Viscum album

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Récemment en effectuant une recherche sur le statut du gui en Auvergne, je suis tombé sur une petite phrase figurant dans la flore d’Auvergne de M. Chassagne (1956) « Du temps de H. Lecoq (19ème siècle), le gui était très commun sur les sapins du Mont Dore et utilisé pour nourrir les bestiaux » ! Mon premier réflexe fut la surprise compte tenu de réputation de plante très toxique qu’à le gui. Une rapide recherche sur le net m’a définitivement convaincu du contraire ; c’est ainsi que naissent les chroniques : on tire sur un fil ténu et on trouve au bout une grosse pelote passionnante à démêler. Donc, oui, le gui a bien été une plante fourragère très largement utilisée et depuis très longtemps, et bien au-delà de l’Auvergne.

Fourrages d’hiver

Cette histoire du gui s’inscrit en fait dans une pratique plus large bien documentée en Europe centrale et du Nord (1) et qui remonte au Néolithique, soit au moins 10 000 ans : les fourrages d’hiver. Avant l’avènement de la « culture » des prairies et de la récolte du foin et de son stockage pour l’hiver, les éleveurs préhistoriques « exploitaient » des fourrages d’hiver naturels pour nourrir leur bétail en hiver, gardé à l’abri dans des étables vu le climat rigoureux dans ces régions avec une forte couverture neigeuse. Il s’agissait surtout de feuilles d’arbres feuillus récoltées en été et mises à sécher (hêtre, charme, frêne, érables, tilleul, aulne, …) mais aussi de brindilles collectées en hiver ou de la litière de feuilles mortes fraîchement tombée en automne.

On connaît toute une batterie d’outils spécifiques datés de l’âge du Bronze ressemblant à des serpes emmanchées et qui étaient dédiées à cet usage ; les faucilles et faux ne sont apparues que plus tard. Ces pratiques ont du avoir des conséquences importantes sur l’évolution des milieux forestiers, par ailleurs pâturés à la belle saison (voir la chronique sur les feuilles mortes).

La preuve par la bouse

En attestent les fouilles archéologiques menées sur des sites de cités lacustres néolithiques en Allemagne, en Suisse ou en France (par exemple la Grande Rivoire près de Sassenage). Ainsi, sur un site du nord-est de la Suisse (2), daté par dendrochronologie (avec les cernes des arbres) 3380 avant J.C., on a retrouvé quatre bouses de vache « fossilisées » (coprolithes). L’analyse du contenu végétal a révélé de fortes quantités de feuillage et de brindilles de sapin. Les sapins abattus pour la construction étaient ramenés entiers au village et ébranchés sur place : rien n’était perdu ! Il faut savoir que jusqu’au début du 20ème siècle, on utilisait les rameaux de résineux comme fourrage d’appoint en Europe centrale. Mais on a aussi trouvé dans ces bouses fossiles des traces de feuilles de … gui. De même sur un autre site dans le sud-ouest de l’Allemagne (près du lac Federsee), on a aussi retrouvé des traces de gui dans des coprolithes.

On trouve aussi des restes de feuilles de ronce (arbrisseau au feuillage semi-persistant), du lierre, de la fougère-aigle. Les arbustes et arbrisseaux à feuillage persistant constituaient donc une ressource fourragère hivernale « sur pied ». En Europe occidentale, de la même manière, on a longtemps taillé des houx dans les zones de pacage (voir la chronique ethnobotanique sur le houx) pour que les animaux broutent les jeunes feuilles appétentes en hiver et au printemps.

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Ronce en hiver

Faucher le gui !

Les pasteurs néolithiques avaient du observer que les cerfs, quand ils pouvaient les atteindre, broutaient volontiers les touffes de gui ; en Autriche et en Allemagne, les chasseurs utilisent toujours des touffes de gui placées au sol pour attirer des cerfs sur des sites pour les tirer à l’affût.

Il n’empêche que la récolte devait être laborieuse, même avec de bons instruments de coupe : il faut donc désormais ajouter à l’image du druide et de sa faucille celle du pasteur préhistorique et de sa serpe ! Le gui ne devait être utilisée que comme complément pour des animaux ciblés comme les vaches laitières ou gestantes.

Si on reprend l’exemple suisse ci-dessus (2), on imagine que lors d’abattages d’arbres en hiver, on devait aussi récolter facilement du gui si l’arbre en était porteur ; à moins qu’on n’ait alors même sélectionné prioritairement de tels arbres ? Le cas suisse est doublement intéressant et rejoint la remarque qui m’a servi d’introduction : les sapins de montagne peuvent localement être fortement parasités par le gui, ou plutôt par une sous-espèce du gui spécialisée sur les sapins (subsp. abietis). Il existe une autre sous-espèce en Europe centrale avec des baies jaunes (subsp. austriacum) spécifique des épicéas, pins et mélèzes. Ces guis de résineux devaient avoir une importance capitale dans les régions de moyenne montagne au climat encore plus difficile en hiver.

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En montagne, le gui des sapins fournissait un complément alimentaire abondant

En France ?

P. Lieutaghi (3) rapporte quelques exemples régionaux de cet usage du gui. En Alsace, le gui de sapin (voir ci-dessus) était exploité dans certaines forêts (comme la forêt de Haguenau, forêt très ancienne qui au Moyen-Age s’étendait sur plus de 60 000 hectares) mais on le faisait cuire avant de le donner au bétail pour éviter les problèmes intestinaux. Tout près de là, dans les Vosges, un commerce local de collecte de gui de sapin à cet effet s’était mis en place.

En Gironde, on donnait aux porcelets à l’engraissage de la bouillie cuite de gui sous le nom de viscarade ou biscarade (ce qui laisse supposer qu’il devait aussi y avoir les fruits ?).

Voici ce qu’on peut lire dans un article daté de 1923 (4) :

« On ne doit pas dès lors s’étonner que, de temps immémorial, en Bretagne, Normandie, Touraine, Franche-Comté, dans les montagnes des Vosges, etc., beaucoup de cultivateurs donnent du gui à leurs bestiaux, qui s’en montrent très friands ; vaches, moutons, chèvres le consomment avec avidité, et s’en trouvent bien : c’est là, un fait d’observation journalière. »

Quid de la toxicité ?

La réponse à cette question tient en un mot : ruminant. Seuls les ruminants (mais voir ci-dessus le cas des porcs !), semblent pouvoir consommer régulièrement du feuillage de gui mais en quantités limitées à la fois. On conseillait (4) aux agriculteurs de « ne pas donner aux bestiaux des rameaux chargés de baies et d’alterner ce mode d’alimentation avec d’autres ». Des cas d’empoisonnement d’animaux ayant consommé des baies de gui ont été signalés sous la forme de complications gastro-intestinales.

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Les baies du gui sont plus toxiques que les feuilles

Il est bien connu que le gui renferme tout un arsenal chimique y compris dans son feuillage qui le protège justement des attaques des herbivores (surtout les insectes) : des lectines (1 à 5%), des agglutinines, des tanins (2 à 8%), de la viscotoxine, … toutes substances très étudiées pour leur propriétés médicinales puissantes dont des vertus anti-tumorales. Il faut supposer que la rumination avec sa phase de fermentation préalable doit atténuer ou annuler les effets toxiques de ces substances.

Bon pour la panse

Toujours dans la publication de 1923 (4), on pouvait lire dans le style très emphatique et enthousiaste de l’époque :

« Le gui constitue un excellent fourrage riche en azote, exerçant la plus heureuse influence sur la qualité et la quantité de lait. Isidore PIERRE, de la Faculté des Sciences de Caen, l’a démontré dans des expériences qui eurent il y a soixante ans, un certain retentissement. ….

Les essais auxquels MM. GENESIS et RAY se sont livrés plus récemment, confirment la pratique des agriculteurs ; ils avaient pour but de déterminer la valeur alimentaire du gui et d’en préciser, s’il y en avait besoin, la nocuité. Or il en est résulté que le gui exerce une influence favorable sur la richesse butyrique du lait sans causer aucun accidents : le 19 février avant l’expérience, la teneur du lait en matière grasse n’était que de 33g. par litre et le 27 mars, fin de l’expérience, la vache mangeant 6 kg de gui tous les jours, l’analyse du lait révèle 46 gr. 2 de matière grasse par litre. »

Une étude chimique complète (5) de guis prélevés sur trois espèces d’arbres porteurs (amandier, saule blanc et prunier) confirme en partie ces affirmations : le gui se distingue surtout par sa richesse en minéraux variés (dont du zinc) et son contenu relativement faible en fibres (300 g/kg contre 400 et plus pour les fourrages classiques). Des expériences d’incubation dans des sachets perforés placés dans les panses de vaches « à hublot » (avec une fistule permettant d’accéder à la panse directement) montrent que la dégradation s’effectue en moins de 48 heures. Selon les arbres porteurs, des petites différences apparaissent dans le contenu et la rapidité de digestion. Comparé à d’autres fourrages hivernaux potentiels (1), le gui s’avère leader pour sa richesse en azote (21g/kg) : viennent ensuite le lierre (17), un autre fourrage d’hiver très utilisé puis divers feuillages d’arbres (avec par exemple le frêne avec seulement 12g/kg) ; même le foin est « battu » avec 20g/kg.

Enfin, une étude (6) a exploré l’impact d’extraits de gui sur la fermentation dans la panse : ils semblent abaisser la production de gaz, effet sans doute lié à la faible teneur en fibres ou à la présence de tanins et de lectines qui agiraient sur la flore microbienne.

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Meuh oui ! Bonne année !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Livestock winter feeding in prehistory: role of browse leaves, annual twigs of woody plants, senescent grasses, Hedera helix and Viscum album. P. Hejcmanová, M. Hejcman, M. Stejskalová and V. Pavlu ; In : Forage resources and ecosystem services provided by Mountain and Mediterranean grasslands and rangelands. Edited by:
R. Baumont, P. Carrère, M. Jouven, G. Lombardi, A. López-Francos, B. Martin, A. Peeters, C. Porqueddu. OPTIONS méditerranéennes SERIES A: Mediterranean Seminars 2014 – Number 109
  2. Micromorphology and Plant Macrofossil Analysis of Cattle Dung from the Neolithic Lake Shore Settlement of Arbon Bleiche 3. Orni Akeret and Philippe Rentzel. Geoarcheology, vol. 16, 687-700 (2001)
  3. Le livre des arbres, arbustes et arbrisseaux. P. Lieutaghi. Actes Sud. 2004
  4. Le Gui. Sa biologie, ses usages et sa destruction. A. Letacq ; Revue de botanique appliquée et d’agriculture coloniale Année 1923 Volume 3 Numéro 22 pp. 377-397
  5. Nutrient composition of mistletoe (Viscum album) and its nutritive value for ruminant animals. H. Derya Umucalhlar ;; N. Gülsen B. Coskun, A. Hayirli ; H. Dural. Agroforest Syst (2007) 71:77–87
  6. Effect of methanolic extract of Viscum album on in vitro fermentation and digestibility of soybean meal. Niasati M, Palizdar, MH, Pourelmi MR and Pasha Chalandari H. Res. Opin. Anim. Vet. Sci., 4(7): 411-415. 2014

A retrouver dans nos ouvrages

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