Ilex aquifolium

Le houx commun fait partie des 6% d’espèces de plantes à fleurs chez qui les sexes sont entièrement séparés avec des pieds mâles, produisant des fleurs avec des étamines et sans pistil ou un pistil non fonctionnel, et des pieds femelles, produisant des fleurs avec un pistil et sans étamines ou à étamines réduites non fonctionnelles, séparés. Cette séparation des sexes, appelée dioécie (plante dioïque), implique que seuls les plantes femelles porteront des fruits puisque ceux-ci résultent de la transformation des ovaires et contiennent les ovules. De plus, les houx femelles produisent de nombreux fruits charnus, des drupes contenant plusieurs noyaux, coûteux à produire en terme d’investissement énergétique alors que les houx mâles n’ont à produire que du pollen bien moins coûteux. Alors quelles sont les conséquences sur la vie des deux sexes du fait de cette asymétrie dans le coût de la reproduction ?

Mâle ou femelle ?

Première question qui vient tout de suite à l’esprit dès lors qu’on parle d’espèce végétale dioïque : qui de la parité mâle-femelle ? Celle-ci, comme chez une majorité d’animaux s’exprime par le rapport des sexes ou sex-ratio en mesurant le rapport du nombre de mâles et de femelles dans une population donnée. Donc, une sex-ratio de 1/1 signifie que dans la population échantillonnée, il y a en moyenne autant de mâles que de femelles.

Notons d’emblée que le « sexe » même du nom sex-ratio semble débattu puisque selon les sources on nous dit nom masculin ou féminin alors que « la » référence, le dictionnaire Le Robert, affirme nom féminin. Alors, pour être dans le sens du temps, nous dirons la sex-ratio ! Dans le même ordre d’idée, dans le folklore populaire, le houx est considéré comme masculin même quand il porte des fruits (voir les deux chroniques sur les mots et les usages associés au houx).

Concrètement, cette mesure de la sex-ratio semble facile à effectuer mais comment distingue t’on un houx mâle d’un houx femelle selon les saisons ? En automne et en hiver, si l’arbre porte des fruits, alors pas d’hésitation, c’est un arbre femelle ; mais s’il n’en a pas, ce n’est pas pour autant forcément un mâle : ce peut être un arbre femelle trop jeune pour déjà produire des fruits ou bien un arbre femelle qui n’a pas fleuri ou très peu avec aucun succès de la pollinisation. Ces deux scénarios restent assez fréquents chez les houx : la maturité sexuelle s’avère assez tardive, l’arbre devant dépasser un certain âge ou une certaine taille pour fleurir et fructifier ; les arbres poussant sous un couvert dense très ombragé restent souvent longtemps sans fleurir par ailleurs. Donc, la seule bonne solution, c’est d’inspecter les houx au printemps (en mai-juin et jusqu’en août en altitude), au moment de la floraison et d’observer de près les fleurs.

Fleurs unisexuées

Floraison d’un rameau de houx (mâle)

Les fleurs du houx, quel que soit leur sexe, arborent quatre (parfois cinq) pétales blanc souvent teintés de pourpre ou de rosé, soudés à leur base et sous-tendus par quatre (parfois cinq) sépales. De petite taille (à peine 1cm), elles apparaissent en bouquets denses à l’aisselle des feuilles de l’année précédente sur les rameaux. Pour distinguer les sexes, il faut observer le centre de la fleur, là où se trouvent les organes reproducteurs. Les fleurs femelles se distinguent par la présence d’un ovaire verdâtre très proéminent surmonté d’un style court avec 4 à 5 stigmates, témoins du caractère composé de cet ovaire ; elles portent des étamines dont les anthères  ne produisent pas de pollen. Les fleurs mâles, elles, offrent quatre (ou cinq) étamines qui alternent avec les pétales et un pistil rudimentaire non fonctionnel au centre.

Ces fleurs sont visitées par des insectes, surtout des abeilles, qu’elles attirent par la production d’un nectar abondant (aussi bien les mâles que les femelles). Les visiteuses trouvent dans les fleurs mâles deux récompenses (pollen et nectar) alors que chez les fleurs femelles, elles ne peuvent récolter que du nectar. Cette première dissymétrie peut induire des distorsions dans les taux de visites des deux sortes d’arbres, les abeilles apprenant vite à repérer qui est qui, sur la base du « service rendu ».

Les fleurs mâles fanent ensuite rapidement et c’en est fini pour l’arbre mâle qui les porte : pas trop fatiguant (comme d’habitude diront certaines !). Les fleurs femelles fécondées vont devoir par contre nourrir leurs ovaires et les ovules qu’ils contiennent pour en faire respectivement des fruits charnus colorés et des noyaux durs assez volumineux : un partage des tâches nettement inégal !

Sex-ratio déséquilibrée ?

Une première étude sur deux populations en Grande-Bretagne en 1986 avait conclu à une sex-ratio de 1/1 ; deux ans plus tard (1), une seconde étude plus étendue sur sept populations conclut cette fois à un biais en faveur des mâles plus nombreux mais avec des interrogations quant à la validité du résultat : l’auteur se demandait si les arbres femelles en fleurissaient pas moins et à un âge plus avancé que les mâles. Autrement dit, on commençait déjà à supputer des différences de fonctionnement et de cycle entre les deux sexes.

Dix ans plus tard, en Espagne, dans la chaîne cantabrique, terre d’élection du houx avec son climat océanique, une autre étude (2) confirme sur deux populations différentes de nouveau un biais en faveur des mâles avec deux sex-ratios mesurées : 1,4/1 et 1,27/1. Pour autant, la mortalité des individus femelles est la même que celle des mâles : donc, la différence observée ne vient pas d’une surmortalité des femelles. Sur le terrain, la situation devient compliquée avec la propension du houx, là où il trouve des conditions climatiques favorables (voir la chronique sur le houx climato-sensible), à faire de nombreux rejets autour de lui avec des pieds satellites pouvant paraître indépendants mais en fait relevant du même individu génétiquement (clone). Si on recense la floraison sur la base des pieds individuels sans tenir compte de leur identité génétique, on observe un biais très net en faveur des pieds avec des fleurs mâles car les pieds mâles produisent en fait plus de rameaux notamment quand ils sont soumis aux attaques des herbivores tels que les cervidés ou du bétail. Ainsi, le biais en faveur des mâles résulte d’une différence de mode de développement entre les deux sexes. D’où l’intérêt d’aller voir plus en détail ce qui différencie mâles et femelles en dehors des fleurs et des fruits.

La beauté resplendissante des houx femelles en hiver !

Divergences

Plusieurs études menées en Espagne (2, 3 et 4) ont donc exploré ces différences en s’intéressant au fonctionnement physiologique en partant du constat que les houx femelles devaient allouer beaucoup de ressources à al reproduction que les pieds mâles. On aurait pu chercher des différences morphologiques mais ces arbres se distinguent par une forte variabilité entre individus (plasticité phénotypique : voir la chronique sur le houx climato-sensible) sans parler des fortes variations intra-individuelles au niveau des épines des feuilles : donc, si différences il y a, elles doivent être « noyées » dans cette gamme de variations et indiscernables. Par contre, la physiologie semble beaucoup moins plastique et c’est donc là qu’on pourra le mieux détecter de réelles différences.

La moisson de résultats confirme bien l’existence d’un véritable dimorphisme sexuel (différenciation des deux sexes) au niveau physiologique. Si on place des houx sous un double stress (pleine lumière et eau limitée), on constate que les mâles retiennent mieux l’eau qu’ils pompent dans le sol et la gèrent mieux (en agissant notamment sur les stomates des feuilles qui régulent l’évaporation de l’eau) ; les houx mâles réussissent donc mieux dans des sites moins favorables, plus limites alors que les femelles tendent à se cantonner dans des sites humides. Cette ségrégation se fait au moment des germinations et du développement des plantules. Si on analyse les cernes de croissance sur une période de trente ans, on découvre que le taux de croissance des mâles est toujours supérieur à celui des femelles : leurs cernes sont plus épais chaque année. Cette différence tient au fait que les femelles allouent une plus grande part des ressources qu’elles fabriquent via la photosynthèse en direction de la reproduction et investissent moins dans le « maintien ». Pourtant, l’efficacité photosynthétique des feuilles des branches de femelles non porteuses de fruits reste supérieure à celle des feuilles des branches des mâles !

Stratégies différentes

 

Les houx (surtout les mâles) tendent à produire des rejets autour d’eux et à former des fourrés denses

Les femelles investissent jusqu’à huit fois plus de biomasse (de matière vivante fabriquée) au niveau d’une branche vers la production de fleurs et de fruits que les mâles pour les seules fleurs. Cette différence majeure impose sélectivement aux femelles un mode de fonctionnement différent. Leurs « solutions » sont de plusieurs ordres. Dans une population donnée, elles tendent à produire moins de rejets et moins de rameaux, d’où l’impression qu’elles sont moins représentées (voir ci-dessus) ; elles utilisent plus efficacement les basses lumières pour produire des matières carbonées qu’elles investissent plus massivement dans la reproduction ; elles peuvent différer les effets négatifs d’une mauvaise période (en cas de stress de sécheresse par exemple) sur les années suivantes ; les fruits verts au début en été peuvent faire la photosynthèse et participer ainsi un peu à leur propre maturation et développement.

On voit donc ainsi se dessiner une subtile mais réelle différenciation des deux sexes qui va se traduire sur le terrain par une écologie différente et une répartition spatiale différente. Ce partage évite peut-être la compétition entre les deux sexes mais peut aussi, en situation difficile (comme le changement climatique) aboutir à des distorsions où l’un des deux sexes va se trouver plus en difficultés. Autrement dit, la dioécie, la séparation des sexes, n’est pas une panacée universelle ; elle est apparue à de nombreuses reprises de manière indépendante dans des lignées de plantes à fleurs (voir l’exemple de la bryone dioïque) mais ne s’est pas non plus généralisée. Les plantes à fleurs restent foncièrement hermaphrodites !

N.B. Pour terminer cette chronique, j’ai traduit un passage d’un ouvrage de Charles Darwin  » The different forms of flowers of the same species » paru en 1888 (P. 297-298) dans lequel il relate ses observations sur le houx ; elles traduisent merveilleusement bien le sens aigu de l’observation de ce naturaliste hors pair :

Dans les différents travaux que j’ai consultés, un seul auteur (Vaucher 1841) dit que le houx est dioïque. Pendant plusieurs années, j’ai examiné de nombreuses plantes, mais je n’en ai jamais trouvé une qui soit réellement hermaphrodite. Je mentionne ce genre car les étamines des fleurs femelles, bien que complètement dépourvues de pollen, sont, mais légèrement et parfois pas du tout, plus courtes que les étamines parfaites des fleurs mâles. chez ces dernières, l’ovaire est petit et le pistil est presque avorté. Les filaments des étamines parfaites adhèrent sur une plus grande longueur aux pétales que dans les fleurs femelles. La corolle de celles-ci est plutôt plus petite que celle des mâles. Les arbres mâles produisent un plus grand nombre de fleurs que les femelles. Asa Gray m’informe que Ilex opaca qui représente aux Etats-Unis notre houx commun, semble (à en juger d’après des fleurs séchées en herbier) partager les mêmes types de fleurs ; et ainsi en est-il, selon Vaucher, avec plusieurs autres espèces, mais pas toutes, de ce genre.

On notera sa remarque sur les arbres mâles plus prolifiques en fleurs que les femelles qui rejoint les observations ci-dessus.

Planche botanique : le houx

BIBLIOGRAPHIE

  1. Male predominant sex ratios in Holly
(flex aquifolium L., Aquifoliaceae)
 and Roseroot (Rhodiola rosea L., Crassulaceae). A. J. RICHARDS. Watsonia, 17, 53-57 (1988)
  2. SEX RATIOS, SIZE DISTRIBUTIONS, AND SEXUAL DIMORPHISM IN THE DIOECIOUS TREE ILEX AQUIFOLIUM (AQUIFOLIACEAE). JOSE ́ RAMON OBESO et al. American Journal of Botany 85(11): 1602–1608. 1998.
  3. Costs of Reproduction in Ilex Aquifolium: Effects at Tree, Branch and Leaf Levels. J. R. Obeso. Journal of Ecology. Vol. 85, No. 2 1997, pp. 159-166
  4. Gender, light and water effects in carbon isotope discrimination, and growth rates in the dioecious tree Ilex aquifolium. R. RETUERTO et al. Functional Ecology 2000 14, 529–537

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le houx et ses fruits
Page(s) : 64-65 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus