Dès les années 1990-2000, des recensements de la flore spontanée dans des grandes villes avaient mis en évidence des disparités surprenantes par rapport à la part des espèces introduites et naturalisées : des grandes villes d’Europe centrale comptent autour de 25% de telles espèces dans leur biodiversité floristique alors cette donnée atteint 35% dans les grandes cités Nord-Américaines. Une compilation réalisée sur six grandes villes dans le Monde, trois dans l’Ancien Monde (Berlin, Rome et Yokohama) et trois dans le Nouveau Monde (New York, Los Angeles et San Francisco) permet de dresser la liste pour chacune d’elles des 50 espèces de plantes les plus répandues et d’établir des comparaisons intéressantes notamment par rapport à l’origine de ces plantes.

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Flore spontanée au coeur de la ville : un mélange d’espèces indigènes (l’orge des rats) et non-indigènes (la renouée du Japon).

Indigène/non-indigène ?

Le caractère indigène (« d’origine ») ou pas d’une espèce ne peut se définir rigoureusement que si l’on prend en compte l’histoire ancienne des espèces.

On classe comme non-indigènes (non-natives disent les Anglais) ou néophytes (mais ce terme sonne ambigu en Français) toutes les espèces introduites depuis un autre pays et après l’an 1500. Ainsi en Europe, la verge d’or du Canada, l’érable négondo, le robinier faux-acacia ou la vergerette du Canada sont des non-indigènes venues d’Amérique du Nord ; ces mêmes espèces, aux U.S.A., sont des indigènes. D’autres comme le Galinsoga ou la vergerette de Sumatra viennent d’Amérique du sud ; etc.

Parmi les indigènes, on peut distinguer de manière plus subtile deux catégories qui font appel à l’histoire ancienne de ces espèces. Les apophytes sont des espèces qui ont en quelque sorte suivi l’espèce humaine au cours de son expansion depuis des millénaires en colonisant les « nouveaux » milieux perturbés ou enrichis créés par l’Homme à partir de milieux naturels originels qu’elles continuent par ailleurs à occuper. On peut citer entre autres (la liste est très longue) l’armoise vulgaire, l’euphorbe des jardins, le plantain lancéolé, la carotte sauvage, la laitue sauvage, …

Les néogènes (mot à mot « nouvellement créées ») sont des espèces supposées (la preuve n’en est pas toujours faite) être apparues récemment au cours des derniers millénaires à partir d’autres espèces indigènes et qui sont adaptées aux environnements humains très perturbés dont le milieu urbain. Parmi elles figurent la bourse-à-pasteur, le chénopode blanc, l’orge des rats, la renouée des oiseaux, le mouron des oiseaux ou le pissenlit.

Ces deux dernières sous-catégories traduisent toutes les deux l’évolution de la flore au contact de la formidable machine à transformer l’environnement qu’est l’espèce humaine et ce depuis au moins 7000 ans à partir du berceau historique de l’agriculture « occidentale » que fut le Moyen-Orient et ses environs. Il s’agit là d’un lot d’espèces particulièrement armées a priori pour conquérir les grandes villes, forme extrême d’environnement humain très transformé et contraint.

Le hit parade et ses enseignements

Pour simplifier la lecture des résultats des recensements effectués sur ces six grandes villes, nous n’avons retenu que les dix premières espèces en ordre d’abondance, ce que nous appelons le Top 10 des Grandes Villes.

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Top 10 des plantes les plus présentes dans six grandes villes. en gras : les arbres ou arbustes ; en rouge : les espèces indigènes.

Au premier coup d’œil, la liste des espèces en Amérique du Nord attire l’attention : contre toute attente,  nous ne nous sentons absolument pas dépaysés à la lecture de celle-ci : à part deux espèces (dont le palmier du Mexique indigène en Californie), on se croirait à 100% en Europe et même en France ; même pas une pointe d’exotisme dans ce Top Ten pour San Francisco pourtant sous un climat a priori propice à plus d’exotisme. Les statistiques (sur l’ensemble des 50 espèces les plus communes cette fois pour chaque ville) confirment largement cette première impression : 90% de ces espèces communes en ville sont des indigènes dans l’Ancien Monde et elles ne représentent plus que 16 à 20% en Amérique du Nord.

Les européennes à la conquête des Amériques

Nous avons, nous européens, une vision inversée car nous ne voyons que les non-indigènes venues des Amériques très présentes dans nos environnements et souvent comme plantes invasives. Or, là, nous constatons que les plantes européennes constituent le « fond » de la flore urbaine américaine.

Une première explication à ce fait marquant tient sans doute aux introductions massives et répétées des Colons européens qui ont emporté avec eux de nombreux végétaux, soit comme plantes vivrières ou médicinales, soit pour recréer un environnement familier, ou soit, le plus souvent, à leur insu (graines transportées avec les marchandises et les véhicules par exemple). Ces apports répétés et dès les années 1700 ont fourni une base de colonisation à de nombreuses espèces qui ont ainsi le temps de s’adapter à ce nouvel eldorado. On observe qu’à l’inverse, il y a assez peu d’américaines introduites en Europe qui colonisent les villes : elles sont arrivées plus tard et de manière moins intentionnelle et ont donc eu moins de temps pour s’adapter aux contraintes de l’environnement urbain.

L’autre explication tient aux qualités intrinsèques des plantes européennes, notamment les néogènes, qui ont plusieurs longueurs d’avance (des millénaires !) dans leur adaptation aux milieux perturbés par les activités humaines. Globalement plus de 150 espèces européennes se sont bien naturalisées en Amérique du nord depuis l’an 1500 alors que dans l’autre sens, 90 espèces américaines ont effectué leur installation en Europe. Les plantes européennes bénéficient donc d’une « supériorité » biologique face aux américaines, au moins pour ce qui est de la colonisation du milieu urbain.

Le Japon, un cas isolé ?

Si on prend en compte les 50 premières espèces en abondance, la ville de Yokohama au Japon (donc elle aussi dans l’Ancien Monde) apparaît assez différente des deux villes européennes : on note une surreprésentation d’arbustes et d’arbres locaux dont certains nous sont un peu familiers comme arbustes d’ornement (comme l’aucuba, l’aralia ou le cornouiller des Pagodes) ; la part des indigènes atteint 50% (donc en dessous des valeurs obtenues en Europe) et parmi les non indigènes, les européennes ne sont pas prédominantes. Pour expliquer ce moindre succès relatif des européennes au Japon, on peut invoquer le long isolement historique du Japon : rappelons que les premiers explorateurs botaniques du Japon ont « exfiltré »  les premiers échantillons récoltés au péril de leur vie ; on peut aussi penser que quand les plantes européennes ont commencé à arriver (donc tardivement) la place était déjà occupée par des indigènes qui s’étaient adaptées à l’environnement urbain local.

BIBLIOGRAPHIE

Most frequently occuring vascular plants and the role of non-native species in urban areas- A comparison of selected cities in the Old and New Worlds. N. Müller. In Urban Biodiversity and Design, edited by N. Müller and al. Ed. Blackwell Publishing Ltd. 2010

A retrouver dans nos ouvrages

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