Iphiclides podalirius

Flambé butinant la lavande de ma terrasse, une de ses plantes préférées en été.

Dans la plus grande partie de la France non méditerranéenne, nous pouvons observer assez facilement les deux plus grands papillons de jour de notre faune sauvage : le machaon et le flambé. Ils sont proches cousins en tant que membres de la même famille, les Papilionidés qui comprend aussi les Apollons des montagnes. Cette chronique sera consacrée au seul flambé car le machaon, tout aussi commun que lui, a déjà fait l’objet d’une chronique générale (voir la chronique) ; nous ne le mentionnerons que pour apprendre à le distinguer de son cousin, le flambé. Surnommé le voilier, nous avons ajouté le qualificatif de cerf-volant qui décrivent bien la manière de voler du flambé : avec son vol plané très élégant, il semble porté par les courants d’air à la manière d’un cerf-volant.

Flambé versus machaon

Ces deux papillons sont souvent confondus sous le nom général de « porte-queues » (nom qui s’applique en fait à une majorité des membres de cette famille)  : tous les deux possèdent des ailes postérieures prolongées par une longue « queue » un peu torsadée ; de plus ils partagent comme critères communs une envergure de 5 à 7cm en moyenne (avec le machaon souvent un peu plus grand), une coloration générale dans les tons de jaune avec des taches et rayures noires, une « cocarde » (un ocelle) rouge orangé et bleu foncé, comme un œil, juste à l’angle de chaque queue et un corps noirâtre velu avec du jaune sur les côtés.

Passons maintenant aux différences bien marquées. La principale différence qui saute aux yeux même de loin, c’est la nuance du jaune des ailes : jaune foncé chez le machaon versus jaune pâle presque blanchâtre chez le flambé. Les ailes antérieures du flambé ont une forme triangulaire plus marquée avec six rayures noires verticales inégales alors que celles du machaon, plus trapues, portent trois taches noires et une grosse tache noire saupoudrée de jaune à la jonction avec le corps. Le bord des ailes antérieures du machaon porte une rangée de lunules jaunes absentes chez le flambé. Quand on peut les voir posés en train du butiner, ailes étalées, le meilleur critère distinctif concerne l’ocelle rouge orange en bas des ailes postérieures : celui du machaon est rouge surmonté d’une ligne bleue doublée d’un trait noir marqué ; celui du flambé est « inversé » : la tache orange n’a pas de trait coloré au-dessus mais une tache noire doublée de bleu en dessous.

Désormais, donc, vous ne pouvez plus les confondre ! Nous laissons donc maintenant le machaon de côté et nous renvoyons à sa chronique pour en savoir plus.

Méridional

Très abondant dans la moitié sud et encore plus dans la région méditerranéenne, le flambé est bien présent dans les trois-quarts du pays ; en Auvergne par exemple, il est présent dans toute la Limagne centrale et les régions de collines adjacentes mais ne monte guère au delà de 800m au moins en reproduction. Il affectionne les sites ensoleillés et chauds en accord avec ce tempérament méridional comme les coteaux exposés au sud avec des pelouses plus ou moins embroussaillées, les prés bordés de haies, les friches dominées par des arbustes, …

Depuis deux ou trois décennies, le flambé qui avait beaucoup régressé au moins dans la moitié nord semble en voie de reconquérir une partie des territoires abandonnés, y compris dans les zones suburbaines et dans les villes à la faveur de sites de friches industrielles ou d’espaces verts « pour insectes ». Il s’agit sans doute là d’un effet collatéral du réchauffement climatique à moins que l’espèce ne profite aussi de nouvelles opportunités par rapport aux arbres et arbustes hôtes de ses chenilles (voir ci-dessous), notamment dans les zones urbanisées.

Les adultes circulent beaucoup et viennent volontiers butiner dans les jardins hospitaliers, c’est-à-dire exempts de traitements chimiques et avec une flore diversifiée riche en floraisons. Ils montrent une nette préférence pour les fleurs rose, pourpre ou bleues avec des corolles un peu en tube : scabieuses ou knauties, chardons, vipérine ou origan pour les fleurs sauvages ; lavande, buddleia (« arbre aux papillons ») ou valériane rouge (voir la chronique) pour les plantes cultivées. Les massifs de lavande exercent un attrait certain comme je peux le constater chaque année devant ma véranda où je suis sûr de voir des flambés à un moment ou un autre. A cette occasion, on découvre que le flambé est bien plus « cabotin » que son cousin le machaon car quand il butine, il devient très calme et reste longtemps en place, laissant au photographe tout le loisir de le cadrer plein format !

Là-haut sur la colline

Flambé butinant une centaurée jacée sauvage dans mon « pré-verger »

Selon le climat (plus ou moins chaud) et les années, le flambé peut présenter une ou deux générations annuelles : soit une seule avec les adultes qui émergent en mai-juin à partir de chrysalides hibernantes, soit avec une première vague dès mi-avril et jusqu’en juin, suivie d’une seconde plus clairsemée en août. Ces deux générations diffèrent légèrement au niveau de la coloration du corps.

En pleine période de reproduction, les flambés mâles adoptent un comportement nuptial territorial très particulier surnommé hill-topping : la défense d’un territoire sur une hauteur ; personnellement, je n’ai jamais observé ce comportement et je vais donc « piller » ici le fabuleux livre de T. Lafranchis sur la vie des papillons (1) :

«  Il y a souvent plusieurs flambés sur un site de hill-topping ce qui donne lieu à des duels d’un vol agile et très rapide. Chaque poursuite est brève … il peut y avoir jusqu’à 6 territoires occupés sur 2500m2.

Les promontoires attirent aussi les mâles des machaons qui s’y rendent généralement un peu plus tard. Les deux espèces se pourchassent souvent, mais arrivent à limiter cette compétition en occupant des hauteurs différentes … En l’absence de machaons, le flambé se pose plus bas, avec une préférence pour les buissons poussant au pied des arbres en des endroits bien abrités et chauds. …. Le mâle peut aussi surveiller son territoire en planant longtemps face au vent même violent avec un minimum de battements d’ailes. »

Amateur de Prunus !

Après les accouplements qui ont lieu donc sur les sites de hill-topping, les femelles se dispersent et partent en recherche des plantes hôtes pour y déposer leurs œufs. A la manière de l’aurore (voir la chronique), le flambé est un spécialiste généraliste, i.e. qu’il est spécialisé sur un groupe de plantes précis, des arbres ou arbustes de la famille des Rosacées, mais qu’à l’intérieur de ce groupe, il peut opter pour une gamme d’espèces assez large. Une étude menée dans le Nord-Est de l’Espagne (2) a comparé les différentes espèces hôtes potentielles. Le flambé montre une préférence nette pour les espèces du genre Prunus (cerisiers et pruniers au sens large) aussi bien des espèces sauvages (prunellier, cerisier de Sainte-Lucie) que des arbres fruitiers cultivés (amandiers, pêchers, pruniers, cerisiers). Il peut aussi pondre sur des aubépines (Crataegus), des pommiers (Malus), des poiriers (Pyrus) voire sur des amélanchiers (Amelanchier) ou sur le sorbier des oiseaux (Sorbus).

En dépit de ce large spectre, toutes les espèces hôtes ne semblent pas avoir les mêmes avantages : sur le prunellier, la survie des chenilles est maximale (90 à 100%) pour passer à 77% sur les pêchers ou les pruniers et 64% pour les aubépines. La durée du développement (de l’œuf à l’adulte) est de 36 jours en moyenne sur les prunelliers, 41 à 44 jours sur les pruniers ou pêchers et monte à 53 jours sur les aubépines. En dépit de cette disparité, une même femelle peut pondre successivement sur plusieurs espèces différentes dans une haie, une manière peut-être de « ne pas mettre tous les œufs dans le même panier » et de maximiser, malgré tout, les chances de survie !

Récemment, toujours en Espagne, on a observé des pontes naturelles sur deux arbustes exotiques cultivés : le cotonéastre de Franchet et une spirée (deux Rosacées) ; mais seulement 2 chenilles sur 25 observées ont réussi à atteindre le stade adulte et avec une chrysalide moins grosse ; la mortalité est considérable dès les premiers stades de développement des chenilles. Ces nouvelles plantes hôtes sont donc des « puits » pour l’espèce : la sélection contre ce comportement nettement défavorable n’a pas encore eu le temps de se mettre en place pour autant que les femelles fassent des choix en fonction de l’espèce hôte sur laquelle elles se sont développées en tant que chenilles.

Limace verte

La femelle pond une soixantaine d’œufs qu’elle dépose isolés ou par deux, le plus souvent sous les feuilles des arbres ou arbustes hôtes choisis. Au bout de une à trois semaines, ces œufs d’abord vert puis rosés éclosent. Aussitôt nées, les jeunes chenilles tissent un tapis de soie sur le dessus de la feuille : elles s’y tiennent allongées immobiles contre la nervure centrale plus forte. Comme chez le machaon, les deux premiers stades portent des taches blanches qui les font ressembler à des crottes d’oiseau ; elles peuvent aussi, si on les inquiète de près, exhiber sur leur tête un organe coloré malodorant (osmeterium : voir la chronique du machaon) mais bien moins développé que celui des chenilles du machaon. Pour aller se nourrir vers d’autres feuilles, elles se déplacent en tissant des fils de soie et reviennent chacune en suivant leur propre trace vers leur feuille refuge non rongée.

Chenille de flambé au dernier stade de développement, photographiée sur le grand cerisier de Sainte-Lucie devant ma maison ; noter les stries jaunes et les points orange et la forme massive à l’avant

Au fil des mues successives, la chenille grossit et change d’aspect : au stade final, elle atteint 4cm de long et prend l’allure d’une grosse limace trapue toute verte, nettement plus large à l’avant qu’à l’arrière qui va en s’effilant. Des petites stries jaunâtres régulières sur le dos dessinent un motif imitant les nervures d’une feuille ; des petits points orange rappellent les glandes marginales typiques des feuilles de divers Prunus dont le cerisier Sainte-Lucie. En dépit de sa taille devenue imposante, elle se tient toujours en long sur sa feuille avec sa toile de soie et finit par presque en déborder !

Verte ou brune

La transformation en chrysalide (la nymphose) peut suivre deux scénarios différents. Si elle a lieu en juillet (donc pour une génération assez précoce), la grosse chenille ne quitte pas son arbre hôte et se fixe par un fil de soie sur un rameau pour se métamorphoser : elle conserve alors la couleur verte de la chenille et elle va éclore en papillon peu de temps après, prélude à la seconde génération. Par contre, si la nymphose a lieu après début août, la chrysalide va entrer en diapause, i.e. en hibernation et elle va passer ainsi tout l’hiver pour donner la génération qui émerge au printemps. Dans ce cas, la chenille descend de son arbre ou arbuste et cherche un endroit propice au milieu des feuilles mortes au sol ; là, elle se nymphose et donne une chrysalide brune !

On a donc un double jeu à la fois sur la couleur et sur le choix des sites de nymphose qui permet aux chrysalides d’avoir plus de chances de survie (a priori !) : vert sur l’arbre vert ou brune au milieu des feuilles mortes ! Pour autant, la prédation reste forte sur ce stade chrysalide, immobile et donc facile à capturer pour peu que le prédateur réussisse à la trouver : les mésanges (dont la charbonnière et les petits mammifères tels que musaraignes ou hérissons en consomment beaucoup ; la mortalité varie de 15 à … 100% (3) ! Le fait de rester sur l’arbre pour les chrysalides vertes évite à la chenille de se promener au sol et de s’exposer aux prédateurs actifs tels que les petits mammifères ; à l’inverse pour les brunes, se dissimuler dans la litière de feuilles les protège du froid hivernal à venir et les dissimule.

Pour un jardin de flambés

Devant la régression des friches et pelouses notamment dans les zones de plaines cultivées, les jardins peuvent devenir des oasis propices non seulement au butinage des adultes mais aussi à leur reproduction. Disposer de fleurs à nectar permet aux femelles notamment de fabriquer des œufs plus nombreux et riches en réserves ; parmi les plantes phares à destination du flambé, nous avons déjà cité la lavande, irrésistible et facile à cultiver ou la valériane rouge ; le buddleia souvent cité et très attractif présente l’inconvénient de se naturaliser et de se propager comme envahisseur ; aménager un coin « sauvage » avec des chardons et des centaurées peut aussi attirer ces papillons.

Pour la reproduction, la meilleure plante hôte à offrir aux flambés est le cerisier Sainte-Lucie qui en plus, avec sa floraison printanière somptueuse nourrit de nombreux autres butineurs : c’est ainsi que j’ai pu photographier cette chenille devant ma maison !  Les pêchers et les pruniers peuvent aussi faire l’affaire. Tout ceci à une condition : proscrire définitivement l’emploi de tout produit chimique de traitement et tant pis si la production fruits n’est pas idéale : la fierté et l’immense plaisir d’admirer ces papillons et leurs chenilles et de savoir que l’on participe ainsi à leur conservation à long terme vaut bien quelques fruits perdus !

BIBLIOGRAPHIE

  1. La vie des papillons. T. Lafranchis et al. Ed. Diatheo. 2015.
  2. Egg–laying by the butterfly Iphiclides podalirius (Lepidoptera, Papilionidae) on alien plants: a broadening of host range or oviposition mistake? Animal Biodiversity and Conservation, 29.1: 83–90. Stefanescu, C., Jubany, J. & Dantart, J., 2006.
  3. Seasonal change in pupation behaviour and pupal mortality in a swallowtail butterfly. Animal Biodiversity and Conservation, 27.2: 25–36. Stefanescu, C., 2004.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le prunellier
Page(s) : Guide des fruits sauvages : Fruits charnus
Retrouvez le cerisier de Sainte-Lucie
Page(s) : Guide des fruits sauvages : Fruits charnus