Smyrnium olusatrum

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Lilleau des Niges. Ile de Ré

Si vous avez déjà visité l’île de Ré au printemps (ou Noirmoutier ….), vous avez sans doute remarqué une plante très vigoureuse formant de vastes colonies notamment dans les zones de marais : une ombellifère robuste aux grosses tiges ramifiées, aux ombelles de fleurs jaunâtres et au feuillage vert foncé luisant qui rappelle un peu celui de l’angélique cultivée, le maceron noir. Méconnue du grand public, cette plante possède une très longue histoire liée à l’Homme et à la mer que nous allons retracer.

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Une répartition littorale

A l’échelle européenne, la carte de répartition est éloquente : le maceron se localise essentiellement sur les côtes d’une grande partie du bassin méditerranéen ; il remonte sur la façade atlantique jusqu’au Danemark ou l’île de Texel aux Pays-Bas au nord. En Grande-Bretagne, il se trouve presque toujours à moins de 20 kms des côtes avec une fréquence maximale dans la frange littorale des 2 kms tout comme en France sur la façade atlantique. On remarque que l’Italie toute entière est colonisée.

Le maceron peuple les falaises, les prés en bord de mer et dans les marais salants mais son habitat favori reste les bords de routes, les talus, les berges des fossés, les pieds des haies. On trouve aussi des stations ponctuelles plus vers l’intérieur (comme dans la vallée de la Loire en France) mais presque toujours à proximité de sites très anciens comme des monastères ou des châteaux médiévaux. Donc, on voit se dégager l’image d’une plante étroitement associée à l’Homme et aux habitats artificiels d’autant que pour s’établir il a besoin de sites ouverts au sol nu et enrichi en matières nutritives.

Une dispersion naturelle limitée ?

Certes le maceron produit des quantités de graines impressionnantes comme en témoignent ses peuplements secs sur pied (la plante meurt après la floraison) bien visibles en hiver : les ombelles sont couvertes de « graines » noires de 7 à 8 mm de long, globuleuses (qui lui valent le qualificatif de noir), inhabituellement grosses pour une ombellifère. Une plante bien développée peut en produire de 3 à 6000 jusqu’à 9000 ! Sur une île anglaise (2) de 25 hectares, on estimé la production de graines des 75 000 pieds présents à … 22 tonnes par an soit près de 450 millions de graines ! Compte tenu de leur forme et masse, elles tendent à tomber non loin du pied mère ; une partie reste accrochée tout l’hiver et peut être projetée un peu plus loin lors des coups de vent.

Pour une plante inféodée au bord de mer, on pense évidemment à la possibilité d’un transport par l’eau de mer ; des essais contradictoires indiquent d’assez brèves durées de flottabilité : 1,5 à 3 jours pour des graines fraîches mais jusqu’à 9 jours pour des graines sèches ; par contre, ces dernières germent beaucoup moins. Donc, il n’est pas sûr que la dispersion naturelle par la mer intervienne d’autant que la majorité des colonies ne se trouvent pas « juste » au bord de la mer ! Les colonies d’oiseaux de mer aux sols surenrichis en déjections lui sont très favorables pour installer ses peuplements mais les oiseaux ne participent pas à sa dispersion.

Il faut donc invoquer une autre source de dispersion pour expliquer une répartition aussi vaste et continue.Or, le maceron est un vieux légume doublé d’une plante médicinale complètement tombé dans l’oubli ; il a figuré longtemps parmi les légumes les plus prisés ! Et ce lien avec l’homme explique largement sa répartition actuelle.

Maceron, un drôle de nom ?

Comme toute plante populaire, le maceron a connu au cours de son histoire diverses  appellations . Maceron dérive de l’italien macerone qui signifie « originaire de Macédoine », du nom de ce royaume antique qui couvrait une partie de la Grèce actuelle. De même, le nom anglais, Alexanders, dériverait soit d’Alexandre le Grand soit de la ville d’Alexandrie en Egypte.

Dès l’Antiquité, le maceron apparaît dans les textes des grands auteurs sous divers noms repris par la suite : olusatrum ou holisatrum (atra pour noir à cause des graines). On le rapprochait alors du céleri sauvage, une autre ombellifère maritime (appelée alors ache ou apion) sous le surnom de hipposelinum (céleri de cheval). On le mentionne à la fois comme plante comestible (herbe à cuire et condiment) et médicinale : Théophraste dès le 4ème siècle avant J.C. ou Pline au 1er siècle après J.C.

Il était déjà très cultivé par les Romains dans toute l’Italie et a  été propagé lors des grandes conquêtes romaines vers l’Europe occidentale et centrale (voir ci-dessous) d’autant que les graines font partie des éléments consommés. Columella (qui a rédigé des recettes détaillées à son propos) au premier siècle après J.C. le surnommait la myrrhe d’Achaea : myrrhe à cause de son parfum très fort (qui a donné aussi son nom latin Smyrnium) et Achaea qui désignait la Grèce antique.

Des origines méditerranéennes

Tout converge vers une origine méditerranéenne pour le maceron, fait confirmé par ses exigences climatiques : cette plante assez frileuse (notamment en été) craint aussi le froid hivernal trop accentué, et ne s’écarte guère du littoral de manière durable (tout au moins jusqu’à récemment). Il recherche des stations abritées et bien exposées.

Si on remonte encore plus dans le temps, on peut aussi supposer que les hommes du Néolithique l’aient récolté, notamment lors de la dernière grande glaciation où les populations humaines se concentraient en partie sur les rivages maritimes plus hospitaliers (non pris par les glaces) et avec des sources de nourriture (notamment via les échouages). On a des preuves archéologiques que le maceron était déjà cultivé ou récolté à l’âge du Bronze soit entre 3000 à 1000 ans avant J.C.

Le débarquement vers l’Ouest

Le Moyen-Age le voit apparaître en Europe occidentale avec une mention dans le célèbre Capitulaire de Villis initié par Charlemagne et qui fixe la liste des espèces végétales à cultiver dans les monastères et châteaux : le maceron y figure donc aux côtés du .. céleri mais à l’époque, ce dernier n’avait pas très bonne presse.

Curieusement on ne trouve que peu de traces dans les fouilles archéologiques, peut-être par méconnaissance (les grosses graines se conservent pourtant assez bien) : au Pays de Galles conquis par les Romains dès le tout début du premier millénaire ; à Londres entre 850 et 1150 ou aux Pays-Bas entre 1400 et 1425.

Les textes indiquent en tout cas que le maceron était très cultivé aussi bien en Italie, en France qu’en Allemagne ou Angleterre ou Belgique ; il connaîtra un grand succès comme herbe à cuire ou condiment jusqu’au 17ème au moins. Une autre raison de son succès tenait dans son pouvoir antiscorbutique avéré (richesse en vitamine C) ce qui lui valait d’être très recherché des marins, victimes de cette maladie. Ainsi, en Angleterre, l’île d’Anglesey où se trouvent d’importantes populations sauvages de maceron était une escale obligée des marins en transit qui s’approvisionnaient en maceron pour les longues traversées ; ils ont donc eux aussi du participer à la dispersion maritime du maceron à grande échelle notamment en récoltant les graines !

Le céleri l’a tué !

Au début du 19ème siècle, le maceron disparaît complètement des textes et des usages. Pourquoi une telle disgrâce ? Le déclin s’était amorcé à la fin du 17ème siècle avec la montée en puissance du céleri et ses nouvelles variétés aux feuilles plus sucrées, moins âpres ; on le surnommait alors le céleri des Italiens pour bien le démarquer du maceron. En fait, cette tendance s’inscrivait dans un changement global de l’alimentation : finis les plats lourds et épicés avec des viandes faisandées ; place aux plats plus doux et plus légers. Dans ce contexte, le goût âpre et amer du maceron n’a pas tenu le choc (pas plus que ses graines poivrées et piquantes). Il est symptomatique à cet égard que tous les textes de la fin du 18ème ne parlent plus de lui que sous la forme « blanchie » (en salade d’hiver) à la manière des endives, moins amère et plus douce.

Comme entre temps, l’espèce cultivée s’était largement naturalisée sur les côtes, le maceron a donc persisté et s’est même propagé naturellement. A l’intérieur, il n’a subsisté que ponctuellement près d’anciens sites de cultures.

Peut-être que le maceron va connaître un nouvel essor d’une part à cause de son expansion naturelle qui se dessine (réchauffement global et milieux perturbés favorables) et qui sait un retour en grâce comme « nouveau » ancien légume. Mais il faudra tout reprendre à zéro la sélection de variétés car il n’en reste rien !

Gérard GUILLOT ; zoom-nature.fr

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BIBLIOGRAPHIE

  1. A forgotten vegetable (Smyrnium olusatrum L., Apiaceae) as a rich source of isofuranodiene. Filippo Maggi, Luciano Barboni, Fabrizio Papa, Giovanni Caprioli, Massimo Ricciutelli, Gianni Sagratini, Sauro Vittori. Food Chemistry 135 (2012) 2852–2862
  2. Smyrnium olusatrum L. R.E. Randall. Journal of Ecology. Vol. 91, Issue 2 ; 325-340- 2003
  3. Smyrnium olusatrum L. (alexanders): an ancient kitchen herb from late medieval Rotterdam (The Netherlands). Otto Brinkkemper.  Veget Hist Archaeobot (2015) 24:249–252

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le maceron
Page(s) : 126-127 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages