Panaphis juglandis

Cette chronique est dédiée à la biodiversité de la commune où je réside, Saint-Myon en Limagne auvergnate. Vous pouvez retrouver toutes les chroniques sur la nature à Saint-Myon en cliquant ici

Double rangée de gros pucerons tachés le long de la nervure centrale d’une feuille de noyer

Sans doute du fait des nombreuses substances chimiques que contiennent son feuillage, le noyer n’héberge que trois espèces de pucerons dont deux spécifiques de cet arbre ; j’ai photographié l’une d’elles, très caractéristique, aux Varennes-Hautes : le grand puceron du noyer. 

Les formes sans ailes de ce puceron attirent l’attention pour trois raisons : leur taille relativement grande pour un puceron (autour de 4mm), leur coloration jaunâtre avec des rangées de taches brunes rectangulaires alignées en travers et leur curieuse habitude de s’aligner en file indienne sur deux rangs opposés le  long de la nervure centrale sur le dessus de la feuille du noyer ! Ce sont toutes des femelles « vierges » qui accouchent de petits déjà formés sans s’accoupler (il n’y a pas de mâles à ce stade !). Les formes ailées, deux fois plus grosses et avec des ailes transparentes veinées de noir, n’apparaissent qu’en petit nombre : ce sont des mâles et des femelles qui vont s’accoupler et pondre des œufs qui passeront l’hiver. 

On pense que les motifs tachés leur offrent un certain camouflage et que leur couleur jaune fait penser à une décoloration de la feuille atteinte d’une maladie ce qui diminuerait les risques d’attaques de prédateurs compte tenu de leur position très exposée sur le dessus des feuilles. Apparemment, cette espèce n’est pas visitée par les fourmis bien qu’ils produisent du miellat. Sa présence sur un noyer semble exclure celle de l’autre espèce spécifique, toute verte : le petit puceron du noyer, que je n’ai pas encore observé sur Saint-Myon.

27/02/2024 Une lectrice, Solange Belon, vient de me signaler une observation documentée par de superbes photographies qui invalide ce que j’ai écrit ci-dessus : les grands pucerons du noyer sont bien visités par des fourmis qui viennent récolter leur miellat !

L’été dernier, j’ai pu observer et photographier des grands pucerons du noyer alors que je passais quelques jours dans la Nièvre. Je viens de lire votre article sur cette espèce, et vous y écrivez qu’ils ne sont pas visités par les fourmis, mais j’ai constaté le contraire. Il y avait une colonie de la fourmi à quatre points (Dolichoderus quadripunctatus) dans l’arbre, et j’ai pu voir leur présence autour des pucerons. Et ce qui m’a étonnée, c’est que dans l’article de wikipédia, il est écrit que ces fourmis ne défendent pas les pucerons contre les autres prédateurs, se contentant simplement de lécher le miellat sur les feuilles. Pourtant sur la photo, elles semblent tout de même les surveiller et les protéger.

Ce comportement est par ailleurs confirmé dans l’Encyclopédie des pucerons de l’INRAE.

Il restait en suspens la question de savoir si oui ou non ces fourmis participaient à la défense de ces pucerons envers des prédateurs éventuels. J’ai mené une enquête bibliographique et j’ai trouvé une publication récente de chercheurs ayant justement étudié cette question. Ils ont exposé des colonies de pucerons du noyer, visitées par cinq espèces différentes de fourmis pour leur miellat (une confirmation de plus !), à deux prédateurs potentiels : deux espèces de Coccinelles, la C. à deux points (indigène) et la C. asiatique (exotique introduite).

Ils ont alors observé une forte diversité dans les interactions fourmis/pucerons/coccinelles. Deux espèces de fourmis se montrent très agressives et éloignent les coccinelles : la fourmi échancrée (Lasius emarginatus) et … la fourmi à quatre points, observée par Solange Belon ! Une troisième espèce, la fourmi scutellaire (Crematogaster scutellaris) adopte un comportement rarement observé : quand les coccinelles se saisissent de ces pucerons, ces fourmis tentent de les tirer pour les « arracher » à leur prédateur ! Par contre, une quatrième espèce, la fourmi charpentière noire (Camponotus piceus) se montre elle très peu encline à la défense et fuit devant les coccinelles !

Cet exemple illustre merveilleusement bien la complexité et la diversité des réseaux d’interactions entre espèces !

Mille mercis à Solange Belon qui a pris le temps de me communiquer ses observations. Je vous invite à visiter son site de haute qualité artistique.

Elle montre que rien ne remplace l’observation directe.

N’hésitez pas, comme elle, à signaler des erreurs ou imprécisions dans les chroniques de zoom-nature : il y en a forcément plein vu l’évolution rapide des connaissances surtout sur les espèces peu étudiées.

Bibliographie

Fight and rescue or give up and flee? Behavioural responses of different ant species tending the mutualist walnut aphid Panaphis juglandis to native and exotic lady beetles. Enrico Schifani et al. Bulletin of Entomological Research , First View , pp. 1 – 6. 2023