Gallinula chloropus

Si vous avez déjà observé des poules d’eau en train de chercher leur nourriture, vous n’avez pas manqué de remarquer ce « tic » nerveux qui agite en permanence sa queue qu’elle hoche de manière ostentatoire, mettant ainsi bien en évidence la tache blanche qui orne le dessous de celle ci sur un fond noir : un superbe signal noir et blanc qui n’arrête pas de « clignoter » à chaque hochement de queue. Mais à qui s’adresse ce signal et pourquoi est-il aussi intense ? Le naturaliste évolutionniste se dit d’emblée que, vu le coût en énergie d’une telle exhibition, elle doit apporter forcément un plus important pour la survie de l’oiseau !

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Dès qu’elle se déplace, la poule d’eau hoche de la queue ce qui met en évidence la tache blanche. Photo J. Lombardy

Une hypothèse gagnant/gagnant

Il y a déjà plusieurs décennies, on avait observé que le rythme des hochements de queue augmentait avec les risques de prédation, notamment quand les poules d’eau vont pâturer sur les bancs de boue ou les pelouses, jamais très loin de la végétation aquatique touffue où elles se réfugient à la moindre alerte. Comme les individus solitaires le font aussi, ce comportement n’est donc pas lié à une communication avec des congénères, au moins dans ce contexte de recherche de nourriture.

A partir des ces données, une hypothèse a été élaborée : ce signal émis par la poule d’eau informerait les rapaces diurnes, ses principaux prédateurs, de sa capacité de la poule d’eau à s’enfuir très vite en courant vers le couvert le plus proche et que donc ce n’est pas la peine d’essayer de l’attraper ! Il faut savoir que contrairement à une idée reçue la plupart des rapaces sont loin d’être victorieux à chacune de leurs attaques : ils ont donc tout intérêt à éviter de pourchasser une proie hors de portée. Ce système avantage la poule d’eau qui évite de passer son temps à se réfugier en courant (ce qui lui laisse plus de temps pour se nourrir) et donc le rapace qui économise ses forces et peut mieux choisir ses proies.

Restait à démontrer la réalité de cette forme de communication pour le moins originale.

Un peu de vidéo surveillance !

Un ornithologue espagnol (1) a donc entrepris de filmer des poules d’eau hivernantes dans les marais du Guadalquivir en Andalousie qui se nourrissent sur les bancs de vase en lisière de rideaux de massettes où elles se réfugient en cas de danger. Le principal prédateur dans ce contexte était le busard des roseaux qui chasse en vol bas et peut se repérer d’assez loin.

A partir de dizaines de vidéos dans des situations différentes (avec ou sans prédateur à proximité et avec ou sans congénères), le chercheur a pu analyser et quantifier ce comportement des hochements de queue. En fait, les poules d’eau en recherche de nourriture à découvert alternent des phases de déplacement au cours desquelles elles hochent la queue et des phases de vigilance où elles s’arrêtent, cessent tout mouvement et dressent le cou pour inspecter les alentours et l’espace aérien.

L’analyse statistique des comportements observés permet de dégager les résultats suivants :

– le rythme des hochements de queue augmente dès lors qu’un busard est détecté dans le voisinage

– les poules d’eau placées à la périphérie d’un groupe agitent leur queue à un rythme plus élevé en se tournant vers l’extérieur que quand elles se tournent vers leurs congénères

– il y a une relation positive entre les phases de vigilance et le rythme des hochements

– plus le groupe est important en nombre, moins le rythme est élevé

– les oiseaux les plus éloignés du couvert protecteur de la haute végétation aquatique ont un rythme plus élevé que ceux proches du couvert.

On voit donc que ces hochements de queue semblent bien destinés aux rapaces éventuels en les informant de leur état de vigilance : « ce n’est même pas la peine d’essayer, on est prêtes ! ». Même quand le prédateur n’est pas en vue, les hochements continuent car il peut surgir inopinément ; le fait que près du couvert le rythme soit moins élevé est sans doute lié à une recherche d’économie, de compromis entre le risque moindre (tout près de la protection du couvert) et le coût énergétique d’agiter sans cesse la queue.

Mais il reste un problème clé pour que ce système dual fonctionne : le signal émis doit bien correspondre à une réelle capacité de la poule d’eau à échapper au prédateur.

L’honnêteté des poules d’eau

Avec une équipe, le même chercheur (2) a entrepris ultérieurement une étude plus approfondie : observations des comportements sur des oiseaux marqués qui ont donc été préalablement capturés, sexés et dont l’état de santé a pu être évalué via des analyses de sang.

Les résultats reconfirment que le rythme des hochements est corrélé au taux de vigilance et ils apportent plusieurs informations nouvelles très surprenantes :

– les femelles ont globalement un rythme de hochements plus élevé ; or, on sait que les femelles ont un comportement plus agressif globalement (voir l’autre chronique)

– parmi les diverses mensurations effectuées sur les oiseaux observés, une seule a pu être reliée significativement au rythme des hochements : la dissymétrie des tarses des pattes (la « jambe » pour faire simple) : les oiseaux qui ont les tarses les plus symétriques (de même longueur) sont ceux qui hochent le plus vite la queue ! Or, on sait que chez les chevaux de course, la symétrie bilatérale affecte la vitesse de course ; si c’est le cas aussi chez la poule d’eau, cela signifierait que les oiseaux les plus aptes à courir vite (et à se réfugier hors de portée) le signalent le plus fortement. Le seul problème, c’est que cette relation n’a pu être mise en évidence que pour les mâles.

– les paramètres sanguins apportent deux informations décisives : plus l’hématocrite est élevé (autrement dit, plus il y a de globules rouges dans le sang), plus le rythme de hochements est élevé ; or, les globules rouges transportent l’oxygène vers les muscles en situation d’effort ! D’autre part, chez les deux sexes, plus le rapport albumine/globuline du sang est élevé, plus le rythme des hochements l’est : or, ce rapport est un indicateur de bonne santé.

Cette étude apporte bien des éléments de preuve en faveur d’un signal envers les prédateurs avec un fort degré d’honnêteté : plus un oiseau est en pleine forme, plus il agite sa queue ; le prédateur n’est pas berné ! Les moins aptes (en moins bonne condition physique et qui courent moins vite), agitent moins leur queue pour ne pas augmenter le risque d’attirer l’attention.

Comment un tel processus a t’il été sélectionné ?

En fait, les hochements de queue sont probablement apparus comme moyen de communication entre congénères car, lors des parades d’intimidation, ce signal est largement utilisé. Chez la poule d’eau sombre (Gallinula tenebrosa) d’Australie (3), très proche de l’espèce européenne (au point d’être parfois considérée comme une sous-espèce), il a été montré que les individus avec une plaque frontale moins développée (voir la chronique sur le bec de la poule d’eau) tendent à agiter plus rapidement leur queue ce qui serait un moyen de communiquer leur statut social différent à leurs congénères.

Secondairement, sous la pression de sélection par la prédation, ce signal et son utilisation en dehors du contexte intra-spécifique a du évoluer vers ce processus étonnant. On pourrait donc parler d’exaptation, i.e. d’un nouveau caractère avec une fonction primaire et « détourné » ultérieurement vers une seconde fonction ? Ce signalement demande de l’énergie mais sur le long terme, il permet aux poules d’eau d’économiser des dépenses et des dérangements ce qui leur laisse plus de temps pour se nourrir.

Remarquons pour terminer que ce moyen de communication existe chez d’autres Rallidés comme le râle d’eau ou la poule sultane.

Il est connu aussi sous des formes avoisinantes chez divers mammifères herbivores comme les gazelles ou les oréotragues (sortes de « mini-antilopes » des rochers) qui agitent leur queue noire et blanche.

Gérard GUILLOT ; zoom-nature.fr
Merci à J. Lombardy pour le prêt gracieux de ses photos !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Alertness signalling in two rail species. F. Alvarez. Anima. Behaviour. ; 1993, 46, 1229-1231
  2. Relationships between tail-flicking, morphology, and body condition in Moorhens. Fernando Alvarez,Cristina Sanchez, and Santiago Angulo. Journal of Field Ornithology, 2006
  3. Scanning and tail-flicking in the australian dusky moorhen (Gallinula tenebrosa). D .A. Ryan ; K.M. Bawden ; K.T. Bermingham ; M.A. Elgar. The Auk 113(2) : 499-501, 1996.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la gallinule poule d'eau
Page(s) : 283 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez la gallinule poule d'eau
Page(s) : 246 Le guide de la nature en ville
Retrouvez le râle d'eau et la poule sultane
Page(s) : 276 et 282 Le Guide Des Oiseaux De France