures étaient très froides. Il y a donc une forte réactivité des mâles qui leur permet de sortir en premier. Même s’ils émergent tôt en saison, ils disposent sur le site d’étude suédois d’au moins une floraison intéressante, celle du tussilage très précoce et mellifère (voir la chronique sur cette plante). Donc, rien n’empêche les mâles d’êtres actifs tôt au printemps mais cela suppose qu’ils soient prêts pour s’accoupler dès qu’une femelle se présentera. Dès leur éclosion lors de l’été précédent, les organes sexuels commencent à fonctionner et ils commencent à fabriquer des spermatozoïdes, tout ne cherchant pas pour autant à s’accoupler à ce moment là. Cela signifie qu’ils doivent allouer une partie de leurs ressources alimentaires à cette préparation sexuelle en plus de la préparation à l’hibernation, ce qui n’est pas le cas des femelles (voir ci-dessous).

On observe d’ailleurs que pendant l’hiver les mâles perdent un peu de poids sans doute à cause de cet investissement sexuel en amont : pourtant, leur mortalité reste quand même identique à celle des femelles et ils profitent sans doute des floraisons précoces pour se ravitailler et se « requinquer » en vue du marathon qui les attend.

Femelles moins pressées

16 avril : une femelle vient juste de déposer deux oeufs sur ces jeunes feuilles de nerprun dans une haie ; la ponte ne dure que quelques secondes et la femelle se pose à peine !

De leur côté, les femelles suivent un développement différent : la fabrication des ovules ne commence qu’après l’émergence au printemps. Autrement dit, elles peuvent allouer toutes leurs ressources alimentaires au cours de l’été précédent à la préparation de l’hibernation. Quelque part, elles ne sont donc pas « pressées » d’émerger mais surtout elles doivent caler leur sortie avec le calendrier de développement des plantes hôtes qui vont nourrir les chenilles. En effet, le citron est une espèce dont les chenilles sont dites oligophages ne se nourrissant que sur le feuillage de quatre espèces d’arbustes de la même famille (Rhamnacées) : la bourdaine, le nerprun cathartique, le nerprun des Alpes et le nerprun alaterne ; les deux derniers étant localisés soit en montagne soit dans le Midi, dans une majorité de régions, le citron dépend donc des deux premiers avec une préférence marquée sur la bourdaine.

En moyenne, sur les trois de suivi dans l’étude suédoise, les femelles ont émergé environ deux semaines avant l’ouverture des bourgeons de la bourdaine : juste le temps de s’accoupler (mais çà ne traîne pas avec les mâles à l’affût !) et de mûrir ses œufs avant de pondre. Leur réactivité en fonction de l’accumulation de chaleur serait donc une adaptation qui évite une sortie trop précoce et trop décalée par rapport au cycle de vie de la bourdaine.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Early male emergence and reproductive pehenology of the adult overwintering butterfly Gonepteryx rhamni Sweden.
    C. Wiklund et al. OIKOS 75 : 227-240. 1996
  2. La vie des papillons. T. Lafranchi et al. Ed. Diatheo. 2015

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les nerpruns
Page(s) : 148 et 186 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus
Retrouvez la bourdaine
Page(s) : 146 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus