Kniphofia uvaria

Le tison de Satan, originaire d’Afrique du Sud, est devenu une espèce très répandue dans les jardins sous nos climats. Elle fait partie du genre Kniphofia qui compte pas moins de 71 espèces toutes africaines mais avec 48 d’entre elles localisées dans les montagnes et côtes d’Afrique du sud, la chaîne du Drakensberg étant le centre de diversité du genre.

Une ornementale très appréciée

L’épi floral remarquable par sa densité, sa hauteur (jusqu’à 1,50m de haut en comptant toute la tige porteuse) et sa coloration : avant la floraison, tout l’épi en boutons est rouge uni ; les fleurs du bas s’ouvrent en premier et prennent une coloration jaune tandis que les fleurs de la moitié supérieure encore en boutons restent d’un rouge orangé brillant. Ceci donne à l’épi floral un aspect bicolore très frappant, jaune en bas et rouge feu en haut, qui lui ont valu une série de noms populaires très évocateurs : tison de Satan en France, lanterne à la Réunion, red hot poker (tisonnier porté au rouge) ou torch lily (liliacée en torche) en anglais.

En fait, en culture, il s’agit le plus souvent d’hybrides complexes avec presque toujours l’espèce uvaria comme un des parents ; des dizaines de cultivars ont ainsi vu le jour et de manière croissante vu l’engouement dont bénéficie cette plante en jouant sur la taille et la couleur des épis, certaines formes ayant des épis entièrement jaune vif, donc loin du type originel.

Le tison de Satan est aussi devenu très recherché comme fleur à couper idéale pour un bouquet en vase. Elle pose cependant quelques petits soucis aux industriels car les inflorescences coupées ont tendance à se redresser dès qu’elles sont stockées même au froid à plat : cette réaction correspond à ce qu’on appelle un géotropisme négatif, i.e. une réaction innée de la tige capable de détecter l’orientation de la pesanteur et de s’orienter à contre sens (vers le haut). Une étude menée par une équipe autrichienne et sri-lankaise (pays producteur) a trouvé une parade à ce souci : emballer les tiges coupées dans des journaux humides, le tout dans des sacs en polyéthylène à 4°C !

Une plante mellifère pour nos jardins

Les fleurs présentent une corolle en long tube (4cm de long) à six lobes qui correspondent aux six tépales soudés. La base de la corolle se resserre un peu au niveau de l’ovaire dont les parois secrètent du nectar via des glandes (nectaires septaux). Deux cercles de trois étamines légèrement différentes en taille s’attachent à la base de la corolle et saillent un peu à la floraison puis fanent assez rapidement et tombent.

L’abondant nectar assez fluide est donc produit donc au fond de la fleur et tend à s’écouler hors de la fleur qui est pendante. Tout ceci ne manque pas d’attirer dans nos jardins une foule de butineurs avec les abeilles domestiques en tête mais aussi des papillons et même les guêpes qui viennent lécher le nectar écoulé. Les abeilles peuvent même se retrouver piégées au fond de la fleur resserrée et s’engluer dans l’abondant nectar !

Bivalent dans son pays natal

Replacé dans son contexte d’origine, l’Afrique du sud, le tison de Satan, comme les autres espèces du genre Kniphofia, présente des caractères floraux typiques a priori de « fleurs à oiseaux », i.e. de fleurs visitées par des oiseaux : corolle en tube ; couleur rouge (perçue par les oiseaux) ; inflorescence bien dégagée et facile d’accès avec des fleurs pendantes ; tige robuste qui supporte l’atterrissage des oiseaux ; nectar abondant riche en hexose ; fleurs nombreuses et serrées à floraison progressive du bas vers le haut (ressource disponible plus longtemps).

Les oiseaux visiteurs peuvent être des nectarivores très spécialisés comme les souï-mangas, équivalents écologiques en Afrique des colibris américains mais qui, à la différence de ces derniers, butinent les fleurs en se posant d’abord sur l’inflorescence : le souï-manga malachite (Nectarinia formosa), vert métallique, est le plus spectaculaire avec son bec courbé mais d’autres espèces présentent des becs plus courts. Ce peuvent être aussi des passereaux non spécialisés (comme des fringillidés) qui s’abreuvent de ce nectar.

Cependant, sur le terrain, la réalité est bien plus complexe et varie beaucoup d’une espèce à l’autre. Les abeilles et papillons sont aussi des visiteurs assidus et les oiseaux peuvent ne pas être très efficaces car leur plumage ne récupère pas beaucoup de pollen ou  bien ils ont tendance à percer les corolles à la base pour aller plus vite : cette « tricherie » n’assure pas de pollinisation des fleurs. Dans le cas de l’espèce cultivée commune Kuvaria, les insectes et notamment les papillons semblent justement être plutôt les pollinisateurs principaux.

Copié par une orchidée tricheuse !

Dans la chaîne de montagne du Landeberg, une curieuse relation s’est établie « à l’insu » du tison de Satan : on a pu démontrer qu’une orchidée, Disa ferruginea, dont la forme locale possède des fleurs orangées qui n’ont aucune récompense à offrir (ni pollen récoltable, ni nectar), imite les fleurs du tison de Satan et détourne ainsi vers elle un papillon local, proche de nos papillons Satyres (comme le myrtil ou le tircis), surnommé Gloire de la Montagne de la Table (Aeropetes tulbaghia) qui est son seul visiteur. Cette orchidée n’a pas exactement la même couleur que le tison de Satan mais si on analyse la lumière réfléchie on constate que les longueurs d’onde renvoyées sont bien identiques, ce qui suffit à berner le papillon.

On parle de mimétisme floral : comme les deux espèces se côtoient et que l’orchidée est peu commune, les papillons ne se font berner que de temps en temps (ils butinent l’orchidée pour rien mais transportent son pollen) si bien qu’ils n’apprennent pas à se méfier. Globalement, les tisons de Satan sont sans doute peu affectés par ce détournement et, eux par contre, ne dépendent pas que de ce seul pollinisateur.

Ce type de mimétisme où l’imitateur « agit » par tromperie ou duperie est qualifié de mimétisme batésien, du nom du naturaliste H. W. Bates qui avait démontré que des espèces de papillons comestibles imitaient par leurs couleurs des espèces proches toxiques et évitées comme telles par les oiseaux, échappant ainsi à leur tour à la prédation.

Voici donc de nouvelles raisons de s’émerveiller devant ce tison de Satan en pensant à ces petites histoires naturelles sud-africaines !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Postharvest Handling of Cut Kniphofia (Kniphofia uvaria Oken ‘Flamenco’) Flowers. M.P. Hettiarachchi and J. Balas. Proc. VIIIth IS Postharvest Phys. Ornamentals. Acta Hort. 2005
  2. Evidence for Batesian mimicry in a butterfly-pollinated orchid. Biol. J. Linn. Soc. 53, 91 – 104. Johnson, S. D. 1994
  3. Flower colour adaptation in a mimetic orchid. Ethan Newman1, Bruce Anderson1,* and Steven D. Johnson. Proc. R. Soc. B. 2012

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le tison de Satan
Page(s) : 672 Guide des Fleurs du Jardin
Retrouvez les lis des steppes (Eremurus)
Page(s) : 670 Guide des Fleurs du Jardin