Dioscorea communis

Notre flore indigène ne compte qu’une petite dizaine de plantes grimpantes herbacées (aux tiges non ligneuses) et volubiles, i.e. celles dont les tiges s’enroulent en spirale autour d’un support à la manière des ipomées ornementales bien connues (voir la chronique sur le port grimpant de ces plantes) ; ce sont le houblon sauvage, les liserons des haies et des champs, les cuscutes (voir les chroniques sur ces plantes parasites proches parentes des liserons), les renouées vrillées (deux espèces) et le tamier. Ce dernier se distingue par un ensemble d’originalités autant au niveau de sa biologie que de ses rapports avec l’Homme. 

Vigne 

Station typique en lisière d’un bois

Le tamier est donc une plante herbacée grimpante et son nom, parfois sous la forme taminier, daterait d’après le Robert de à la fin du 18èmesiècle et dériverait du vieux français tampour plante grimpante en usage au 17ème, emprunté au latin thamnum lui-même dérivé du grec thamnospour buisson. Dans l’Antiquité, le mot tamnus ou thamnus désignait en fait une plante grimpante aux fruits rouges rappelant le raisin (voir ci-dessous) mais non clairement identifiée. Plusieurs des noms populaires reprennent le terme de vigne, associé à l’idée de liane (l’équivalent dans ce sens du vine anglais) : vigne noire, vigne vierge ou vigne sauvage ; les noms médiévaux de viticelle ou viticella vont dans le même sens. On trouve aussi une comparaison avec le liseron sous la forme haut liseron, haut dans le sens de grand et grimpant très haut. Les anglais la surnomment black bryony, la bryone noire, par opposition à la bryone blanche, une plante grimpante encore plus commune qui cohabite parfois avec le tamier ; noir ou blanc se réfère à la racine (voir ci-dessous). Profitons-en d’emblée pour justement apprendre à différencier ces deux espèces complètement non apparentées : la bryone blanche ou dioïque a des feuilles lobées au contour pentagonal et surtout elle grimpe sans enrouler ses tiges et s’accroche via des vrilles forme de ressorts à boudins (voir les chroniques sur cette autre grimpante herbacée). Elle a aussi des fruits charnus mais plus petits et bien ronds et d’un rouge foncé très différent. 

Le tamier grimpe donc en enroulant ses longues tiges atteignant souvent 3m et plus autour des supports rencontrés : l’enroulement se fait dans le sens des aiguilles d’une montre.

Comme ses tiges sont fortement ramifiées dès la base (voir ci-dessous le tubercule), le tamier tend à former des draperies tressées qui peuvent recouvrir la végétation notamment dans les haies bocagères bien exposées. Assez commun dans toute la France, surtout dans la grande moitié sud (espèce aimant la chaleur ou thermophile), il fréquente en outre surtout les lisières, les zones buissonnantes, les forêts claires pentues, en plein soleil ou en mi- ombre, sur des sols riches et souvent calcaires. 

Drôle de famille 

Hormis une espèce très rare endémique dans les Pyrénées centrales, la Dioscorée des Pyrénées, le tamier est le seul représentant en Europe de l’Ouest de sa famille, forte d’environ 890 espèces essnetiellement tropicales : les Dioscoréacées. Au sein de cette famille, en dehors de deux petits genres avec deux espèces chacun, toutes les espèces se rattachent au seul genre Dioscorea, dont le nom fut créé pour célébrer la mémoire du célèbre médecin botaniste grec Dioscoride. Le tamier se nomme ainsi  Dioscorea communis. Jusqu’à très récemment, on le classait dans un genre à part, Tamus, avec trois autres espèces ce qui explique le nom vernaculaire qui lui reste attaché en pratique. En effet, toutes les autres espèces du genre Disocorea ont un fruit sec porteur de côtes voire ailé alors que les tamiers se démarquent par un fruit charnu, une baie à plusieurs graines. Pour spectaculaire que soit cette différence en apparence, elle ne traduit pas pour autant une forte divergence car il ne s’agit que d’une évolution différente de la paroi du fruit dont les cellules, au lieu de se dessécher, se gorgent d’eau. On a donc décidé de réintégrer le tamier au milieu des Dioscorea, parenté confirmée par les analyses génétiques. Pour le reste, le tamier partage l’essentiel des caractères communs des dioscorées tropicales dont voici le portrait-robot : des plantes grimpantes herbacées volubiles possédant un organe souterrain de réserves (voir ci-dessous), des fleurs petites peu colorées groupées en inflorescences ramifiées, un ovaire infère (sous le reste de la fleur), des sexes séparés (dioïque : voir ci-dessous), des feuilles à long pétiole avec un grand limbe dont la base n’entoure pas la tige, des nervures principales arquées parallèles et des nervures secondaires réticulées. On pourrait donc nommer le tamier la dioscorée commune mais ce serait faire fi d’une longue histoire partagée avec l’homme. 

Igname 

Fragments de tubercule de tamier

Parmi les caractères communs cités ci-dessus figure la présence d’un « tubercule » souterrain ;  effectivement, le tamier en possède lui aussi un et pas des moindres puisqu’il peut atteindre … plus de 10 kilos ! Il s’agit d’une sorte de gros navet noirâtre, épais, charnu à chair blanche et doté de racines éparses. C’est l’écorce foncée qui vaut le qualificatif « noir » dans les noms populaires (voir ci-dessus). Cet organe souterrain s’enfonce profondément ; personnellement, j’ai essayé une fois d’en déterrer un sur un talus forestier : tâche compliquée par la présence de racines d’arbres et la profondeur atteinte ; je n’ai ou en tirer que des morceaux (voir photos) suffisants pour réinstaller un pied dans mon jardin ! En fait, il s’agit de la base de la tige élargie au niveau des deux premiers entre-nœuds ; elle porte au sommet quelques bourgeons qui, chaque printemps, redonne une tige herbacée qui se ramifie dès la base en un paquet de tiges grimpantes plutôt grêles, cylindriques et rayées en long, lesquelles vont sécher dès l’automne et disparaître dans l’hiver.

Sur les tiges se développent les feuilles en forme de cœur ou d’as de pique, vert foncé luisantes sur un long pétiole épaissi à la base et portant deux petites glandes basales en forme d’oreillettes. Elles arborent des formes très variables avec une pointe plus ou moins marquée et parfois un resserrement ; le pétiole possède deux points d’articulation à ses deux extrémités (pulvinis) qui permettent une orientation différenciée de la feuille selon la végétation environnante, une capacité bien utile pour une liane poussant dans une végétation souvent dense. Le tamier se comporte donc comme une plante à bulbe (géophyte), vivace par son « tubercule » mais annuelle par ses tiges ; il permet au tamier de persister très longtemps dans ses stations. 

Longs pétioles qui portent les feuilles au-dessus de la végétation support

Ce tubercule volumineux n’a plus rien d’étonnant quand on sait que parmi les dioscorées tropicales figure une espèce bien connue comme légume-racine : l’igname (le yam anglais), riche en amidon, très souvent confondu avec la patate douce, la racine tubérisée d’une toute autre plante, une ipomée de la famille des liserons !  

Herbe aux femmes battues !

Le « tubercule » du tamier renferme certes de l’amidon mais aussi toute une batterie de substances chimiques toxiques pour la plupart, arsenal protecteur contre les attaques des rongeurs : des cristaux d’oxalate de calcium très irritants, des tanins et surtout des saponines toxiques. Cette tige-racine est très connue depuis l’Antiquité en application externe pour ses propriétés rubéfiantes (provoquer une rougeur locale) et analgésique (calmer la douleur). On l’employait bouilli, broyé et appliqué en cataplasmes ou cru directement pour atténuer les douleurs liées aux rhumatismes (notamment au niveau des vertèbres cervicales), pour soigner les refroidissements ou atténuer les contusions, les « bleus ». De ce dernier usage vient le sinistre surnom du tamier à la campagne : herbe aux femmes battues car sans doute cela permettait aux maris batteurs d’effacer les traces de leurs exactions ignobles ! Mais attention, l’application sur la peau peut provoquer de violentes réactions : érythèmes sévères ou œdèmes incontrôlés. D’ailleurs, sur les marchés de campagne où l’on vendait ces racines, on la surnommait « racine de feu ». Autant dire qu’il est encore plus hors de question de consommer cet « igname » local même si certaines personnes prétendent en avoir consommé après une longue cuisson dans plusieurs eaux. 

Racine tubéreuse de bryone ou navet du Diable

Notons que l’on retrouve une telle racine « monstrueuse » chez la bryone citée ci-dessus, faux-jumeau du tamier en version « blanche », et qu’elle aussi fait l’objet d’usages médicinaux variés à la campagne pour sa toxicité toute aussi forte sous le surnom évocateur de navet du Diable.

Asperge 

Chaque printemps donc, la partie souterraine refabrique de nouvelles tiges qui émergent sous forme de pousses allongées qui font toujours localement l’objet d’une cueillette comme « asperges » sauvages. Cette pratique concerne d’ailleurs d’autres plantes comme les jeunes pousses printanières du petit houx, de la bryone, du fenouil, du houblon, du silène enflé, des oseilles sauvages … et a surtout lieu dans les pays ou régions méditerranéennes. Pourtant, ces organes frais contiennent eux aussi des substances toxiques dont la diosgénine mais d’une part elles y sont moins concentrées et d’autre part on les fait cuire longuement avant consommation ce qui les éliminerait. D’après les personnes qui en déjà consommé, les « asperges » du tamier conservent un goût amer et parfois même un certain pouvoir vomitif ! 

Cet usage remonte à l’antiquité puisque Dioscoride écrivait déjà que « ses premiers tendrons sont bons à manger, tout ainsi que les autres herbes des jardins« . Plus tard, Matthiole au 16èmesiècle en Tosane rapportait : « Au mois de mars et d’avril, on en vend en plein marché ses premiers bourgeons liés en petites poignées comme on fait des autres herbes, pour les manger ».

Dans un article paru en 1982, on trouve moult détails sur l’engouement des habitants de la région d’Albi et de Carmaux pour ces ripounchous ou raspounchous comme on les appelle (souvent traduit en raiponces mais en fait dérivé plutôt de repousse). Les pousses sorties de terre ne doivent pas dépasser trois à cinq millimètres de diamètre ni voir leurs feuilles et boutons floraux plaqués commencer à s’écarter : on ne cueille que la pointe étroite sur une quinzaine de centimètres. Deux variétés sont distinguées traditionnellement : celles à tige verte et celles à tige violacée, la seconde étant plus réputée. On les accommode après cuisson soit en salade soit en omelette. 

Tige fine et dressée ; ici, la « variété » violacée (en fait juste une variante selon l’exposition à la lumière)

Des analyses chimiques alimentaires soulignent la richesse en acide citrique (plus de 200mg/100g) et en vitamine C et en acides aminés. On note aussi la présence importante de caroténoïdes dont la lutéine. Ces asperges sauvages représentaient donc un bon complément alimentaire pour la qualité de leur valeur nutritive. Faut-il pour autant remettre à la mode cet usage sachant qu’autrefois localement la cueillette finissait par raréfier significativement l’espèce ? 

Sexes séparés 

La floraison printanière après la croissance des nouvelles pousses passe facilement inaperçue car les fleurs sont jaune verdâtre et petites (4 à 5mm de diamètre) en grappes allongées, plus ou moins ramifiées. En forme d’étoile à 6 pétales soudés à leur base, elles sont soit mâles, soit femelles selon les pieds : les deux sexes sont donc séparés (comme chez la bryone, décidément : voir la chronique ) et on parle de plante dioïque.  Les fleurs mâles nombreuses en grappes dressées comptent six étamines tandis que les fleurs femelles peu nombreuses en grappes penchées présentent trois styles soudés et en-dessous un ovaire rond infère. 

On constate une certaine différenciation entre les deux sexes : les pieds mâles fleurissent plus tôt et plus longtemps que les femelles et sont plus nombreux dans l’environnement (sex-ratio décalé) ; ils sont plus grands et produisent beaucoup pus de fleurs. Au moins dans le nord de son aire de répartition, ces fleurs semblent recevoir assez peu de visiteurs bien qu’elles produisent du nectar ; on y observe notamment des mouches rapaces (Empididés) ou des petites abeilles solitaires. Par contre, elles reçoivent très peu de visites d’abeilles domestiques ou de papillons. Les pieds femelles qui fleurissent un peu plus tôt se trouvent favorisées pour leur pollinisation car elles ont plus de chances de recevoir du pollen de fleurs mâles déjà fleuries avant elles. La compétition entre mâles pour la diffusion de leur pollen favoriserait leur floraison plus abondante, qui dure plus longtemps (27 jours versus 21 pour les femelles) et la taille supérieure de la plante et des fleurs.

Raisin du Diable 

Les fleurs femelles fécondées se transforment en baies d’abord vertes de la taille d’un pois mais légèrement plus larges que hautes ; à maturité, elles virent au jaune-orangé puis au rouge corail avec une peau luisante et une pulpe juteuse orangée ; les grappes compactes forment au long des tiges de beaux chapelets du plus bel effet. Chaque baie, formée de trois alvéoles soudées (qui correspondent aux trois styles de la fleur) contenant chacune deux graines rondes un peu ailées de 2-3mm, dures et jaunâtres. 

L‘évolution chez les tamiers vers des fruits charnus (voir le paragraphe sur la famille) correspond à un mode de dispersion par les animaux qui les mangent et rejettent les graines dures dans les excréments (voir la chronique sur ce processus appelé endozoochorie). Ces fruits persistent sur les tiges sèches après la chute rapide des feuilles en fin d’été et attirent l’attention sur fond de végétation dénudée. En milieu d’hiver, ils sont consommés par les merles ou grives essentiellement en Grande-Bretagne ; en Espagne, ce sont les rouges-gorges et les merles  ainsi que les fauvettes à tête noire ; ces dernières au gosier un peu limité pour la taille de ces fruits pressent ces abies dans leur bec pour les réduire un peu avant de les avaler. Ils semblent assez peu attractifs à cause de leur âcreté et de leur toxicité relative qui tend à accélérer leur transit digestif (effet laxatif) ce qui limite les risques d’attaque des sucs digestifs sur les graines ; si dans le voisinage il y a des fruits plus appétents (comme du sureau noir ou des aubépines par exemple), ils sont négligés et finiront par tomber au sol, secs, en même temps que les tiges qui se dégradent. Ce mode de dispersion permet au tamier de coloniser à distance les nouvelles ouvertures dans les paysages forestiers lors des coupes ou des incendies. 

Pour l’homme, ces baies sont très toxiques et on a décrit des cas d’intoxications mortelles notamment de la part d’enfants qui prennent ces beaux fruits pour des groseilles ! Ceci explique son vieux surnom de raisin du diable avec le double sens lié à la vigne (voir le premier paragraphe). Cependant ce risque reste limité car, dès la mise en bouche, elles seraient très irritantes et donneraient une sensation brûlante. Ces fruits ont aussi été utilisés en application externe contre les taches de la peau dont celles de rousseur mais là encore avec des effets potentiellement très irritants.

Bibliographie 

Phenotypic selection on flowering phenology and size in two dioecious plant species with different pollen vectors.MIGUEL A. MUNGUIA-ROSAS, JEFF OLLERTON and VICTOR PARRA-TABLA. 
Plant Species Biology (2011) 26, 205–212 

Carotenoid content of wild edible young shoots traditionally consumed in Spain (Asparagus acutifolius L., Humulus lupulus L., Bryonia dioica Jacq. and Tamus communis L.). Patricia Garcia-Herrera et al. J Sci Food Agric 2013;93:1692–1698

Wild vegetables of the Mediterranean area as valuable sources of bioactive compounds.M. C. Sanchez-Mata et al. 2011. Genet Resour Crop Evol


La cueillette et la consommation du tamier dans la région d’Albi, Carmaux, Castres.Aubin Marie-Christine. In: Études rurales, n°87-88, 1982. La chasse et la cueillette aujourd’hui. pp. 109-113

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le tamier
Page(s) : 30-31 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus
Retrouvez le tamier
Page(s) : 32-33 Guide des Fleurs des Fôrets