Sorbus domestica

Beau cormier (en haut ; en bas, un merisier) sur le coteau du Puy de Loule, versant de Beauregard-Vendon, face à la Chaîne des Puys

Depuis ses origines, l’espèce humaine a entretenu des liens privilégiés pour sa survie de chasseur-cueilleur avec divers arbres sauvages producteurs de fruits comestibles. Une majorité  se trouve dans la famille des Rosacées : amandiers, pêchers, pommiers, pruniers, cerisiers, poiriers, abricotiers, néfliers. Nombre d’entre eux d’entre eux ont été domestiqués, sélectionnés et largement transformés en vue de produire plus de fruits de meilleure qualité ; cependant, quelques espèces ont « échappé » à cette emprise de l’Homme sans doute parce qu’elles n’étaient pas si appétissantes  ou que leur cycle de vie ne permettait pas de les transformer facilement. Le cormier fait partie de ce groupe des « fruitiers sauvages » : bien connu des anciens de la campagne, il est largement tombé dans l’oubli au point d’être en voie de disparition sur une partie de son aire de répartition. Découvrons donc cet arbre sympathique qui vaut le détour, y compris pour une petite dégustation !

Bouquet de cormiers sur les coteaux de Prompsat (63)

Un sorbier !

Floraison du cormier : il ressemble alors beaucoup au sorbier des oiseaux

Sorbus domestica : le nom latin du cormier interpelle immédiatement. Domestica : on comprend au vu de l’introduction, même s’il est resté largement sauvage. Sorbus : pour les botanistes, il ne fait aucun doute qu’on doit le ranger dans le même genre que le sorbier des oiseleurs (S. aucuparia), que l’alisier torminal (S. torminalis) ou que l’alisier blanc (S. aria). On voit que la nomenclature latine ne se chevauche pas forcément avec la nomenclature populaire puisque trois noms différents recouvrent la même entité Sorbus : alisier, sorbier et cormier ! Avec ces trois cousins proches (et bien d’autres si on élargit à la planète), il partage des feuilles caduques alternes et des fleurs blanches disposées en bouquets ramifiés (corymbes), ressemblant à celles d’autres rosacées comme le pyracantha ou l’aubépine avec de nombreuses étamines. Ils produisent tous des fruits charnus colorés contenant quelques pépins assez gros enveloppés dans des parois un peu durcies (cartilagineuses).

Par contre, il y a divergence au niveau de la forme des feuilles pouvant aller de simples à composées. Celles du cormier se rapprochent du sorbier des oiseleurs : composées de 7 à 11 folioles dentées au bout (la base reste entière) et typiquement blanchâtres cotonneuses dessous quand elles sont jeunes ; le feuillage jeune apparaît ainsi blanchâtre avant de progressivement perdre cet aspect et devenir glabre.

Bel arbre

Les cormiers des haies, certainement pour la plupart plantés par les anciens ou tout au moins entretenus ont un port d’arbre pouvant atteindre vingt mètres avec un tronc droit et un houppier en forme de boule assez typique. Le tronc porte une écorce noirâtre qui se fractionne en petites écailles, presque carrées, un peu à la manière du poirier. Quand les feuilles sont tombées, le meilleur moyen pour le reconnaître repose sur ses bourgeons assez gros, verdâtres et avec une surface lisse mais visqueuse.

En situation vraiment sauvage, il habite les boisements secs de chênes pubescents (le chêne noir ou truffier) sur calcaire et prend alors souvent un port bien moins altier et ressemble plus à un baliveau. Heureusement, cette essence possède une forte longévité pouvant vivre jusqu’à 600 ans ce qui permet à ces individus de se maintenir longtemps … tant que la tronçonneuse ou la pelleteuse n’entrent pas en action ! Ceci reflète sa situation régionale en forte régression comme c’est le cas en Auvergne. Cette essence a des affinités nettement méridionales et fréquente les chênaies méditerranéennes ; elle réussi à se naturaliser à l’état semi-sauvage sur les coteaux boisés de Limagne … avant l’avènement du vignoble auvergnat qui a réduit considérablement les boisements propices.

Cormes

Des quatre sorbiers cités, le cormier détient la palme des fruits les plus gros : on dirait des mini-poires de 1,5 à 3cm de long. Jaunâtres à jaune doré au début, elles deviennent progressivement tachetées et rougissent plus ou moins avant de devenir toutes brunes ou bleutées à maturité complète. Sous la peau qui se détache bien, on peut alors humer la chair jaune à brune, pâteuse et délicieusement parfumée.

Belle occasion de faire une expérience unique : goûter des cormes. Il faut choisir des fruits presque blets, en dépit de leur apparence moins appétente, à la manière des nèfles. Ils développent en bouche une saveur vineuse (liée au début de fermentation) délicatement acidulée sucrée. Un mets très fin qui se mérite vu sa taille ! Par contre, si vous essayez de croquer un fruit encore jaune ou rouge, la sensation est toute autre : une astringence marquée vous saisit à la gorge comme quand on veut manger des prunelles pas mûres ! D’ailleurs, sorbier vient de sorbere, boire car c’est ce qu’on a tout de suite envie de faire à cette occasion ; cela concerne surtout le sorbier des oiseleurs encore plus astringent ! Les animaux sauvages consomment ces fruits et participent à leur dispersion : une chronique est consacrée à cet aspect de la biologie du cormier.

Autrefois, où toute ressource naturelle était bonne à prendre pour assurer la jonction alimentaire avec le printemps, on récoltait les cormes pour les sécher et les incorporer dans le pain ; ou bien on les séchait pour les consommer comme des pruneaux. On peut aussi en faire de la confiture.

Curmé

Feuillage du cormier

Selon P. Lieutaghi, célèbre ethnobotaniste, la corme serait l’un des plus anciens fruit à boisson d’Europe tempérée et son usage a perduré jusqu’au 18ème siècle avant de sombrer progressivement dans l’oubli. On préparait une sorte de poiré, le cumi, cormé ou curmé, boisson fermentée à la manière du cidre ; souvent, on ajoutait du cormé au jus de pomme fermenté pour éclaircir le cidre, lui communiquer la finesse du goût des cormes et augmenter le taux d’alcool. On obtenait donc une sorte de cervoise, nommée curmus en gaulois. Le cormé passait pour plutôt abrutissant sans doute à cause de son degré d’alcool plus élevé. En mettant les cormes à fermenter dans de l’eau avant le blettissement, on obtenait aussi une eau-de-vie.

Cette tradition remonte aux Romains qui ont du largement propagé cet arbre en culture ; depuis les vergers, il a pu ensuite s’échapper et se naturaliser éventuellement. On lui prêtait aussi des propriétés avérées anti diarrhéiques comme l’indique ce extrait d’un traité de botanique du 18ème siècle :

« Les Sorbes sont astringentes comme les Neffles, mais un peu moins ; lorsqu’elles sont encore rouges, si on les coupe et les sèche au soleil ou au four, elles resserrent quand on les mange, ce que fait aussi leur décoction ; leur nourriture n’est pas bonne ; car elles font un mauvais sang ; elles sont utiles à la diarrhée et dysenterie, comme aussi aux dévoiements d’estomac, aux pertes de sang des femmes, et à ceux qui le crachent. »

Le bouturage de racines est une bonne manière de le multiplier : on déterre un tronçon de racine que l’on plante comme une bouture en veillant à respecter le sens biologique (haut/bas). Sinon, il se greffe aussi sur aubépine, poirier ou cognassier.

NB : Un lecteur, M. Duveau, habitant en Auvergne sur les côtes de Clermont-Ferrand m’a fait part de sa propre expérience avec les cormes : « Cette année j’ai fait une belle récolte, intégrée à un mélange raisins pommes. Ça fermente bien, pour en faire une boisson légèrement pétillante. »

Bois de fer

De tous les sorbiers, le cormier procure le bois le plus apprécié et d’une remarquable qualité : très dense et dur avec un grain très fin, il offre une belle couleur brun rouge très élégante. Travaillé, il prend un aspect de marbre et résiste aux frottements : autrefois, c’était le bois principal pour fabriquer toutes sortes d’engrenages de moulins et de meules, de vis de pressoir, d’armatures de roues de chariots, …. On l’apprécie toujours en lutherie, pour les crosses de fusil, les manches de couteaux, les instruments de mesure, … du coup, le cormier connaît désormais un certain renouveau avec des plantations locales pour la production de ce bois rare et très cher. Il se prête bien notamment à la culture en agroforesterie, sa floraison attirant en plus de nombreux insectes pollinisateurs.

On voit donc que cet arbre apportait beaucoup aux Anciens. Les anglais le surnomment Service Tree mais c’est un faux ami : il vient du mot serves, obsolète, lui-même dérivé du vieil anglais syrfe associé au latin Sorbus. Cela ne l’empêche pas quand même d’être un arbre de bon service !!

Voilà donc un bel arbre à réhabiliter. Au lieu de planter tous ces arbres exotiques sans histoire et aux feuillages parfois improbables, pourquoi ne privilégie t’on pas de telles essences locales ; au passage, le cormier pourrait en profiter pour se réchapper de nouveau dans la nature et revenir sur ses anciens fiefs !

BIBLIOGRAPHIE

  1. FLORE FORESTIERE FRANCAISE Guide écologique illustré. J.C. Rameau et al. IDF. 2008
  2. LE LIVRE DES ARBRES ET ARBUSTES ET ARBRISSEAUX. P. Lieutaghi. Ed. Actes Sud. 2004

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le cormier
Page(s) : 204-05 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus
Retrouvez l'alisier blanc et le sorbier des oiseaux
Page(s) : 114-117 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus
Retrouvez l'alisier torminal
Page(s) : 216-17 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus