Cette chronique concerne l’une des fermes auvergnate gérée par le mouvement Terre de Liens dont les objectifs sont d’enrayer la disparition des terres agricoles, alléger le parcours des agriculteurs qui cherchent à s’installer, et développer l’agriculture biologique et paysanne.

Parmi les arbres vénérables exceptionnels (voir la chronique sur ce sujet) que j’ai observés sur la ferme des Préaux (Fleuriel, 03) il y en a qui m’a laissé pantois : une de ces rencontres rares même pour un naturaliste pourtant habitué du bocage. Il s’agit d’un frêne taillé en trogne (voir la chronique sur ce sujet), d’un certain âge et surtout d’un âge certain, avec une silhouette qui défie l’imagination. J’en ai aussitôt fait, dans ma tête, l’arbre totem de cette ferme au patrimoine naturel remarquable. Je vous invite donc à une visite guidée de ce « monstre » magnifique ! 

Tronche de trogne : ce n’est pas une insulte, loin de là !

De loin, on dirait deux arbres jumeaux mais en s’approchant, on se rend compte qu’il ne s’agit en fait, probablement, à l’origine que d’un seul arbre « séparé » au fil du temps en deux unités accolées. On note tout de suite les deux troncs massifs, puissants surmontés chacun d’un gros bourrelet d’où partent les bouquets de branches maitresses verticales. Cette silhouette nous indique qu’il a été décapité à l’origine à cette hauteur et ensuite taillé régulièrement (en général, on le faisait tous les vingt ans en moyennes) au niveau du bourrelet. 

Approchons nous encore pus près pour voir la partie centrale : elle a bien une base commune mais tout le cœur est décomposé, creux et rempli d’un terreau de bois. Sans le traitement en trogne, cet arbre serait mort depuis bien longtemps car le frêne n’est pas une essence à très forte longévité (contrairement aux chênes ou aux châtaigniers). L’arbre se consolide à sa base en « faisant du diamètre » au lieu de monter en hauteur ; il vieillit quand même ce qui explique le centre creux. Autant dire qu’un tel microhabitat (voir la chronique sur cette notion) constitue une oasis pour certaines espèces spécialisées dont les coléoptères dont les larves se nourrissent de bois mort (saproxyliques : voir l’exemple du morime ou du lucane cerf-volant), un groupe en très fort déclin général en Europe. 

En faisant le tour complet, je découvre une dernière bizarrerie étonnante : un gros appendice boursouflé d’où émerge une branche pourrie presque horizontale. C’est la trace probable du « palissage » auquel il a du être soumis dans sa jeunesse de trogne : on couche une jeune branche à l’horizontale ce qui permet d’étendre l’effet barrière de l’arbre envers les troupeaux. 

Je suis resté plus d’un quart d’heure à tourner autour de cette trogne, comme hypnotisé par toute cette histoire accumulée et de le sentir toujours en pleine forme ! Cependant, un tel arbre ne pourra survivre à moyen terme que si on retaille ses branches pour d’une part le soulager en terme de nourriture à prélever pour alimenter tout cette biomasse et d’autre part pour éviter qu’un coup de vent ne le « fende » en deux, profitant de sa fragilité interne. Cela suppose un savoir faire et du temps (l’ennemi numéro un de l’exploitant agricole !) : un chantier à envisager avec à la clé du bon bois de chauffage pour la ferme ? 

G. Guillot. Zoom-nature. 

Bibliographie 

https://terredeliens.org/auvergne.html