Cakile maritima

Le caquillier est une des rares plantes à fleurs à fleurir « sur » la plage même s’il reste confiné tout au sommet au contact de la dune

La roquette de mer ou caquillier maritime fait partie des rares plantes à fleur que l’on peut observer même en se dorant au soleil au bord de la mer. Roquette rappelle son appartenance à la famille des Crucifères ou Brassicacées et caquillier son nom latin, Cakile, dérivé lui-même d’une appellation arabe ! Elle colonise en effet le haut des plages, là où les marées de vives eaux de l’équinoxe de printemps atteignent leur plus haut niveau, au pied des dunes, dans ce no man’s land en remaniement permanent, le sommet de l’estran, la zone régulièrement couverte et découverte par les marées. Là, la roquette de mer apparaît sous forme de touffes plus ou moins éparses qui, rapidement, accumulent du sable soufflé par le vent à leur pied, donnant naissance à des micro-dunes, ébauches fragiles de l’avant dune qui peut, si la situation locale le permet, évoluer lentement vers une vraie dune stabilisée. Elle ne vit que quelques mois, germant au printemps et se desséchant en début d’automne et réussit à revenir chaque année sauf si une végétation trop dense s’installe et l’élimine de facto ou si un piétinement massif l’en empêche : elle est une super-pionnière, éphémère à l’échelle individuelle mais très opiniâtre à l’échelle de ses populations, toujours prêtes à se réinstaller ou à coloniser de nouveaux espaces ouverts créés par des perturbations humaines ou naturelles (tempêtes, érosion par le vent, …). Comment cette plante réussit-elle à se maintenir ainsi dans cette arène instable, hostile (sel, vent, sable, sécheresse, vagues, …) et à coloniser inlassablement de nouveaux sites ?

Il forme souvent des peuplements linéaires formant un ourlet qui souligne le contact mouvant de la plage et de la dune

Dur, dur, …

Avant de se propager, il faut d’abord survivre et prospérer dans son milieu de vie aux conditions extrêmes (1). Premier aléa majeur : le sel. La roquette de mer se comporte comme une plante des terrains modérément salés (halophytes) : elle tolère la présence de sel et réussit à s’en accommoder, condition indispensable pour se maintenir dans ce milieu aspergé d’embruns et régulièrement léché voire inondé par les plus hautes marées ; son optimum de croissance se situe autour de 50 à 100 millimoles/litre de chlorure de sodium (le « sel de mer »). A des concentrations plus fortes, sa croissance diminue progressivement et finit par être inhibée.

Second aléa majeur : le sable en mouvement. Sous l’effet des vagues et du vent, le sable du haut de la plage se trouve sans cesse remanié et notre jeune roquette risque rapidement d’être enfouie sous le sable qui s’accumule à son pied, devenu un obstacle. La jeune plante adopte d’abord un port dressé avant de rapidement étaler ses rameaux latéraux à l’horizontale ; quand ces derniers se trouvent enfouis, cela provoque l’apparition de nouveaux rameaux verticaux qui se redressent. Ainsi, étage par étage, notre touffe de roquette gagne en hauteur et accroît même le nombre de ses pousses florifères et donc son potentiel reproducteur, tout en s’appuyant sur le sable entassé. Elle peut ainsi supporter une progression de la hauteur de sable de 5 cm/semaine et provoquer la formation d’un monticule dont elle devient le centre vivant.

Touffe ensablée mais qui surmonte cette difficulté en s’appuyant sur le sable pour s’étaler

Troisième aléa : le manque d’eau et de nourriture. Le sable (ou les graviers et galets) dans lesquels pousse la roquette ne retiennent absolument pas l’eau en surface sans parler du vent violent desséchant et des ardeurs directes du soleil réverbéré par le sable. Ainsi, elle se retrouve en situation de stress hydrique. Face à cet écueil, elle s’appuie sur son feuillage et ses tiges un peu charnues, succulentes comme on dit, qui retiennent un peu d’eau. De plus, à partir d’une dizaine de centimètres de profondeur, il y a souvent de l’humidité permanente résiduelle, entretenue par le ruissellement depuis la dune et accessible aux racines assez profondes et ramifiées. Ce milieu se caractérise de plus par la rareté (voire l’absence totale) de la matière organique en décomposition (absence d’humus) vu son instabilité ; souvent, la roquette s’installe sur la ligne d’échouage des laisses de mer avec les dépôts d’algues qui se décomposent rapidement et apportent une bonne dose d’azote qui agit comme un coup de fouet nutritif au printemps juste après la germination des graines de la roquette et la croissance des jeunes plantules.

Fusée à deux étages

Pour se propager et se disperser, la roquette de mer ne peut faire appel qu’à ses fruits et graines puisqu’elle se comporte en annuelle à durée de vie brève (six mois en moyenne) ; tout au plus, certaines touffes peuvent-elles survivre deux ans (on un peu plus dans le bassin méditerranéen).

Ses fruits sont des silicules typiques de la famille mais sur un format très inhabituel. D’abord verts et charnus, dressés, longs de 2 à 2,5cm, ils virent au brun et jaune tout en devenant durs avec une consistance liégeuse. A maturité, ils se distinguent par la présence de deux segments très inégaux. Le supérieur (celui qui termine le fruit) prend la forme d’une mitre atteignant 1,5 cm de long, prolongée en bec court et articulée par sa base avec un segment inférieur très court. Une plante de taille moyenne peut porter des milliers de fruits : entre 5 et 10 000 pour des touffes bien fournies.

Parfois, pour les touffes très volumineuses à croissance très rapide, on peut assister à une autre forme de dispersion « globale » : la plante entière sèche sur pied, se détache à sa base et peut être roulée par le vent ; ce sont les virevoltants évoqués dans une autre chronique. Cette voie de dispersion reste cependant exceptionnelle chez le caquillier et souvent les fruits sont déjà tombés à ce stade !

Cette structure double du fruit cache en fait une « arme secrète » du caquillier quant à son mode dispersion : les deux segments différents dans leur morphologie se montrent en fait encore plus différents dans leur devenir et leur fonction dans le cycle de vie de la plante (2).

Graines du bas et du haut

Généralement, chaque segment ne contient qu’une graine ; au départ de sa formation, le jeune fruit en contient quatre et deux d’entre elles ne se développent pas ensuite. Cependant, on peut en trouver deux voire même trois ; on peut aussi constater leur absence notamment dans le segment inférieur qui prend alors la forme d’un pédoncule. En moyenne, le segment inférieur en contient plus que le supérieur et celles du segment inférieur ont nettement plus de probabilité d’avorter que celles du haut. Cette capacité à faire avorter les graines du bas permettrait de ne produire que des graines suffisamment grosses en fonction des ressources nutritives disponibles qui peuvent varier considérablement dans le temps et l’espace.

Les graines du segment supérieur s’avèrent du coup plus grosses en moyenne que celles du segment inférieur et donc plus performantes au moment de la germination avec un taux de survie des plantules plus élevé et une plus grande capacité à émerger du sable dans lequel la graine se trouve le plus souvent enfouie après son transport. Les graines viables pèsent en moyenne 9mg ce qui est assez élevé et résulte sans doute de la pression sélective vers des graines « grosses » pour surmonter cet écueil de l’enlisement dans le sable. Tout ceci traduit une adaptation à l’installation dans des zones où le sable bouge beaucoup, soit l’habitat préférentiel du caquillier, là où la concurrence est quasiment nulle.

La taille initiale des graines a son importance compte tenu de la brièveté du cycle de vie : pour produire de telles touffes en quelques mois, il faut avoir de bonnes réserves au départ !

Deux options

L’autre différenciation concerne le détachement du fruit pour permettre la dispersion. Expérimentalement, on peut montrer que les deux segments possèdent une forte capacité à flotter dans l’eau de mer et ce d’autant qu’elle est agitée grâce à leur consistance spongieuse et liégeuse ; ils peuvent ainsi potentiellement être transportés à grande distance par les marées et les courants marins. Ainsi (2), plus de 50% des segments testés flottaient toujours au bout de 70 jours, ce qui laisse une sacrée marge quant à la distance potentielle parcourue entre temps. Cette capacité de flottaison semble néanmoins varier d’une population à l’autre selon la taille moyenne des graines.

Le segment supérieur se détache assez rapidement avant même la maturité et de s’ouvrir pour libérer la ou les graines qu’il contient. Il a ainsi de grandes chances de voyager plus loin et de coloniser de nouveaux sites récemment libérés par des perturbations. Le segment inférieur reste quant à lui très longtemps accroché jusqu’à ce que la plante meure en automne ; il s’ouvre alors à maturité et libère la ou les graines contenues. Celles-ci auront donc beaucoup plus de chances de tomber au pied de la plante mère ou d’être un peu déplacées par le vent violent qui balaye souvent ces espaces mais auront tendance à se retrouver entassées les unes sur les autres.

Au final, selon les environnements, on constate que l’un ou l’autre des deux grands modes de transport (eau de mer versus vent) prédomine. Sur la côte atlantique du Brésil, la grande majorité des plantules apparaissent au printemps dans un rayon au plus de 3 mètres de la plante mère à cause d’un couvert végétal à base de grandes graminées qui freinent la progression au sol. Ailleurs, comme dans l’Atlantique nord, l’exemple de l’île de Surtsey, surgie des flots lors d’une éruption volcanique au large de l’Islande en novembre 1963 constitue un cas d’école ; moins de deux ans plus tard, la première plante à fleurs qui a débarqué sur cette île vierge de toute vie fut la roquette de la mer alors que les populations les plus proches se trouvaient à 20 ou 40 kms de là sur les côtes les plus proches.

S’installer

La relève est assurée mais toutes n’atteindront pas le stade adulte !

Se déplacer est un premier challenge ; reste ensuite à germer et à confirmer l’essai dans des conditions hostiles. Là encore, selon le segment, les graines vont avoir un comportement différent. Celles du segment supérieur présentent une forte dormance (incapacité à germer sur le champ) sans doute liée à l’épaisseur de la paroi du fruit ; ceci leur permet de voyager longtemps sans commencer à germer en route ce qui serait fatal en pleine mer. Le séjour dans l’eau de mer doit altérer progressivement l’enveloppe et lever la dormance jusqu’au débarquement sur une plage. Même après leur arrivée et avoir été enfouies probablement dans le sable vu la mobilité de ce milieu, les graines peuvent rester viables jusqu’à au moins dix ans, dans l’attente d’un remaniement éventuel favorable.

Par contre, les graines du segment inférieur, libérées plus tard rappelons-le, se montrent capables de germer plus rapidement : 15 à 20% des segments inférieurs semés expérimentalement germent immédiatement après leur détachement. Ceci s’expliquerait par leur moindre taille et le fait qu’elles ont plus de chances d’atterrir tout près dans un milieu qui a déjà fait ses preuves puisque la plante mère s’y est développée. A tous les niveaux, le caquillier ne met donc pas tous ses œufs dans le même panier mais les répartit en deux lots bien différenciés !

Cabotage côtier

La répartition de la roquette de mer suit les côtes atlantiques depuis la Norvège jusqu’au Portugal, tout au long des côtes des îles britanniques, les côtes méditerranéennes et deux sous-espèces distinctes occupent la Mer Baltique et la Mer noire. On comprend évidemment bien cette répartition linéaire le long des côtes par le processus de flottaison des segments des fruits qui suivent les courants marins ce qui est confirmé par la comparaison de marqueurs génétiques sur des individus prélevés tout au long de ces côtes (3). On retrouve les traces de la reconquête rapide vers le nord le long des côtes après la dernière grande glaciation quaternaire.

Une étude génétique de populations le long des côtes tunisiennes (4) apporte un autre éclairage. Chaque population présente une assez forte diversité génétique ce qui suppose des colonisations répétées. Par contre, la comparaison entre populations révèle trois grands ensembles qui peuvent s’expliquer d’après la direction des principaux courants marins qui « regroupent » les fruits à la dérive sur certains secteurs.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Biological flora of the British Isles n° 243 : Cakile maritima Scop. A.J. Davy et al. Journal of Ecology. Vol. 94. P. 695-711. 2006.
  2. Seed characteristics and dispersal of dimorphic fruit segments of Cakile maritima Scopoli (Brassicaceae) population of southern Brazilian coastal dunes. C. V. CORDAZZO. Revista Brasil. Bot., V.29, n.2, p.259-265,. 2006
  3. Historical biogeography in a linear system: genetic variation of Sea Rocket (Cakile maritima) and Sea Holly (Eryngium maritimum) along European coasts. G. Clausing*, K. Vickers andJ. W. Kadereit. Molecular Ecology. Volume 9, Issue 11, pages 1823–1833, November 2000
  4. Understanding the population genetic structure of coastal species (Cakile maritima): seed dispersal and the role of sea currents in determining population structure. MHEMMED GANDOUR et al. Cash Crop Halophytes: Recent Studies Volume 38 of the series Tasks for Vegetation Science pp 121-124

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le caquillier maritime
Page(s) : 290 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages