Portulaca oleracea

Les bords des trottoirs avec des graviers sont un milieu idéal pour le pourpier

Simple parmi les simples, le pourpier sauvage fait partie de la biodiversité ordinaire, voire très ordinaire tant cette plante est répandue chez nous et présente sur presque tous les continents. On le connait depuis au moins deux millénaires comme plante médicinale majeure et aussi comme plante alimentaire redevenue tendance par sa richesse remarquable en acides oméga3 polyinsaturés. Cette chronique ne traitera pas de ces deux aspects qui méritent à eux seuls une chronique propre tant les études médicales et biochimiques foisonnent sur cette espèce. Le pourpier étonne aussi par ses capacités incroyables à surmonter les pires stress dont la sécheresse, la chaleur, le sel et l’ensoleillement. Nous allons ici donc nous centrer sur la plante et tenter de comprendre les raisons de son succès planétaire et de son expansion continue ; là encore, il y  tant à dire sur cette plante vraiment surprenante  que nous avons scindé cette présentation en deux parties : la première, ici, sur son écologie et mode de vie ; la seconde abordera ses particularités physiologiques et ses parentés. 

Le pourpier affectionne les cimetières avec leurs micro-déserts en plein soleil !

Plante grasse

Tiges charnues plaquées au sol mais non enracinées

D’emblée, le pourpier sauvage se distingue par son port complètement plaqué au sol (prostré) et ses tiges glabres et lisses, le plus souvent rougeâtres, très ramifiées et étalées de manière rayonnante autour d’un point central ; sans même à avoir à les toucher ou les casser, on pressent leur caractère succulent, chargé de suc. Toute la plante se trouve plus ou moins couverte de feuilles ovales, d’un vert brillant (souvent teinté de rouge), à pétiole très court et elles aussi nettement charnues épaisses ; de près, on ne voit qu’une nervure centrale. Si les feuilles des bases des tiges sont opposées, celles des extrémités tendent à se regrouper en paquets ; les jeunes feuilles naissent dressées, plaquées l’une contre l’autre. Notons que notre flore indigène, hormis les orpins et joubarbes de la famille des Crassulacées, ne compte que de très rares plantes grasses ou succulentes (voir la chronique sur la notion de succulence).

L’extrême ramification des tiges ne manque pas de surprendre à double titre : les ramifications secondaires peuvent devenir aussi longues que les primaires et on peut avoir jusqu’à huit ordres successifs de ramifications. L’ensemble fait penser à une pieuvre étalée au sol ! Le pourpier peut ainsi optimiser la capture de la lumière pour une photosynthèse efficace (voir ci-dessous) ; néanmoins, la densité élevée des feuilles fait qu’elles tendent à se chevaucher et donc à se gêner les unes les autres en se faisant de l’ombre. Ce « défaut » provient d’une contrainte de structure : le poids de la tige qui se ramifie s’accroît plus vite que le poids des feuilles ce qui oblige la plante à concentrer ses feuilles et à les agrandir. 

Remarquable réseau de ramifications des tiges étalées et rayonnantes

L’aspect hautement charnu et le suc laiteux qui s’échappe des tiges cassées ont probablement suscité l’un des noms antiques du pourpier : porcella, petit cochon, qui a donné porcellana en italien, purslane en anglais, et toute une série de noms populaires français dérivés comme porcelaine, porcelane, pourcellaine, porchane, porchailles, … A moins que ce nom ne fasse allusion à l’usage du pourpier comme herbe que l’on donnait aux cochons pour les engraisser, pratique attestée encore récemment dans les Cévennes. Quant à pourpier lui-même, selon le Robert, d’abord orthographié pourpié, ce serait une altération de polpié (fin du 11èmesiècle), issu du latin pullipes ou pullipedem, i.e. pied de poule. Peut-être s’agit-il d’une allusion aux tiges très ramifiées qui imitent les doigts des pattes de poule ? On retrouve cette origine dans d’autres noms populaires tels que piépou ou pipou

Petite boîte 

Avec la floraison qui a lieu entre juin et septembre, plus aucun doute n’est permis : de jolies petites fleurs jaune d’or de 5 mm de diamètre surgissent au milieu du feuillage, soit à l’aisselle des feuilles, soit un peu regroupées vers les extrémités. Chaque fleur se compose de deux « sépales » charnus (en fait l’équivalent de bractéoles ?) bien visibles dans les fleurs en bouton dressées, de cinq pétales (4 à 6 selon les fleurs) vaguement à deux lobes chacun, de 6 à 15 étamines et de stigmates à plusieurs branches. Ces fleurs ne s’ouvrent que par temps ensoleillé, le matin entre 9H et 13H et ne durent en moyenne qu’une journée ; mais, sans cesse, de nouvelles fleurs éclosent et prennent la relève. Bien qu’assez voyantes, ces fleurs n’attirent que peu de visites d’insectes sauf de très petites espèces et, à 95%, elles s’autopollinisent sans passer par l’intermédiaire du transport de pollen par les insectes ou le vent. D’ailleurs, lors de périodes peu ensoleillées prolongées, les pourpiers produisent des fleurs qui restent fermées, dites cléistogames. 

Boutons floraux qui vont s’ouvrir successivement ; noter les deux sépales qui forment un capuchon

Tout ceci assure au pourpier une forte assurance de réussite de fécondation et une forte production de fruits secs de forme très originale : une petite capsule ronde qui s’ouvre spontanément selon une ligne équatoriale ce qui libère un couvercle ; on parle de pyxide (de pyxidis, petite boîte). La petite boîte renferme de nombreuses graines noires luisantes, arrondies et aplaties, finement tuberculeuses qui tombent rapidement au sol après l’ouverture. Le nom latin du genre, Portulaca, dérive de cette structure à partir du latin portula pour petite porte ; ce nom existait d’ailleurs dès l’antiquité en parallèle des deux autres mentionnés ci-dessus. 

Il ne semble pas y avoir de dispositif particulier facilitant la dispersion des graines loin des pieds mères. Néanmoins, ces graines minuscules et couvertes de microaspérités doivent probablement adhérer facilement aux pattes des animaux ou aux chaussures des humains et être ainsi dispersées à distance (voir la chronique sur l’épizoochorie). La répartition planétaire du pourpier tient sans doute avant tout à ses liens  étroits avec l’homme depuis des temps lointains : celui-ci a assuré à son insu la dispersion de l’espèce d’autant que ses graines peuvent survivre presque 40 ans à l’état dormant dans les sols, supportant des températures hivernales extrêmes, dans l’attente d’une perturbation permettant leur germination. 

Compagnon encombrant 

Dès l’automne, les feuilles gèlent et les tiges ne tardent pas à suivre !

Les premières gelées de l’automne tuent rapidement cette plante gorgée d’eau et sans protection de revêtement de poils : il se comporte donc en annuelle d’été. D’ailleurs, il ne monte pas en altitude au delà de 1100m et abonde surtout en dessous de 500m. S’il supporte très bien la sécheresse au stade adulte (voir ci-dessous), comme le laisse supposer son port succulent, le pourpier n’en a pas moins besoin de sols humides en hiver pour permettre la germination de ses graines. La germination des graines dépend de deux facteurs critiques : une chaleur importante (de l’ordre de 30°) et encore plus une forte intensité lumineuse ; 63% des graines en surface germent alors que celles enfouies seulement à 2cm de profondeur ne germent pas ! L’espèce ne peut donc s’installer que sur des sites fraîchement perturbés en plein soleil et restant dénudés car la plante adulte supporte très mal l’ombrage : sous une ombre relative de 50%, la croissance de la plante diminue de 75% !  en culture, un bon paillage du sol permet de le contrôler en le privant de lumière pour germer et se développer ! 

Au delà de ces contraintes, le pourpier recherche les sols sableux ou sableux argileux souvent compactés en hiver, de préférence enrichis en éléments nutritifs (dont le phosphore) et pas trop acides. Il fréquente donc une large gamme de milieux ouverts et récemment perturbés ce qui signifie le plus souvent un lien avec les activités humaines : les sentiers et cheminements piétinés secs, les ballasts, les pieds des murs, les décombres, …  ; on le retrouve aussi en situation plus « naturelle » dans des milieux remaniés au bord des rivières sur les grèves et vasières exondées. Mais, il a surtout appris à exploiter à outrance certains milieux cultivés où il peut proliférer au point d’être classé parmi les 18 « mauvaises herbes  » les plus problématiques pour les agriculteurs dans le monde ! Il affectionne les cultures maraîchères (les cultures de salades par exemple), les vergers et jardins, les pépinières horticoles, les vignes … Le point commun de ces types de cultures est un sol restant nu et sans concurrence d’une végétation herbacée, avec en prime souvent l’irrigation qui dope son développement ! 

Double jeu 

Pour occuper ses milieux de vie, le pourpier s’appuie évidemment sur sa production de graines et leur dispersion. Son cycle de vie court (2 à 4 mois au plus) et les exigences de la germination (voir ci-dessus) conduisent à l’émergence des plantules en fin de printemps/début d’été : à ce moment, la moindre vague de chaleur va engendrer des germinations en masse sur des sols nus (donc avec l’assurance de ne pas entrer en compétition avec de grandes herbes au moins pour cette fois) et ayant conservé un peu d’humidité hivernale. 4 à 6 semaines après l’émergence, la plante commence déjà fleurir ; en deux semaines, les premières capsules de forment et ne vont pas tarder à s’ouvrir et libérer les graines. Les capsules mûrissent de manière séquentielle avec elles des rameaux principaux mûres en premier avant celles des rameaux secondaires et ainsi de suite ; de  plus, les fleurs proches du centre de la rosette fleurissent en premier. Ainsi, la production de graines sera continue tout l’été, prêtes à exploiter tout nouvel espace vide qui se dégage. Des vagues de générations se succèdent donc tout l’été. 

L’autofécondation constitue une assurance contre les intempéries ou l’absence de pollinisateurs. Le nombre total de capsules par plante dépend directement de la biomasse du pied et donc de sa vigueur. Chaque capsule peut contenir de 2 à … 150 graines avec une moyenne autour de 60 à 70. On a estimé pour un pied suivi en Amérique du nord à 242 540 le nombre de graines produites ! Donc, le pourpier dispose d’un pouvoir de multiplication exceptionnel par ses graines. Ajoutons que du fait de sa succulence (réserves d’eau dans la pante), le pourpier se montre capable de poursuivre sa floraison et la production de graines … même si le pied est déraciné et retourné comme j’ai pu l’observer dans mon jardin, stupéfait d’une telle résilience ! 

Mais le pourpier possède une seconde arme de secours : la multiplication végétative par ses tiges charnues. Curieusement pour une telle plante au port plaqué au sol, ses tiges n’émettent pas de racines adventives au niveau des nœuds comme le font nombre de plantes basses couchées … sauf si elles sont cassées ou écrasées. Alors, elles élaborent des racines secondaires y compris sur les fragments séparés et donc de nouveaux pieds se forment, indépendants et le pied initial se renforce avec de nouvelles racines ! Ainsi se dessine la spirale infernale : plus on tente d’arracher ou de piocher les pourpiers, plus il se multiplient sauf à le faire avec une extrême application en veillant à ne briser aucune tige ! On a montré que le piochage manuel induisait plus de ces nouvelles plantes que le broyage mécanique (fragments plus grands) ; dans les parcelles non travaillées, les pieds issus de graines prédominent presque à 100% alors que dans les parcelles travaillées leur proportion tombe à moins de 55%. 

Le pourpier fait partie des plantes classiques des villes dans les endroits les plus improbables

Espèce multiple 

Depuis longtemps, les botanistes ont distingué de nombreuses « variétés » autofertiles autrefois décrites comme des sous-espèces de l’espèce oleracea. Ceci s’explique assez facilement par le mode de reproduction évoqué ci-dessus : l’autogamie qui implique des échanges de gènes nuls entre lignées , sauf les rares cas de pollinisation croisée. Les études récentes en font un agrégat d’au moins 19 microespèces de morphologie identique différant par des détails de leurs graines : la surface du tégument peut être lisse ou couverte de cire ou de minuscules protubérances (papilles, tubercules) ; la forme des cellules en surface varie ; la taille des graines se situe soit en-dessous de 0,85mm chez les « espèces » diploïdes et tétraploïdes, soit au-dessus chez les espèces hexaploïdes. Si vous consultez la récente flore de France Flora Gallica, vous découvrez ainsi qu’en France on recense au moins six espèces de pourpier là où on n’en distinguait qu’une autrefois avec tout au plus deux sous-espèces. Apparemment, en France, l’espèce la plus répandue en dehors de la région méditerranéenne serait P. trituberculata avec deux ou trois gros tubercules centraux sur la graine. Par contre, l’espèce oleracea est limitée au Midi et bien moins répandue. L’avantage d’utiliser les graines pour différencier ces microespèces est de pouvoir effectuer des recherches sur la répartition passée de celles-ci soit à partir d’échantillons anciens d’herbier, soit à partir de prélèvements de graines lors de fouilles archéologiques.  Ainsi en Italie, à l’époque romaine, on a pu reconstituer au moins deux évènements indépendants de colonisation parmi les sept microespèces locales. 

Gravures de Matthioli avec le pourpier sauvage à gauche et le cultivé à droite

Dès les années 1500, on distinguait classiquement deux sortes de pourpier : le pourpier sauvage et le pourpier cultivé très en vogue comme salade, herbe à cuire ou plante médicinale. En 1573, Matthioli publie une planche représentant ces deux variétés alors considérées comme des espèces : le cultivé, nommé alors Portulaca domestica ,renommé depuis P. sativa se distinguait par son port dressé, ses feuilles atteignant ‘cm de large et ses grosses graines dépassant 1mm de diamètre. Mais cette « espèce » est désormais inconnue à l’état spontané et semble même éteinte en Méditerranée occidentale ; il subsiste une forme cultivée dressée aussi en Méditerranée orientale mais ce serait une autre espèce ! 

Bibliographie

THE BIOLOGY OF CANADIAN WEEDS. 40. Portulaca oleracea L. K. MIYANISHI ; P. B. CAVERS. Can. J. Plant Sci.60: 953-963 ( 1980) 

Le livre des bonnes herbes. P. Lieutaghi ; Ed. Actes Sud. 1996.

Flora Gallica. Flore de France.JM Tison et B. de Foucault. Ed. Biotope. 2014

Microspecies of the Portulaca oleracea aggregate found on major Mediterranean islands (Sicily, Cyprus, Crete, Rhodes).Danin, A., Domina G. & Raimondo F. M.Fl. Medit. 18: 89- 107. 2008 

The nomenclature of Portulaca oleraceaand P. sativa (Portulacaceae).Uotila P., Sennikov a. n. & danin a. Willdenowia 42: 25–28. June 2012.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le pourpier potager
Page(s) : 158-59 Guide des plantes des villes et villages