Plantago major subsp. major

Le plantain majeur ou grand plantain fait partie de ces espèces très communes, omniprésente dans de nombreux milieux herbacés même très perturbés par les activités humaines. Ultra connue à la campagne (et toujours de nos jours) comme remède miracle contre les piqûres d’insectes ou d’orties (en frottant une feuille sur l’emplacement de la piqûre), cette espèce offre par ailleurs tout une panoplie d’originalités biologiques ; pour cette chronique, nous allons nous intéresser à deux aspects seulement mais bien fournis en détails : ses feuilles et son port d’une part et son écologie d’autre part, dont ses liens avec l’homme quant à sa dispersion et son implantation. A cette occasion, nous découvrirons l’origine surprenante de l’un de ses surnoms choisi comme titre de cette chronique. 

Matheux ! 

Comme une partie des autres membres du genre plantain (Plantago), le plantain majeur se comporte en espèce sans tige, dite acaule (a privatif, caulis = tige). En fait, on devrait plutôt dire « à tige extrêmement courte » car il élabore une souche verticale très condensée terminée par un bourgeon terminal. Celui-ci va élaborer successivement des feuilles au sommet, donnant naissance à une rosette de feuilles imbriquées, partiellement superposées. Chaque nouvelle feuille qui apparaît au centre de la rosette provoque la formation d’un entre-nœud (segment de tige) ultra-court. Ainsi, les feuilles les plus jeunes (formées les plus récemment) se trouvent près du centre de la rosette. Deux feuilles successives se trouvent séparées par un angle constant de 144° ce qui traduit le fonctionnement très contrôlé et déterminé de ce bourgeon terminal. Donc, quand on arrive à la sixième feuille (soit cinq intervalles successifs entre deux feuilles) on atteint 720° (144° x 5) ce qui vaut 2 fois 360° : autrement dit, la sixième feuille qui apparaît à partir de la germination va se retrouver pile au-dessus de la première apparue, bien plus âgée. 

Cette disposition fascinante correspond à ce qu’on appelle la phyllotaxie (phyllon = feuille et taxis = arrangement), i.e. le mode de disposition des feuilles le long d’une tige (ici très courte !). Par la pensée, si on allonge cette tige et si on relie les points d’insertion successifs, on obtient une ligne virtuelle dessinant une hélice. Ici, en partant d’une feuille donnée, pour atteindre la feuille suivante située juste au-dessus (comme son image), il faut faire deux tours d’hélice et on rencontre cinq feuilles lors de cet exercice mental : on parle donc de phyllotaxie 2/5 ! 

Plaqué 

Plantain installé sur une fissure sur un parking : il réussit à « dominer » le trèfle en imposant sa rosette

Ce mode d’insertion des feuilles et leur forme largement ovale leur permet de s’étaler plus ou moins près du sol et ainsi de freiner la croissance des autres herbacées et d’empêcher les germinations juste à leur pied ; ainsi, le plantain majeur réussit à s’imposer dans les milieux herbacées en dépit (ou plutôt grâce) de sa très basse stature. Ceci lui vaut d’ailleurs l’inimitié des citadins amateurs de gazons manucurés qui ne supportent pas sa présence : quelle tristesse quand on sait qu’il s’agit d’une plante qui permet le maintien de toute une biodiversité animale associée. Le plantain majeur colonise donc facilement les prairies pâturées (il échappe ainsi en partie à la dent du bétail), les pelouses, les vignes et vergers jusque sur les bords des étangs ou sur les bordures des marais salés. 

Chaque printemps, le bourgeon terminal régénère une nouvelle rosette, celle de l’année précédente s’étant passablement dégradée depuis l’automne précédent. Années après année, la souche se consolide donc, tout en restant toujours aussi courte ; des bourgeons axillaires peuvent se développer sur les côtés de la souche en fin de saison et donner ainsi des rosettes supplémentaires « latérales » : une colonie clonale se forme lentement. Ce mode de développement pluriannuel se réalise dans les milieux relativement stables. Mais dans les milieux cultivés fortement perturbés par exemple au moment des labours, le plantain majeur se comporte en annuelle comme dans les maïs irrigués où il réussit à boucler son cycle annuel en profitant de l’apport d’engrais et d’eau. 

Colonie au port étalé plaqué sur du gravier piétiné servant de cheminement

Ses rosettes plaquées lui confèrent aussi une remarquable résistance au piétinement conjuguée avec la capacité des racines à résister au tassement des sols. Ainsi, le plantain majeur prospère dans toutes sortes de milieux piétinés où il côtoie souvent une autre spécialiste de ce challenge, la renouée des oiseaux (la « traînasse » des campagnards) : prairies surpâturées subissant le piétinement excessif du bétail ; bords des chemins fréquentés ; pelouses urbaines fréquentées ; interstices entre les pavés en ville ; bords de trottoirs ; bande centrale des chemins et pistes ; … Cependant, pour résister et se comporter en conquérant dans ces milieux, il lui faut une bonne humidité du sol ; on le range parmi les espèces mésophiles (besoins en eau moyens). 

Guitare des Beatles  

Les nervures principales saillantes parallèles des feuilles attirent l’attention de loin, leur donnant un aspect côtelé très typique. Si l’on tire sur une feuille en la saisissant d’un côté près du pétiole court et un peu élastique, elle finit par se déchirer en travers mais les deux moitiés découpées restent reliées l’une à l’autre par des « fils » qui correspondent à ces nervures. Il s’agit de fibres avec une armature spiralée qui renforcent les nervures dans lesquelles circulent des vaisseaux conducteurs de sève. Cette particularité a suscité chez nos voisins anglo-saxons cette belle image de « guitare des Beatles » ou encore de « harpe des anges » ou de banjos ! D’ailleurs, à la campagne, le plantain est bien connu comme jeu pour les enfants : l’épreuve consiste à déchirer la feuille et à tirer le plus loin possible sans rompre les fils ténus qui les relient ! Dans les folklores traditionnels, on s’en servait même comme forme de plante divinatoire : plus les fils obtenus étaient longs et plus on avait réussi à en dégager, plus il y avait eu de mensonges entre les gens réunis atour dans la journée !  

Le reste de la feuille (le limbe) frappe aussi au toucher par son épaisseur et sa dureté relatives associé à une certaine élasticité : il s’agit d’une autre adaptation pour la résistance au piétinement. En vertu du principe de la Théorie des signatures, on a donc considéré que ces feuilles devaient être bonnes contre les coups et contusions. A minima, il s’avère que les feuilles entières appliquées favoriseraient la cicatrisation.. au point que Pline prétendait que si l’on réunit plusieurs morceaux de chair découpée dans un pot avec du plantain, ils se ressoudent ! On retrouve cette croyance avec les feuilles de la consoude dont le nom évoque justement cette propriété magique ! 

Tige florale

Nous avons classé le plantain majeur dans les plantes acaules, i.e. sans tige. Pourtant, à la floraison (qui s’étale de avril à novembre), la rosette élabore en son centre une « tige » pouvant atteindre 40cm de haut terminée par un épi de fleurs de 5 à 15cm de long ; mais elle ne porte aucune feuille et il s’agit en fait d’un pédoncule qui n’est pas l’équivalent d’une tige. L’épi long et cylindrique se compose de nombreuses petites fleurs réduites, verdâtres à rougeâtres avec des étamines saillantes ; il a donné le surnom de « queue de rat » à la campagne. Une telle structure correspond à un mode de pollinisation par le vent ou anémophilie (voir la chronique sur ce processus), même si ces fleurs pratiquent aussi couramment l’autopollinisation. Elles n’attirent pas en principe d’insectes pollinisateurs et ne dégagent d’ailleurs aucun parfum ni ne produisent de nectar. 

Les épis floraux cèdent place à des épis fructifères allongés composés d’autant de capsules sèches petites (2-4mm) qui, à maturité, s’ouvrent en travers et libèrent en moyenne chacun huit graines. La prolificité du plantain lui permet de maintenir dans ses milieux perturbés ou avec une forte concurrence (comme dans les prairies) : chaque pied bien développé produit des dizaines de hampes fructifiées et peut produire jusqu’à 10 000 graines, anguleuses, foncées de un peu plus de 1mm. 

Ces graines représentent une ressource majeure pour les petits passereaux granivores au bec assez fin tels que linottes, serins cinis, pinsons, … A la campagne, on le surnomme plantain des oiseaux (bird’s meat en anglais) en référence à son usage pour les oiseaux de cage. J’ai le souvenir personnellement des cueillettes de ces épis sur un chemin non loin de la maison natale qu’on accrochait dans la cage des canaris ou des perruches ondulées. 

Plante du pied 

Plantain (repris tel quel en anglais) remonte au tout début du 13ème siècle sous la forme plantein, issue du nom latin Plantago dérivé de planta, la plante du pied, par allusion à la forme des feuilles et tout particulièrement de celles du plantain majeur. Or, cette image liée au pied nous renvoie à la particularité écologique majeur d’être souvent associé au piétinement.  L’association va encore plus loin avec la dispersion des graines. Très légères, elles peuvent être transportées par le vent ; mais, par temps humide, leur enveloppe mucilagineuse se gonfle et devient collante. Le mode de dispersion principal du plantain majeur relève donc de l’épizoochorie, i.e. de se fixer sur les sabots ou les pattes des animaux dont le bétail mais aussi beaucoup et de plus en plus sous les semelles des chaussures ou les pneus des voitures. Le plantain colonise ainsi très facilement les milieux perturbés par l’homme jusqu’au cœur des villes d’autant qu’il est capable de supporter le piétinement ce qui limite considérablement la concurrence ! 

Avec ce « détail », nous arrivons à notre titre étrange de « pied de l’Homme blanc » : il s’agit du surnom donné par les ethnies indiennes d’Amérique du nord au plantain majeur importé là-bas par les premiers colons tout au long de leurs cheminements et colonies. Les indiens avaient vite remarqué cette nouvelle plante introduite, noté ses caractéristiques dont la forme de ses feuilles et surtout fait le lien avec les colons que le plantain suivait à la trace. Cette superbe parabole en dit long sur la capacité de ces ethnies à « lire » leur environnement et tout particulièrement ses composantes vivantes, les non-humains qu’ils considèrent des êtres à part entière et non comme simple décor inerte. Ainsi, tels Mr Jourdain, ils faisaient sans le savoir de la botanique appliquée intégrant la rudéralité du plantain (il recherche les sols enrichis et piétinés) et son épizoochorie (transporté sur les animaux et les pieds des hommes) ! 

Bibliographie 

La botanique redécouverte. A. Raynal-Roques. Ed. Belin. 1994

Les mots de la botanique. F. Brice. Ed. Actes Sud. 2011

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le plantain majeur
Page(s) : 48-49 Guide des plantes des villes et villages