Cette chronique rapporte quelques aspects de la biodiversité observée lors d’une mini-balade sur un espace naturel accessible au grand public ; il ne s’agit que d’un instantané très partiel pour une date donnée avec des informations complémentaires sur le site. Vous pouvez retrouver l’ensemble de ces chroniques-balades à la lettre Z, rubrique Zoom-balade. 

25/11/2019 ; 13h-14h

De gauche droite : la vallée, le bief, la ripisylve rougeoyante et le coteau rocheux jaune

De passage pour me rendre à Ardes, profitant d’une très belle éclaircie, je m’arrête une petite heure faire ce très court circuit (à peine 1km) au bord de la route et que C. Noiseux, l’animateur de l’excellent magazine de l’environnement H2O sur France Bleu Pays d’Auvergne avec qui je collabore de temps à autre, m’avait loué à plusieurs reprises : « tu verras, c’est superbe ». Effectivement, ce site vaut le détour car il réunit sur un tout petit espace un condensé de biodiversité avec trois milieux très contrastés : une rivière avec sa forêt galerie, des sources salées et un coteau rocheux granitique abrupt. Les belles couleurs d’automne (très en retard cette année) ont par ailleurs bien contribué à agrémenter cette micro-balade. Une occasion de plus aussi de montrer que même à cette saison on peut toujours continuer à pratiquer la botanique … en s’adaptant ! 

Le jaune d’or des peupliers noirs ou liards particulièrement imposants

Elle descend de la montagne 

Nous sommes dans une étroite vallée à 500m d’altitude et devant nous, au nord, se dresse l’imposant coteau de Chabagnol qui culmine à 850m donnant sur le plateau allongé du Fromental. Nous sommes ici à portes de l’étage montagnard puisque si nous remontons la vallée nous entrons dans le vaste plateau Cézallier (voir le zoom-balade sur le lac des Bordes) tout en étant résolument tourné vers le « Midi » puisque nous sommes tout au sud du département du Puy-de-Dôme et que la vallée s’ouvre en contrebas sur le Lembron, un petit bassin du sud de la Limagne au climat nettement teinté de méditerranéen. 

Et au milieu coule une rivière, la Couze d’Ardes, Ardes étant la commune située quelques kilomètres en amont, porte d’entrée du Cézallier. Ce terme de couze, bien familier des auvergnats, interpelle « l’étranger » de passage. Il s’agit effectivement d’un régionalisme, un mot qui dériverait d’un terme préceltique, cosa. On pourrait le traduire, approximativement, par torrent : il désigne plusieurs rivières qui prennent leur source sur les hauteurs du Sancy ou du Cézallier et vont rejoindre la rivière allier sur sa rive gauche en suivant un cours parallèle orienté Ouest-Est. Du fait de leur origine, elles ont effectivement un régime presque torrentiel et coulent sur un lit très caillouteux fait de gros blocs. Elles ont profondément creusé leurs vallées, entaillant le paysage et créant ce qu’on appelle un pays coupé : une succession de plateaux allongés perchés séparés par de profondes vallées aux pentes boisées. Quatre grandes Couzes découpent ainsi le pays des Couzes du nord au sud : la Couze Chambon (ou Couze Champeix), la Couze Pavin (ou Couze de Besse) avec son affluent la Couze de Valbeleix (gorges de Courgoul) et donc la Couze d’Ardes. Cette dernière qui nous concerne aujourd’hui prend sa source au pied du mont Chamaroux dans le Cézallier à presque 1400m d’altitude ; elle rejoint la rivière Allier 40 kilomètres plus loin au Breuil-sur-Couze.

Ripisylve 

Des fusains d’une belle venue, couverts de fruits

Aussitôt passé le grand panneau d’entrée du circuit, on franchit un bief rectiligne bétonné qui alimente la pisciculture de Barrège en aval. En bordure s’est développée une petite zone humide avec des massettes et des massifs d’épilobes hérissés en fruits. En contrebas s’étend une zone envahie de ronces d’où émergent les grandes feuilles en « oreilles d’ânes » (un de ses surnoms) de la consoude officinale, un marqueur de milieu humide.

Sur le côté se dressent trois fusains d’Europe couverts de leurs fruits singuliers, les « bonnets carrés » (voir la chronique sur la dispersion de ces fruits par les oiseaux) : avec presque quatre mètres de haut et des troncs conséquents, ils mériteraient le terme de vénérables pour un arbuste d’habitude bien plus modeste. Les alluvions riches en nutriments déposés régulièrement par les crues doivent y être pour beaucoup. Le sentier tourne à gauche et on entend la forte rumeur de la Couze toute proche ; nous entrons dans la forêt galerie ou ripisylve qui longe la rivière.

Un arbre gigantesque au tronc fissuré et ventru, un peuplier noir sauvage ou liard, attire tout de suite le regard à double titre : sa cime dépasse largement tous les autres arbres et surtout il porte collé à son tronc plusieurs énormes troncs de lierre, tels des varices monstrueuses, qui se ramifient plus haut et déploient le feuillage du lierre jusqu’à la cime ; un autre liard encore tout vêtu de sa parure de feuilles jaune d’or se dresse tout près mais libre de lierre.

Trois des troncs de cette cépée de peuplier noir se sont arrachés, générant une grosse masse de bois mort

L’humidité ambiante favorise le pourrissement du bois mort ou abîmé et une vieille cépée de peuplier noir a littéralement explosé lors d’un coup de vent : trois des troncs de la cépée se sont abattus, générant une trouée et une provision de bois mort pour toute une foule d’insectes et de champignons décomposeurs. 

Les mousses s’éclatent dans ce monde ombragé et saturé d’humidité sur le sol, sur les troncs morts comme sur les troncs vivants. Au milieu de cette marée verte, je repère des draperies d’un vert sombre et curieusement festonnées : des colonies d’hépatiques à feuilles (voir la zoom-balade de la presqu’île de St Cirgues), remarquables par leur taille  inhabituellement grande : même pas besoin de sortir la loupe compte-fils ce qui est exceptionnel pour ces végétaux nains. Il doit s’agir de Porella platyphylla, une espèce assez répandue semble t’il. De retour à la maison, je découvre qu’elle a une espèce « jumelle » (P arboris-vitae) qui s’en distingue par un critère simple (pour une fois) et sympathique : elle a une saveur acre et poivrée que n’a pas platyphylla ! Ce sera pour une prochaine rencontre !

Berges 

Les derniers instants du feuillage d’un camerisier à balais en sous-bois

En sous-bois, un autre feuillage jaune doré attire le regard : des érables champêtres peuplent le sous-étage et exhibent leur dernière vague colorée avant la chute des feuilles (voir la chronique sur les feuilles mortes). Sur la berge, un arbrisseau au port lâche et aux rameaux arqués arbore des feuillages d’un doux jaune pâle : le camérisier à balais, un chèvrefeuille arbustif et non grimpant, typique des bois frais.

Les troènes vulgaires, eux, semblent indifférents au cours bien avancé de l’automne et conservent leur feuillage vert. Ces trois arbres ou arbustes indiquent un sol riche en éléments nutritifs et toujours frais.

Touffes de grande luzule décapées lors d’une crue éclair

Les plantes herbacées connaissent le déclin automnal comme les tapis de lamiers jaunes, au feuillage à moitié vert, à moitié jaunâtre. D’autres par contre persistent toute l’année au moins pour les feuilles basales, pour le plaisir du botaniste qui peut ainsi continuer à les recenser : ainsi, au plus près de la rivière, s’étalent les colonies de grande luzule ou luzule des bois aux longues feuilles vert foncé qui portent de fins poils blancs, visibles de près. Par endroits, la rivière, qui a du récemment déborder un peu à l’occasion du dernier épisode pluvieux intense de samedi dernier, a affouillé la berge, décapant le sol : mais les touffes de luzule solidement arrimées par une souche profonde tiennent bon et vont repartir de plus belle.

Un peu en retrait, au bord du chemin, des grosses feuilles rondes et duveteuses toutes fraîches signent une colonie de doronic tue-panthères qui fleurira au cours du printemps prochain donnant de grandes marguerites jaunes. Avec la luzule, il signale l’ambiance un zeste montagnarde du site. Ailleurs le long de ces couzes, on peut trouver notamment au printemps plusieurs espèces rares nettement montagnardes, descendues en quelque sorte des hauteurs en suivant la rivière, et ce à des altitudes relativement basses jusque dans la plaine, à la faveur de la protection climatique de la ripisylve.

Griffon et travertin 

On franchit la Couze impétueuse sur une passerelle métallique et l’on remarque de suite sur la berge opposée de larges trainées ocre rouille qui se déversent vers la rivière. Il suffit d’avancer de quelques mètres pour en comprendre l’origine : d’un petit bassin cimenté aménagé s’échappe une rigole chargée d’une « boue » rouille : une source minérale, très chargée en fer s’écoule du pied de la butte et rejoint la rivière. Un peu en arrière, un affleurement rocheux caverneux tout suintant et porteur lui aussi de cette teinte ocre : l’eau chargée de sels minéraux, en suintant au pied de la butte rocheuse au-dessus, au contact de l’air, perd une partie de son contenu gazeux ce qui provoque la précipitation des sels dissous qu’elle contenait. Ainsi, au fil des siècles et des millénaires, se construit une accumulation minérale, une pétrification calcaire qui donne naissance à une roche très légère : un travertin ou tuf. 

Un peu sur la droite, en longeant la Couze vers l’aval, on découvre un second site avec une « cabane » de pierre au milieu de laquelle gargouille bruyamment une source bouillonnante dont une partie s’écoule et s’étale créant un mini-marais salé tout autour ; on appelle griffon une telle émergence de source.

Griffon aménagé de la source de la Colline

Des massifs de roseaux, des phragmites, en cours de jaunissement eux aussi, marquent cette humidité et cette minéralité. Comme l’indique le panneau pédagogique, les aménagements effectués visent à favoriser l’étalement de cette eau salée et l’éventuelle installation de plantes très rares, des plantes halophiles spécialistes des terrains salés, normalement présentes sur le littoral et qui possèdent quelques stations très ponctuelles au bord des sources salées de la région. Ainsi, le glaux maritime (Lysimachia maritima), une plante typiquement littorale, cité sur le panneau, est présent sur la commune d’Ardes d’après le site du Conservatoire Botanique mais est-il présent ici ? En tout cas, je ne l’ai pas vu mais la saison ne s’y prête guère ! 

Enigmes de l’escalier 

Le coteau rocheux

Au-dessus se dressent les parois rocheuses et le sentier de la passerelle y conduit via des escaliers sommairement aménagés avec des troncs coupés. On monte ainsi d’abord à travers une forêt claire, une sorte de pré-bois, dominée par des chênes mais radicalement différente de la ripisylve juste de l’autre côté de la rivière. Exposée plein sud, emmagasinant la chaleur estivale, avec des sols plus ou moins squelettiques sur ces pentes rocheuses, on entre dans la chênaie thermophile nous dit un panneau pédagogique, ce que l’on pourrait traduire en « chênaie chaude ». 

Panneau pédagogique

Dès les premières marches, deux sortes rosettes de feuilles m’interpellent car sur le coup je ne vois pas bien de quelles espèces il s’agit. Il faut dire que je suis ici assez loin de mes terrains de « chasse » habituels à l’autre bout du département. Quelques mètres plus haut, je vais vite avoir la réponse à mes interrogations botanistiques ! 

La première plante présente des rosettes feuilles duveteuses vaguement crénelées sur les bords. Ce sont les tiges fructifiées séchées, produites au cours de ce printemps et restées sur pied, qui me donnent une réponse immédiate et sans hésiter : une longe grappe de fruits secs en faux, très allongés, tous penchés du même côté ; il n’y a qu’une espèce avec une telle fructification : l’arabette tourette (Pseudoturritis turrita). Cette plante rare ne se rencontre que dans les régions montagneuses de l’Est, du Centre et du Midi et colonise les pentes rocheuses, les lisières et bois clairs dans des stations chaudes et sèches. En fait, je la connaissais déjà mais en pleine période de floraison et je n’avais jamais prêté attention à la rosette basale qui sèche au printemps ! 

Pour l’autre plante, aucun doute : il s’agit d’une laitue avec ses feuilles roncinées comme disent les botanistes et chargées de lait blanc : mais laquelle, surtout dans ce milieu ? La réponse me vient un peu plus haut où deux pieds sont encore en fleurs : de longues tiges ramifiées d’une teinte blanc ivoire inhabituelle avec des feuilles très étroites comme plaquées sur la tige et quelques capitules de languettes jaunes en fin de vie. Il s’agit de la laitue à feuilles de chondrille dont la flore nationale dit : présente du Midi au Périgord, à la Limagne (ici donc presque) et à la Bourgogne et spécialiste des pelouses rocailleuses et des éboulis chauds. Elle aussi, je la connaissais mais ce qui m’a trompé c’est sa présence en nombre en sous-bois même si le site est rocheux et clairsemé ! 

On dirait le sud 

Chênes pubescents aux troncs noirâtres et genêts purgatifs

On débouche sur une plate forme au pied de la paroi rocheuse abrupte qui s’étend au-dessus. Choc de paysage qui va de pair avec le choc thermique que connaît ici la végétation. Des lichens foliacés couvrent les blocs rocheux et çà et là se dressent des chênes torturés aux troncs noirâtres, tortueux, en cépées étalées avec un feuillage dépérissant mais toujours bien accroché (marcescent). Ce sont des chênes pubescents ou chênes noirs (à cause de l’écorce), les chênes truffiers du Périgord reconnaissables au revêtement duveteux sous les feuilles, même si à cette saison il s’est bien atténué. Ils signent l’exposition plein sud, thermophile (un mot transparent) du site qui doit subir un soleil écrasant en été. Au milieu des rochers, des touffes de feuilles bleutées et charnues pendent : le grand orpin, un autre spécialiste des pentes rocheuses. Sa présence me suggère de revenir ici en mai pour voir s’il n’y a pas son hôte spécifique, la chenille d’un petit papillon bleu, l’azuré des orpins, rare et confiné dans de tels sites ponctuels. 

Massif de genêt purgatif déjà en fleurs

Des touffes de genêt grimpent à la base des premiers rochers avec une encore fleurie : leur taille basse, la coloration bleutée (glauque) des tiges pratiquement sans feuilles, la petite taille des fleurs indiquent sans hésitation le genêt purgatif (Cytisus oromediterraneus) dont l’épithète latin signifie « des montagnes (oro) méditerranéennes ». Cette espèce avide de soleil, très résistante à la sécheresse et adepte des terrains granitiques, habite le Massif central et une partie des Pyrénées ; il peut côtoyer son proche cousin le genêt à balais mais le remplace dès que le site devient trop sec comme ici. On le retrouve en grand nombre dans les landes d’altitude sur les pentes du Sancy voisin. 

Je repère juste à côté rosettes de feuilles très découpées étalées au sol : cette fois, je connais ; c’est la centaurée maculée (Centaurea stoebe), une espèce elle aussi xérophile (lieux très secs) des pelouses et rocailles et que l’on retrouve en nombre sur les grèves arides de la rivière Allier en pleine Limagne. 

Panneau pédagogique

Ainsi, l’espace de quelques enjambées, nous avons parcouru un condensé de trois milieux très typés avec leur biodiversité spécifique et ce, en dépit, de la saison avancée, juste en scrutant un peu plus les moindres indices.

Accès : en venant de St Germain-Lembron, en direction d’Ardes, juste après la pisciculture de Barrège (et avant de passer sous une ligne électrique), prendre à droite une piste qui descend vers un petit parking au bord de la rivière. le sentier est balisé et aménagé ; il y a même une table de pique-nique au bord de la passerelle qui franchit la Couze. 

N.B. Comme pour la balade de Châteauneuf-les-Bains (voir la chronique), F. Peyrissat a visité le site dans les jours qui ont suivi la parution de cette chronique et a observé divers lichens : outre des espèces gélatineuses noirâtres gorgées d’humidité, elle a photographié une parmélie, Punctelia borreri avec des points blancs (soralies) sur un fond bleuté (comme un ciel étoilé!) et un lichen fruticuleux arbustif, accroché aux rochers comme un pendentif, Ramalina pollinaria. Vous pouvez revoir les chroniques sur la vie passionante des lichens !

Bibliographie 

Site du conservatoire Botanique national du Massif Central https://www.cbnmc.fr

Flore forestière française. Tome 2 montagnes. JC Rameau et al. Ed. IDF 1993

Mousses et hépatiques de France. V. Hugonnot et al. Ed. Biotope. 2015