Certaines lianes comme la glycine cultivée ont des tiges ligneuses puissantes et demandent des supports adaptés pour s’installer

Dans les forêts tropicales, jusqu’à 40% de la diversité végétale en plantes à fleurs relève de plantes grimpantes, des lianes ligneuses ou herbacées et on trouve des plantes au port grimpant dans plus de 130 familles différentes de plantes à fleurs : autrement dit, les plantes grimpantes ne forment pas un groupe de parenté mais simplement un groupe biologique uni par la seule capacité à grimper et le port grimpant a été donc acquis à de multiples reprises au cours de l’évolution dans des lignées très diverses. De même, selon les groupes concernés, le port grimpant a été acquis via des organes ou des fonctions très diverses : citons rien que pour les organes aidant à grimper les vrilles-ressort, les vrilles en crochets, les épines, les aiguillons, les tiges volubiles, les crampons (voir la chronique sur le lierre), ….

Tout ceci indique que être capable de grimper apporte un plus considérable et ouvre aux plantes grimpantes de nouveaux horizons écologiques. D’aucuns considèrent donc que l’acquisition du port grimpant constitue ce qu’on appelle une innovation évolutive clé, i.e. un trait nouveau apparu chez l’ancêtre commun d’une lignée et qui a permis aux espèces descendantes (un groupe taxonomique) d’exploiter une ressource naturelle auparavant soit non utilisée ou peu utilisée et de pouvoir ainsi étendre leur niche écologique. Nous avons déjà évoqué plusieurs exemples possibles de telles innovations clés dans d’autres chroniques : la couronne des passiflores, le bec des oiseaux comme troisième main providentielle ou la brosse à pollen des Fabacées. Mais, il restait à démontrer la réalité de cette hypothèse à propos des plantes grimpantes en s’adressant directement au grand arbre de parentés des plantes à fleurs.

Les lianes herbacées comme le liseron des haies peuvent coloniser pratiquement tous les supports, solides ou pas.

Des avantages à grimper

Les innovations évolutives clés, d’une manière générale, peuvent booster la diversification selon différentes voies : envahir de nouveaux « espaces » (des zones adaptatives) libres de compétition ou pauvres en ennemis naturels (au premier rang desquels les herbivores) ; augmenter le succès reproductif ce qui favorise la diffusion écologique des espèces concernées ; optimiser les conditions permettant une certaine spécialisation écologique et au niveau de la reproduction.

Dans le cas du port grimpant, les « plus » apportés par cette innovation peuvent se situer dans plusieurs directions qui ne s’excluent pas :

– les plantes grimpantes peuvent de facto exploiter une gamme d’environnements très étendus vis-à-vis de la lumière, un facteur limitant majeur pour la nutrition des végétaux verts : ainsi selon que les individus d’une espèce grimpante disposent ou pas de support physique pour grimper, ils peuvent adopter un port prostré rampant ou un port grimpant et être ainsi exposés à des conditions de lumière radicalement différentes ; de même une liane qui escalade un grand arbre rencontre au cours de son ascension un gradient de lumière considérable allant de l’obscurité du sol forestier à la lumière vive de la canopée

Cette vigne-vierge à cinq foliotes a recouvert entièrement son arbre support et accède ainsi à un maximum d’ensoleillement

– l’accès à la canopée en milieu forestier élargit considérablement le spectre des animaux pollinisateurs ou susceptibles de disperser les fruits et graines et par la même occasion la niche écologique de ces espèces

La floraison abondante de la renouée du Turkestan est accessible à un grand nombre de pollinisateurs et attire les visiteurs de loin par son étendue.

– grimper peut permettre d’échapper en partie à certains herbivores mais ouvre la porte à d’autres d’où la forte évolution observée chez les plantes grimpantes vers la production de substances toxiques secondaires anti-herbivores (il suffit de penser au nombre de lianes utilisées en forêt tropicale comme source de substances médicales ou toxiques par les ethnies locales)

– de par leur structure même, les plantes grimpantes présentent un « pré » avantage : elles allouent peu de ressources aux tissus de soutien (puisqu’elles s’appuient sur les autres !) mais plus aux tissus conducteurs et au feuillage ce qui leur permet une meilleure exploitation de la lumière ambiante.

Groupes-frères

Pour démontrer que le port grimpant représente bien une innovation évolutive clé susceptible de booster la biodiversité en favorisant la diversification dans les lignées de grimpantes, on interroge l’arbre des parentés (arbre phylogénétique) des plates à fleurs. On cherche tous les groupes (familles, sous-familles, genres) qui comprennent une majorité de plantes grimpantes (herbacées ou ligneuses) et dont le groupe-frère ne compte aucune grimpante. Le groupe-frère, c’est le groupe le plus étroitement apparenté, celui qui partage l’ancêtre commun le plus récent avec l’autre groupe : ils ont donc le même âge et la même origine mais dans une lignée l’innovation « port grimpant » est apparue et pas dans l’autre. Pour ne pas biaiser les analyses, il faut en plus veiller à ne comparer que des groupes frères ayant une répartition globale équivalente : éviter par exemple de comparer un groupe de non-grimpant tempéré avec un groupe grimpant tropical car le milieu tropical et ses conditions particulières induisent un biais comparatif considérable dans ce cas. Au final, l’auteur de cette étude a réussi à repérer 48 paires de groupes-frères répondant à ces critères. Et donc, pour tester l’hypothèse de innovation clé ou pas, on compare le nombre d’espèces présentes dans les deux lignées frères : la grimpante et la non-grimpante.

Pour mieux comprendre, citons deux exemples retenus dans cette étude avec des espèces soit indigènes, soit exotiques mais connues comme ornementales. Dans la famille exotique des Lardizabalacées, on trouve deux groupes-frères : d’un côté un ensemble de 5 genres grimpants dont deux connus comme grimpantes ornementales (Holboellia et Akebia avec l’akébie à cinq feuilles) regroupant 43 espèces et de l’autre un genre arbustif non grimpant, Decaisnea avec une seule espèce D. fargesii, l’arbre aux haricots bleus, à cause de ses fruits étranges bleutés que l’on retrouve chez l’akébie. Dans la famille des Renonculacées, on trouve deux sous-tribus frères : les anémoninées qui regroupent 197 espèces d’anémones, toutes au port dressé et les clématidinées, qui comptent 302 espèces de clématites au port grimpant ou semi-grimpant ; leur parenté transparaît dans leurs têtes de fruits à styles plumeux et dispersés par le vent.

 

Innovation clé

Pour 38 des 48 paires de groupes testées, les groupes de grimpantes renferment significativement plus d’espèces que les groupes-frères de non grimpantes ; l’hypothèse initiale se trouve donc ainsi validée : l’apparition du port grimpant constitue bien une innovation clé qui a ouvert à chaque fois une forte diversification avec l’expansion écologique associée. Si on analyse séparément les groupes d’espèces grimpantes ligneuses et herbacées, on trouve toujours la même tendance à plus de diversité dans la branche grimpante versus non-grimpante.

Par contre, on n’observe pas de différence d’intensité de diversification entre groupes ligneux et groupes herbacés. Or, on aurait pu s’attendre à une certaine différence en faveur d’une plus forte diversification côté herbacées. En effet, les lianes ligneuses subissent une contrainte supplémentaire par rapport aux lianes herbacées : elles doivent trouver un support avec un diamètre suffisant pour pouvoir ensuite supporter le poids de la liane établie. Donc, cette contrainte a priori ne semble pas avoir ralenti l’expansion des lianes ligneuses par rapport aux lianes herbacées. Pourtant, on sait par ailleurs que d’une manière générale, les familles herbacées tendent à avoir en moyenne 2,5 fois plus d’espèces que les groupes ligneux ; ici, ce différentiel semble ne pas intervenir peut-être à cause de l’intensité des effets positifs de l’adoption d’un port grimpant.

Cette étude souligne en tout cas l’importance des facteurs écologiques dans la spéciation et la construction de la biodiversité.

Promotion herbivore

Colonie de liseron des champs en port prostré couché sur une bordure de champ

Qu’est ce qui pousse initialement à une évolution vers un port grimpant dans une lignée ? L’exemple du liseron des champs, une « liane » herbacée hyper-connue, apporte un éclairage (2). Cette plante vivace peut adopter deux ports bien différents selon la disponibilité ou pas d’un support physique (une autre plante ou un objet) dans son environnement immédiat : un port prostré rampant au sol en nappes étalées ou le port grimpant bien connu par enroulement des tiges autour des supports.

Au Chili (2) où le liseron a été introduit et est devenu invasif, son feuillage subit les attaques d’une chrysomèle (un scarabée herbivore) qui se nourrit sur les feuilles basses près du sol. Si on simule une attaque herbivore en découpant des morceaux de feuille sur des liserons prostrés, on induit un changement de comportement avec une nette augmentation de la vitesse d’enroulement des tiges sans qu’elles ne s’allongent plus pour autant : elles connaissent une croissance différentielle qui augmente l’enroulement et ce aussi bien en environnement ombragé que bien éclairé. Tout se passe comme si la plante « cherchait » à échapper à l’herbivorie en accélérant sa capacité à fuir à la verticale puisque l’herbivore ne la suit pas alors. Si un tel schéma réactif est généralisable à d’autres espèces, on pourrait donc penser que la pression sélective de l’herbivorie (la consommation de feuillage) soit un facteur qui assure la promotion du port grimpant comme moyen d’échapper et d’augmenter son succès reproductif. Un autre argument en faveur de cette hypothèse est qu’une majorité d’animaux herbivores s’attaquent surtout à la base des plantes : chenilles de noctuelles ; escargots ou limaces ; chrysomèles ; … On notera aussi que chez les liserons ces attaques d’herbivores induisent par ailleurs la synthèse de substances alcaloïdes très toxiques, anti-herbivores, des tropanes (3) : ceci s’inscrit dans les tendances générales observées chez les plantes grimpantes (voir ci-dessus) qui subissent plus d’attaques du fait d’une masse de feuillage plus abondante avec la relocalisation des ressources non allouées à la fabrication coûteuse de tissus de soutien.

Colonie de liseron des champs en port grimpant sur une céréale

BIBLIOGRAPHIE

  1. Evolution of a climbing habit promotes diversification in flowering plants. Ernesto Gianoli. Proc. R. Soc. Lond. B (2004) 271, 2011–2015
  2. Leaf damage induces twining in a climbing plant. Ernesto Gianoli and Marco A. Molina-Montenegro. New Phytologist (2005) 167: 385–390
  3. Interactive Effects of Leaf Damage, Light Intensity and Support Availability on Chemical Defenses and Morphology of a Twining Vine. Ernesto Gianoli & Marco A. Molina-Montenegro & José Becerra. J Chem Ecol (2007) 33:95–103

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les plantes grimpantes ornementales
Page(s) : Guide des Fleurs du Jardin
Retrouvez le liseron des champs
Page(s) : 194-195 Guide des plantes des villes et villages