Xylocopa violacea

Des observations minutieuses conduites en Autriche  (1) sur la pollinisation du pois vivace montrent que la structure des fleurs trie en quelque sorte les espèces d’abeilles capables d’accéder au nectar car il faut soit avoir beaucoup de force, soit savoir manipuler correctement les différentes parties. Ainsi, les abeilles domestiques se trouvent incapables d’accéder au nectar de ces fleurs ! Là-bas, le pollinisateur le plus efficace et le plus régulier est une abeille solitaire, une mégachile mais aussi la grosse abeille charpentière ou xylocope violet. Comme personnellement, nous avons beaucoup observé cette dernière espèce s’activant sur les fleurs de pois vivace, nous allons présenter ici le mode opératoire de celle-ci avec la fleur très particulière du pois vivace : une fleur dissymétrique et dotée de structures spéciales comme une fenêtre à nectar au milieu des étamines et un stigmate transformé en brosse à pollen . Pour comprendre la suite, il faut bien avoir en tête ces structures et leur fonctionnement vu la complexité du système !

xylocope-bandeau

Xylocope en train de visiter une fleur de pois vivace.

Pois vivace : mode d’emploi !

Le xylocope essaye d’abord d’insérer sa longue langue à la base de l’étendard guidé par la tache blanche et jaune (guide à nectar) mais il bute alors sur les deux oreillettes des deux ailes étroitement imbriquées ; celles-ci associées à la base de l’étendard guident la langue vers la seule ouverture disponible : la fenêtre délimitée par une des étamines écartée des neuf autres. Le xylocope doit forcer le passage en écartant les deux ailes l’une après l’autre.

Le seul point d’appui dont bénéficie l’insecte, c’est le milieu de la carène qui lui sert de « centre de pression » ; ses pattes arrière poussent tandis que les pattes médianes et antérieures tirent, laissant au passage des traces de griffures sur les ailes et la carène.

pois-vivace-fleurabimee

Fleur de pois vivace « malmenée » par des visites répétées de xylocope !

Sous cet assaut du xylocope, grosse abeille musclée, la carène bascule et sa pointe en forme de bec s’ouvre ce qui libère le stigmate en forme de brosse à pollen, lequel surgit sur le flanc droit de l’insecte compte tenu de la dissymétrie générale de la fleur, tel une grosse étamine.

Sur le côté du xylocope, on voit sortir la brosse à pollen qui frotte les flancs du thorax de l'insecte.

Sur le côté du xylocope, on voit sortir la brosse à pollen qui frotte les flancs du thorax de l’insecte.

 

Sur le côté du xylocope, on voit sortir la brosse à pollen qui frotte les flancs du thorax de l'insecte.

Même scène que ci-dessus mais vue sous un autre angle : : la brosse à pollen chargée de pollen vient toucher le thorax.

La carène descend sous la pression et comme la brosse à pollen reste immobile, elle se trouve poussée contre le corps velu de l’abeille qu’elle frotte sur le côté, tout en bloquant l’insecte dans cette position. Au cours de ce mouvement (bien plus rapide que le temps de la description!), le stigmate hérissé de poils touche en premier le flanc droit de l’insecte et y dépose son pollen ; puis il glisse au-dessus. Quand le xylocope se retire après avoir aspiré sa dose de nectar, une dernière dose de pollen se dépose sur le corps.

Un apprentissage et une coopération fleur- xylocope

En début de saison, avec les premières fleurs écloses, le xylocope procède de manière très « brutale », sans ménagement, écrasant littéralement la fleur de leur poids pour accéder au nectar mais sans forcément recueillir du pollen sur leur corps (ou alors le pollen se retrouve un peu partout sur le corps) et avec une forte dépense d’énergie. Ce n’est qu’au bout d’un certain temps que les xylocopes, mâles ou femelles, apprennent à manipuler la fleur correctement (du point de vue de la fleur) et avec une économie d’énergie. Ils se posent sur l’aile gauche ce qui laisse le stigmate en brosse sortir du côté droit, les bloquant et les guidant ainsi sans difficulté vers la source de nectar.

La brosse à pollen dépose le pollen surtout au niveau du « cou » entre la tête et le thorax, sur le côté arrière droit de la tête, à l’avant du thorax et sur la patte avant droite. La brosse ne dépasse pas la moitié droite du corps.

La récolte du pollen par le xylocope

Le xylocope ne se contente pas de récolter du nectar nourricier : le pollen l’intéresse aussi pour nourrir sa descendance. Du point de vue de la plante, moins le pollen déposé sur l’insecte sera récupéré et mieux ce sera pour la fleur qui aura plus de chances de voir son pollen partir vers une autre fleur et assurer la pollinisation croisée.

Le xylocope adopte plusieurs méthodes pour récupérer une partie du pollen. Il peut soulever un peu son corps et récolter le pollen directement sur la brosse avec d’abord la patte antérieure droite puis les deux pattes antérieures : ce pollen peut alors être avalé directement (et est donc « perdu » pour la fleur). Sinon, de temps en temps, l’abeille entreprend de brosser le pollen qui s’est accumulé sur son flanc droit mais elle peine vu la position très latérale de ce dernier et sa localisation derrière la tête : elle en laisse donc une bonne partie. Ce qui a été ramassé passe de patte en patte vers l’arrière où le pollen est accumulé en une grosse boulette accrochée à la patte postérieure droite. Mais, parfois, le xylocope ramène le pollen récolté avec la patte médiane droite vers l’avant, à l’inverse du mouvement habituel des pollinisateurs récolteurs de pollen, pour le gratter et le manger. Cette pratique observée chez les deux sexes peut être considérée comme une innovation comportementale !

pois-vivace-xylocope2

Xylocope « barbouillé » de pollen de pois vivace, une de ses fleurs de prédilection

Finalement, la coopération xylocope/pois vivace n’est peut-être pas aussi « idyllique » qu’il y paraît ; outre les erreurs de manipulation en début de saison et la récupération active d’une partie du pollen, il faut aussi remarquer qu’en une seule visite de l’imposant « mastodonte » qu’est le xylocope, pratiquement tout le pollen accumulé sur la brosse se trouve récolté d’un coup ce qui limite quand même les chances d’échange inter-fleurs.

BIBLIOGRAPHIE

  1. The Co-operation Between the Asymmetric Flower of Lathyrus latifolius (Fabaceae-Vicieae) and its Visitors. C. Westerkamp. Phyton, 1992, vol. 33, 121-137.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le xylocope violet
Page(s) : 286 Le guide de la nature en ville
Retrouvez le pois vivace
Page(s) : 82 Guide des plantes des villes et villages