Hypochaeris radicata

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Un champ fleuri de porcelles et de marguerites : la biodiversité ordinaire … qui risque de ne plus l’être bien longtemps !

La porcelle enracinée, plante « banale » des lieux herbeux plus ou moins gérés par l’Homme, fait partie de la nature ordinaire, cette partie de la biodiversité que nous côtoyons au quotidien pour peu que l’on sorte un peu dehors ! Dans une autre chronique, nous avons découvert son mode de vie et les divers problèmes auxquelles elle doit faire face en dépit de son statut d’espèce commune. Parmi ces problèmes figure la fragmentation croissante des ses habitats du fait de l’extension des grandes cultures et de l’urbanisation qui isolent de plus en plus ses stations semi-naturelles où elle trouve refuge : pelouses urbaines, friches, terrains vagues, jachères, accotements, bords des chemins, … Comment réussit-elle à se maintenir dans ces conditions alors qu’elle est une espèce de courte longévité et qui ne peut se renouveler dès que la végétation s’épaissit ? La capacité de ses graines/fruits à se disperser efficacement et à grande distance ses graines à travers de vastes espaces hostiles (cultures, zones bétonnées) constitue une clé essentielle pour résoudre ce problème et a fait l’objet d’études détaillées.

Bec et pappus

Comme la majorité des composées, la porcelle produit des fruits secs de type akènes, i.e. un fruit réduit à une seule graine dont la paroi ne fait qu’un avec celle du fruit, lequel se manifeste sous la forme d’un court bec qui prolonge la graine (parfois absent), portant au sommet une aigrette blanc jaunâtre (le pappus) formée de deux rangées de soies, les externes courtes et les internes plumeuses. C’est le dispositif en parachute bien connu chez les fruits du pissenlit mais aussi des salsifis (voir la chronique sur ces fruits) qui permet la dispersion par le vent ou anémochorie (voir la chronique consacrée à ce mode de dispersion). Chaque graine/fruit pèse un peu moins de un gramme ce qui reste une valeur assez élevée pour un fruit à aigrette de ce type, donc une graine assez lourde avec un parachute modeste.

Ces fruits sont fixés un par un sur des petits creux du plateau (réceptacle) du capitule qui correspondent à l’emplacement des fleurs individuelles (voir l’autre chronique sur la porcelle). Ils se trouvent solidaires de ce réceptacle par l’intermédiaire d’un faisceau vasculaire (comme un paquet de câbles, les vaisseaux conducteurs de sève) qui apportait la nourriture nécessaire à son élaboration. Sur le fruit juste formé, cette liaison est encore ferme et solide et elle va progressivement, au fil de la maturation, se dégrader, fragilisant de plus en plus cette relation.

Tous pareils ou pas

La description qui précède ne vaut que pour les porcelles d’Europe occidentale à partir du Centre de l’Espagne. Si on observe les populations des sierras côtières du sud de l’Espagne, du Maroc et de Méditerranée centrale (Italie, Sicile, ..) (1) où l’espèce est aussi présente de manière spontanée, on découvre une petite différence : sur chaque capitule, les graines/fruits sont de deux types ; ceux placés les plus à l’extérieur sur le plateau du capitule n’ont pas de bec (l’aigrette est portée directement au sommet de la graine) et ceux placés vers l’intérieur ont un bec long et mince. On parle d’hétérocarpie (mot à mot : fruits différents) et par opposition on parle d’homocarpie pour les fruits des populations plus au nord dont celles de France.

Bof, direz-vous : petit détail de spécialiste ! Sauf que cela change beaucoup de choses pour la vie de ces plantes : leurs deux types de graines ne vont pas subir la même dispersion par le vent puisqu’elles n’ont pas la même portance au vent. Autrement dit, ces plantes « ne mettent pas tous leurs œufs dans le même panier » et s’offrent la possibilité de disperser des graines à la fois tout près d’elles (les fruits externes) et au loin (fruits internes). On retrouve ce dispositif chez d’autres composées et à chaque fois il s’avère être un caractère important pour le devenir de l’espèce.

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Histoire de la porcelle enracinée. Rouge : première dispersion vers l’Europe ; X : mutation de hétérocarpique vers homocarpique ; Noir : seconde dispersion vers la cordillère bétique et la Méditerranée centrale.

Historiquement, la porcelle enracinée trouverait son origine au Maroc dans des boisements clairs et humides de chêne liège ; pendant la période glaciaire, il y a environ 2 millions d’années, un premier événement de dispersion à grande distance lui aurait permis de gagner le centre de l’Espagne en passant sans doute par des îles émergées qui parsemaient alors la Méditerranée bien plus basse que maintenant ; là, elle aurait évolué vers une forme homocarpique (un seul type de fruit) et ensuite elle aurait colonisé largement vers le nord sans doute aidée dans sa progression par l’homme qui la consomme. Un autre événement plus tardif de dispersion depuis le Maroc l’aurait amené vers les sierras du sud (cordillère bétique) et la Méditerranée centrale où elle a gardé son caractère originel hétérocarpique mais n’a pas progressé plus loin. Enfin, très récemment, transportée par l’homme, elle a colonisé d’autres continents sous la forme homocarpique.

On ne sait pas expliquer l’intérêt de ce changement dans les fruits en cours de route et quel avantage nouveau il a pu procurer dans un nouveau contexte climatique auquel elle s’est acclimatée.

Une fragmentation ravageuse

Nous avons évoqué en introduction le problème de la fragmentation des habitats dans les régions fortement transformées qui désormais prédominent sur de vastes surfaces en Europe occidentale. Pour en prendre la mesure, rendons nous aux Pays-Bas (2), dans une petite région rurale, l’Achterhoek (« l’arrière-coin ») tout à l’Est contre la frontière allemande, dans la province de Gueldre. Cette région, il y a encore un siècle était dominée par des pelouses naturelles humides sur des sables ; l’agriculture intensive les a réduites de …. 99,9% ! Ce chiffre semble ahurissant mais doit se retrouver peu ou prou dans nombre de régions françaises comme la Beauce ou les plaines du Poitou et bien d’autres encore ! Il donne le tempo de la régression accélérée de la biodiversité ordinaire en cours sous nos yeux.

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Les chemins herbeux au milieu des cultures peuvent constituer des refuges linéaires (si les herbicides ne les atteignent pas !) le long desquels les graines peuvent circuler assez facilement (effet corridor)

De ce fait, les populations de porcelle (et de bien d ‘autres espèces !) autrefois hyper florissantes se trouvent désormais confinées soit dans des parcelles protégées et gérées dans le cadre d’une politique de conservation (fauchage régulier) avec des populations très denses (plus de 5 individus par m2), soit de manière très discontinue sur des accotements restés favorables (pas trop traités ou arrosés d’engrais !) mais non gérés avec des populations très clairsemées (moins de 0,02 individus/ m2). Ces ilots minuscules se trouvent dispatchés plus ou moins loin les uns des autres (parfois de plusieurs kilomètres) au milieu d’un océan hostile et inhospitalier. Tel est le lot habituel de toutes ces espèces qu’on qualifie de communes et qui habitent des habitats semi-naturels liés à l’Homme : communes pour encore combien de temps ? On voit tout de suite surgir le problème clé : la colonisation des nouveaux sites potentiels (des accotements) ou la recolonisation des sites déjà occupés (espèce de courte longévité et ne pouvant germer dans de l’herbe dense).

Flux de gènes

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Un talus le long d’une route : un site favorable à la porcelle, facile à coloniser avec de la terre nue et propice à la dispersion par le vent (effet de couloir et position surélevée)

Pour comprendre comment la porcelle réussit malgré tout à se maintenir, les chercheurs néerlandais ont suivi ces populations dispersées sur un secteur restreint. Ils ont pu constater sur une période de trois ans que de nouveaux sites (accotements) avaient été colonisés. Comme cette plante n’a pas de banque de graines dans le sol (voir la chronique), cela ne peut venir que de graines arrivées là depuis les autres populations présentes. Des prélèvements effectués sur plusieurs de ces petites populations « insulaires » permettent de comparer leurs génomes et de voir si il y a eu des échanges de gènes via la pollinisation (arrivée du pollen de plantes d’une autre population) ou via les graines produites et dispersées. Contre toute attente, ces comparaisons montrent que les deux types de populations (denses ou pas : voir ci-dessus) avaient la même diversité génétique et que celle-ci restait élevé comme si elles étaient ensemble ! Ceci vaut tant que les populations restent distantes de moins de 3,5km entre elles ; au delà, on observe une différenciation liée à la dérive génétique, conséquence d’un isolement forcé. Dans le détail, plus de 20% des individus des petites populations viennent de populations distantes de plus de 500mètres, preuve d’échanges réguliers même à distance ! On parle de métapopulation avec des échanges constants entre les petites unités : certaines disparaissent ou s’étoffent, d’autres apparaissent mais au total l’ensemble perdure.

Blowing in the wind

La solution vient du transport des graines par le vent. Des études antérieures en soufflerie (donc en conditions très artificielles et contrôlées) donnaient pour la porcelle des distances de dispersion de 100m en moyenne avec quelques rares évènements de dispersion à longue distance jusqu’à … 400m ! Autrement dit, une contradiction majeure apparaît ! Des nouvelles recherches ont donc été menées avec la construction de modèles de plus en plus précis et prenant en compte toutes sortes de paramètres jusque là exclus (3 et 4) ; elles mettent en avant deux grands facteurs qui permettent d’expliquer comme ces fruits peuvent parcourir des distances supérieures à celles jusqu’alors estimées.

Le premier facteur clé concerne le « seuil de décollage » des graines, i.e. la vitesse de vent nécessaire pour arracher les graines fixées sur le réceptacle (voir ci-dessus) ; si on le prend en compte dans les modèles, alors la distance moyenne potentiellement parcourue double et la distance maximale (la traîne de la pluie de graines) atteinte par quelques graines est multipliée par …sept !

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Chaque fruit:graine est fixé sur le réceptacle et tient par un fil mais tenace et qui ne cède que sous des coups de vent violents

En fait, il faut de forts coups de vent pour arracher les graines à maturité ce qui augmente la probabilité qu’elles soient portées en hauteur, subissent des turbulences qui les entraînent plus haut et qu’elles rencontrent alors des zones de vent encore plus rapides. Comme sur une même plante, tous les capitules ne sont pas mûrs en même temps, cela optimise les chances de dispersion au loin au fur et à mesure des coups de vent plus forts.

L’autre facteur clé c’est la hauteur de départ par rapport à la hauteur de la végétation environnante : plus elle est élevée, plus les graines ont des chances d’être emportées à la fois vers le haut et plus loin. Ceci expliquerait pourquoi nombre de plantes des prairies développent des tiges élevées … comme la porcelle.

Avenir incertain

Au regard de ces données, on devine que tout changement dans le « décor » ambiant peut modifier la donne.

Ainsi, dans ces territoires agricoles très fragmentés, les sites colonisés connaissent en plus un fort enrichissement en nutriments du fait de l’usage intensif des engrais (nitrates, phosphore, …). La végétation spontanée tend alors à pousser plus drue et plus … haute ! Autrement dit, la capacité à être emporté au loin va diminuer progressivement sauf pour les espèces capables de grandir suffisamment ; la porcelle serait bien placée avec sa plasticité soulignée dans l’autre chronique. Sa rosette produit de grandes tiges dressées susceptibles donc d’émerger de la végétation environnante.

D’ailleurs, par rapport au cas d’étude hollandais, les chercheurs avancent l’hypothèse que l’occupation d’éléments linéaires souvent fauchés facilite la dispersion à longue distance : le paysage local et les pratiques associées ont donc leur importance. D’autre part, les insectes pollinisateurs qui transportent l’autre flux de gènes via le pollen tendent à suivre ces linéaires en évitant les grands espaces agricoles.

L’autre facteur qui peut ou est en train de changer, c’est le régime des vents et là on se trouve devant une inconnue totale avec le changement climatique. Il semblerait qu’on aille vers plus de vents forts voire de coups de vent violents : donc, cela pourrait faciliter le transport à longue distance et ainsi permettre de garder les ilots de populations connectés entre eux.

On le voit les interrogations sont nombreuses tant les processus en jeu sont connectés entre eux tant au niveau de l’espèce elle même que de l’environnement global.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Phylogeography of the invasive weed Hypochaeris radicata (Asteraceae): from Moroccan origin to worldwide introduced populations. M. Á. ORTIZ et al. Molecular Ecology (2008) 17, 3654–3667
  2. Regional gene flow and population structure of the wind-dispersed plant species Hypochaeris radicata (Asteraceae) in an agricultural landscape. C. MIX, P. F. P. ARENS, R. RENGELINK,M. J. M. SMULDERS, J. M. VAN GROENENDAEL and N. J. OUBORG. Molecular Ecology (2006) 15, 1749–1758
  3. DETERMINANTS OF LONG-DISTANCE SEED DISPERSAL BY WIND IN GRASSLANDS. MEREL B. SOONS et al. Ecology, 85(11), 2004, pp. 3056–3068
 ; 2004
  4. Release thresholds strongly determine the range of seed dispersal by wind. Peter Schippers and Eelke Jongejans. Ecological Modelling (2005) 185:93-103

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la porcelle enracinée
Page(s) : 242-243 Guide des plantes des villes et villages
Retrouvez la porcelle enracinée
Page(s) : 116 Le guide de la nature en ville