Corylus avellana

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Quiconque se promène dans les forêts de la chaîne des Puys se trouve rapidement interpellé par l’abondance du noisetier qui y forme souvent des peuplements étendus où il est pratiquement le seul ligneux présent (ce sont les accrus à noisetiers des forestiers ou corylaies pour les botanistes) ou bien en peuplements mixtes avec des hêtres notamment.

Personnellement, en tant que naturaliste, j’ai toujours trouvé ces milieux intéressants au niveau de leur flore et riches en belles floraisons mais cela restait purement intuitif. Or, récemment, en lisant une publication à propos de la végétation de la chaîne des Puys (1), j’ai trouvé un passage qui m’a tout de suite accroché :

« L’extension des fourrés de noisetiers est aujourd’hui considérable, plus que partout ailleurs dans le Massif Central ; ces formations de noisetier …. abritent une phytodiversité forestière remarquable et montrent une grande richesse spécifique … ».

Donc, qui dit noisetier, dit diversité d’espèces forestières et présence d’espèces « intéressantes » pour le naturaliste. Alors, pourquoi ce lien entre richesse floristique et noisetier ? Une étude récente (2) apporte des éléments de réponse que nous allons analyser.

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Hêtraie avec un sous-bois riche en noisetiers sur les pentes du puy de Côme. Noter les fleurs blanches de la dentaire pennée.

Un détour par l’Estonie !

L’étude mentionnée ci-dessus a été menée en .. Estonie, un des Pays Baltes, autrement dit dans la province géographique de « l’Europe du Nord » qui va du sud de la Suède et de la Norvège vers la Pologne et les Pays Baltes. Les forêts des plaines et des collines peuplées à la fois de feuillus et de résineux qui représentent la transition entre les forêts tempérées et boréales (la taïga de résineux) y sont qualifiées de boréonémorales. Sous un climat assez sec, elles supportent des conditions hivernales rudes. Le milieu choisi dans cette étude est une vieille forêt d’épicéas hétérogène avec un cortège d’arbustes divers en tête desquels figure le noisetier qui forme un sous-étage avec ses cépées anciennes.

Dès que l’on consulte le cortège floristique de ce sous-bois, on se sent tout de suite, à quelques rares exceptions près, en terrain connu : lamier jaune, violette de Rivin, actée en épi, parisette, campanule à feuilles de pêcher, fraisier des bois, véronique petit-chêne, anémone sylvie, laitue des murailles …. C’est pourquoi nous allons considérer que l’on peut appliquer en grande partie les résultats obtenus dans ce contexte boréonémoral à celui de l’étage montagnard de la Chaîne des Puys. De plus, le sol brun fertile de cette forêt estonienne se rapproche des sols volcaniques de notre contrée.

L’effet noisetier

Les chercheurs ont comparé la flore et les conditions climatiques et pédologiques dans trois types de sites : sous les noisetiers, sous les épicéas et dans des microsites ouverts juste à côté de chacune des deux essences (pour évaluer l’impact du facteur lumière). Ils ont recensé 55 espèces végétales dont 42 herbacées avec une répartition moyenne bien différenciée : 14,5 espèces/m2 sous les noisetiers ; 11 dans les microsites ouverts et 7,8 sous les épicéas. Pas moins de 25 espèces présentes sous les noisetiers ne se retrouvent pas sous les épicéas. La biomasse herbacée est significativement plus élevée sous les noisetiers. L’épaisseur de la litière de feuilles mortes est trois fois plus épaisse sous les épicéas (moyenne de 10,1mm contre 3,2mm). De plus, ils ont noté que les jeunes plants de chêne ou de frêne issus de la germination de graines ne se trouvaient que sous les noisetiers, suggérant que ces derniers favorisent la régénération naturelle des autres feuillus.

L’étude met donc en évidence un effet positif du sous-bois de noisetiers sur la flore herbacée du sous-bois qui atteint de ce fait un niveau de richesse spécifique bien plus élevé. Or, traditionnellement, on a tendance à penser que les arbustes en sous-bois (la strate arbustive), de par l’ombrage qu’ils créent, diminuent plutôt la diversité du tapis herbacé. Comment le noisetier modifie t-il son environnement dans un sens positif pour la flore forestière ?

Des avantages en nature

L’étude utilisée s’est centrée sur l’opposition avec l’épicéa et l’un des facteurs différentiels mis en avant concerne la litière beaucoup plus épaisse sous les conifères ; or, une telle couche d’aiguilles peu décomposées constitue un obstacle certain au développement et à l’installation d’espèces herbacées. Donc quand il côtoie des résineux, les cépées de noisetier constituent par leur litière peu épaisse (elle se décompose rapidement) des refuges importants. On retrouve une problématique un peu proche en compagnie des hêtres dont la litière forme souvent une couche très épaisse à décomposition relativement lente. Dans le cadre d’une gestion sylvicole favorable à la biodiversité, il serait donc opportun de favoriser le noisetier ou de ne pas l’éliminer dans les forêts mixtes résineux-feuillus que l’on rencontre sur nombre de puys.

Le noisetier étant une essence au feuillage caduque, au moins au printemps, il autorise le développement de la flore vernale (voir la chronique sur la hêtraie à scille) ; ainsi dans la chaîne des Puys, on trouve dans les fourrés à noisetiers de telles plantes : l’aspérule odorante ou , bien plus rare, l’anémone fausse-renoncule.

Toutes les espèces associées aux noisetiers dans cette étude sont des espèces forestières alors que la moitié des espèces associées aux espaces vides étaient des espèces de prairies ; le noisetier favorise donc le maintien d’une flore forestière avec, en Auvergne, des espèces telles que le lis martagon bien représenté parfois en colonies abondantes dans ce milieu.

Une essence améliorante

Les résultats obtenus dans l’étude estonienne ne montrent pas d’effet significatif sur la composition du sol ; ceci ne manque pas de surprendre et correspond peut être à un effet indirect du climat particulier qui règne en Europe du Nord. En effet, consultez n’importe quelle fiche technique à propos des « bonnes feuilles mortes » à récolter en automne pour faire un bon compost et vous y trouverez à coup sûr le noisetier, aux côtés du frêne, des tilleuls, de l’érable champêtre, de l’orme, du bouleau ou de l’aulne. Ces essences partagent des feuilles légères et souples pauvres en lignine, un composé qui ne se décompose que très lentement ; on parle d’essence améliorante : riches en azote disponible, faciles à décomposer, ces feuilles mortes activent les processus bactériens et libèrent rapidement des sels minéraux utilisables. Une autre étude (3) en Allemagne a montré que la présence, dans des plantations de chênes (pour la reconquête de sites abandonnés) de noisetiers de 80 ans amélioraient sensiblement les propriétés chimiques des sols qui les portaient : les contenus en calcium, en magnésium et en phosphore se trouvent significativement augmentés sous leur couvert. La flore herbacée ainsi favorisée s’enrichit en espèces.

La moralité de cette histoire, une fois de plus, c’est que maintenir ou favoriser la biodiversité dans la strate arbustive a des effets positifs sur la biodiversité globale. Or, la tendance actuelle dans la gestion forestière intensive serait plutôt à l’élimination de ces « gêneurs » qui ont l’outrecuidance de ne pas produire de bois directement exploitable !

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Dans une flaque d’eau, début novembre, sur les pentes du puy de Jumes….

BIBLIOGRAPHIE

  1. La flore de la région clermontoise : diversité et intérêt patrimonial. C. Roux ; G. Thébaud ; A. Delcoigne ; J.-L. Lamaison. P. 25-41 in La biodiversité dans la région clermontoise. Revue des Sciences Naturelles d’Auvergne. Numéro spécial-Vol. 77-2013.
  2. Positive association between understory species richness and a dominant shrub species (Corylus avellana) in a boreonemoral spruce forest. Kadri Koorem∗, Mari Moora. Forest Ecology and Management 260 (2010) 1407–1413
  3. Stand composition affects soil quality in oak stands on reclaimed and natural sites. Mohr, D.; Simon, M.; Topp, W. Geoderma. Volume 129, Issues 1–2 2005, p. 45–53

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le noisetier
Page(s) : p. 216-217 Guide des fruits sauvages : Fruits secs
Retrouvez le lis martagon
Page(s) : p. 366-367 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages
Retrouvez l'aspérule odorante
Page(s) : p. 242-243 Guide des Fleurs des Fôrets