Sorbus domestica

Dans la majeure partie de son aire de répartition, le cormier est une essence forestière naturellement rare et souvent présente à l’état d’individus isolés ou de petites colonies très disséminées. Des craintes avaient été émises sur l’avenir incertain de telles populations naturelles de plus en plus fragmentées par les activités humaines avec le risque invoqué de la consanguinité et de l’absence supposée d’échanges génétiques entre individus éloignés les uns des autres. Une étude suisse remarquable vient de décortiquer les flux génétiques entre individus avec une précision … digne des montres suisses !

La reproduction du cormier

Les fleurs blanches simples et faciles d’accès du cormier sont disposées en corymbes aplatis. La floraison printanière abondante attire une grande diversité de pollinisateurs généralistes : mouches, syrphes, abeilles et bourdons. Pour une fleur donnée, les étamines mûrissent un peu avant les styles récepteurs du pollen (protandrie). Comme dans un corymbe donné, toutes les fleurs ne s’ouvrent pas en même temps et que d’un arbre à l’autre, la période de floraison varie un peu, les insectes pollinisateurs visitent régulièrement les cormiers fleuris.

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Floraison du cormier : des corymbes dressés de fleurs blanches étoilées.

Physiologiquement, le cormier est une espèce qui exige la pollinisation croisée (besoin du pollen d’un autre individu) ; cependant, en l’absence de pollinisateurs ou à l’occasion d’un épisode climatique défavorable pendant la floraison, l’autopollinisation reste possible comme mécanisme de secours.

Les fruits charnus en forme de petite poire semblent assez peu consommés par les oiseaux (notamment à cause de leur taille) ; arrivés à maturité, ils deviennent blets et tombent au sol, répandant alors une odeur fermentée. Ils attirent des petits mammifères (dont des carnivores comme renards et martres) mais aussi les chevreuils et les sangliers. Après digestion, les graines sont rejetées dans les excréments et donc ainsi dispersées à distance (endozoochorie).

Une étude grandeur nature à l’échelle individuelle

Dans le nord de la Suisse, près de la frontière allemande, depuis 20ans, les forestiers locaux suivent une population de cormiers sauvages disséminés sur un espace montagneux d’environ 100km2 ; le suivi, mené dans le cadre d’actions de conservation et de récolte de graines comme ressources génétiques, est tel que tous les arbres capables de se reproduire (189) ont été inventoriés, cartographiés et géolocalisés ; ils se trouvent en fait répartis en deux sous-populations dans des zones forestières dominées par le hêtre, à la faveur de pentes calcaires, séparées par des espaces cultivés ou habités, des vallées encaissées, … donc, un paysage hétérogène fragmenté et clairement dominé par les activités humaines. La densité est très faible (de 3 à 4 arbres pour 100ha) et la distance maximale entre deux arbres atteint 25km. Des prélèvements de bourgeons et de feuilles permettent de connaître les profils génétiques de ces individus et les fruits produits sont collectés en automne là aussi pour des analyses génétiques.

 

Toutes ces données accumulées permettent littéralement de pister d’une part la circulation du pollen et son devenir (pour une graine donnée, connaître le donneur de pollen qui a permis sa formation) et des graines (pour un jeune arbre, quel arbre a produit la graine qui lui a donné naissance) dans ce paysage hétérogène. C’est un exemple quasiment sans précédent compte tenu du caractère individuel de ce suivi sur un vaste territoire.

Une circulation du pollen à une échelle inattendue

La distance moyenne de déplacement de pollen ayant abouti à une fécondation (fruit avec graines) est de 1,2km ; cette moyenne élevée résulte de deux tendances strictement opposées : un grand nombre de déplacements proches dans un rayon de 200m (les échanges de pollen entre individus proches sont donc prédominants) mais aussi, de manière complètement inattendue, 33% des donneurs de pollen localisés à plus de 1km de l’arbre mère et 13 évènements de transport de pollen à grande distance (de 12 à 16km !). Les deux sous-populations pourtant nettement disjointes et séparées par de vastes espaces non boisés connaissent donc quelques échanges génétiques via cette circulation du pollen transporté par des insectes. Jamais auparavant, même en milieu tropical, on n’avait pu ainsi authentifié de tels déplacements de 16km. Cette répartition du pollen dans l’espace avec une « traîne très longue » est typique et se retrouve aussi dans les cas de dispersion par le vent.

Ce flux de pollen à travers les paysages permet donc potentiellement d’envisager la formation d’un certain nombre de graines génétiquement diversifiées même pour des individus très isolés, ce que l’on croyait quasiment impossible auparavant.

Pour expliquer de tels parcours du pollen, on peut s’appuyer sur le comportement des abeilles et bourdons qui sont connus pour avoir d’une part de grands rayons d’action et d’autre part pour leur fidélité à un type de fleurs quand celles ci sont nombreuses à un moment donné. Cela suppose qu’ils sont capables de repérer à distance les cormiers fleuris au milieu des peuplements boisés ce qui semble plausible si on prend en compte les micro sites où vivent les cormiers (pentes chaudes clairsemées).

Une dispersion des fruits qui n’est pas en reste

Le « pistage génétique » des graines a montré que celles-ci étaient régulièrement dispersées sur plusieurs centaines de mètres ; en fait les dix évènements récents de dispersion réussie de graines s’échelonnent entre 12m et …. 12 km, la plupart étant entre 1 et 2km. Si dans la plupart des cas observés, les déplacements ont eu lieu au sein de massifs boisés, il y a aussi des cas de vallées traversées entre un arbre producteur de fruits et le site d’implantation des descendants.

Comme pour le pollen, on suspectait la possibilité de déplacements à distance mais pas avec une telle ampleur pour des arbres aussi disséminés. Des études menées dans d’autres pays sur des agents de dispersion tels que cerfs, chevreuils et sangliers montrent que ces animaux ont de très grands rayons d’action et que 12km n’est sans doute pas le maximum possible.

Malgré ces valeurs qui redonnent de l’optimisme quant à l’avenir d’une telle espèce, force est de constater que la régénération naturelle reste bien limitée et très rare. La faible production de fruits contenant peu de graines, liée sans doute à un recours prédominant à l’autopollinisation, est certainement un facteur limitant. Mais l’évolution observée des peuplements boisés vers des milieux de plus en plus fermés semble encore plus limitante car elle réduit considérablement le nombre de sites d’installation des jeunes plants qui ont besoin de sites éclairés et chauds.

Un paysage fragmenté est-il un obstacle ?

L’autre intérêt de cette remarquable étude, outre l’échelle spatiale retenue, c’est de porter sur un paysage très hétérogène avec une topographie contrastée, des zones cultivées étendues et des zones habitées. Une comparaison des flux observés avec des modélisations a permis de dégager quelques pistes quant à l’impact de la structure du paysage sur la circulation du pollen notamment. Les milieux ouverts (cultures) et les zones habitées semblent renforcer la longueur des déplacements des pollinisateurs : les corridors ouverts facilitent la circulation des insectes pollinisateurs vers les zones boisées surtout si les cormiers fréquentent plutôt les lisières. Même les vallées encaissées ne semblent pas des obstacles infranchissables à la dispersion du pollen : elles imposent aux insectes des vols plus longs.

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Exemple de paysage (Auvergne) de moyenne montagne très fragmenté avec de nombreuses lisières forestières et boisements clairs potentiellement favorables au cormier.

Cette superbe étude nous montre que des cormiers même très éloignés les uns des autres peuvent rester connectés génétiquement dans un paysage fragmenté et dominé par les activités humaines, résultat d’autant plus inattendu pour une espèce non pollinisée par le vent mais par des insectes. La fragmentation des espaces boisés a en fait commencé dès le Néolithique et nombre d’essences forestières naturellement rares ont réussi à subsister dans un environnement plus fragmenté.

BIBLIOGRAPHIE

Frequent long-distance gene flow in a rare temperate forest tree (Sorbus domestica) at the landscape scale. U Kamm ; P Rotach, F Gugerli, M Siroky, P Edwards and R Holderegger. Heredity (2009) 103, 476–482.

Open areas in a landscape enhance pollen-mediated gene flow of a tree species: evidence from northern Switzerland. U. Kamm • F. Gugerli • P. Rotach • P. Edwards • R. Holderegger. Lanscape Ecology ; 2010. DOI 10.1007/s10980-010-9468-z.

A retrouver dans nos ouvrages

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