Dinosauria

Nous avons vu dans la chronique sur le « dinowatching » les caractères qui auraient permis d’identifier un dinosaure déambulant dans son environnement il y a plus de 65 millions d’années. Il s’agissait de caractères portant sur « l’allure et le mode de déplacement ». Mais quand on est paléontologue et que l’on trouve des ossements inclus dans leur gangue rocheuse, comment fait-on pour savoir si on a affaire à un dinosaure ?

Pour décider si un groupe d’espèces de vertébrés (puisque nous parlons ici des dinosaures) constitue un groupe (un taxon) dans le cadre de la classification par parentés, les scientifiques cherchent à repérer des caractères communs héréditaires et qui ne se trouvent qu’à l’intérieur des membres de ce groupe ; ces caractères sont donc apparus dans ce groupe sous forme dérivée à partir de caractères ancestraux. Ils sont la preuve que les espèces de groupe partagent un ancêtre commun chez lequel est apparu la première fois ces nouveaux caractères ou innovations. Autrement dit, on définit un groupe à partir des caractères dérivés uniques partagés par les espèces ainsi réunies, ce qu’on appelle des synapomorphies. Nous les avons, dans le titre de cette chronique, surnommés familièrement des signatures pour en souligner justement l’unicité.

Le groupe des Dinosaures

Ces caractères partagés peuvent être très faciles à observer pour le novice : par exemple le pouce opposable au reste des doigts ou les doigts et orteils qui portent des ongles plats sont deux des synapomorphies qui définissent le groupe des Primates auquel nous appartenons. Mais, le plus souvent, dès que l’on descend dans la hiérarchie des groupes, on doit faire appel à des caractères de plus en plus précis, souvent d’ordre anatomique (caractères héréditaires liés à la structure des organismes) ou, de plus en plus, des caractères génétiques du coup complètement inaccessibles à l’observation directe. Cela devient encore plus compliqué quand on s’intéresse aux groupes fossiles vertébrés pour lesquels on ne dispose que de restes osseux : dès lors, les paléontologues n’ont pas le choix et ne peuvent que s’appuyer sur des détails du squelette pour repérer des innovations. Ainsi, le novice en langage ostéologique (dont je fais partie) doit affronter une avalanche de termes ultra-techniques et se frotter aux problèmes d’orientation dans l’espace (côté ventral, côté dorsal, antérieur/postérieur, etc…) qui font beaucoup souffrir les « dyslexiques droite-gauche » dont je fais aussi partie !

Ainsi, le groupe des Dinosaures a été défini (rappelons ici que les groupes n’existent pas en tant que tel : ce ne sont que des « constructions humaines ») à partir de sept synapomorphies osseuses, des signatures visuelles connues de tout paléontologue vertébriste ! Nous n’allons en retenir que cinq d’entre elles, le plus faciles à observer (les deux autres concernent les vertèbres cervicales et les os des « joues »)

Pour donner une idée de la difficulté à appréhender ces caractères, nous commençons par livrer la liste brute (et brutale !) officielle de ces cinq caractères ; dans les paragraphes suivants, nous les reprendrons un par un pour bien les expliciter avec des illustrations. Ainsi, quand vous visiterez une exposition ou un muséum avec des squelettes de dinosaures, vous pourrez mettre en œuvre vos connaissances ou en faire étalage !

Accrochez-vous, voici la liste :

– une crête deltopectorale allongée sur l’humérus

– un petit plateau sur la face ventrale de la partie post-acétabulaire de l’ilium

– un acetabulum largement perforé

– un tibia avec une extrémité distale élargie transversalement et subrectangulaire et avec une crête caudolatérale

– sur le tibia, il y a une dépression pour l’astragale et un processus astragalaire sur sa face crâniale.

Ne fuyez pas : les explications arrivent !

Un humérus particulier

L’humérus est l’os de bras (jusque là, çà va ?) ; il a deux têtes : une qui s ‘articule avec l’épaule et l’autre qui entre en contact avec le radius et le cubitus, les deux os de l’avant-bras. Chez tous les dinosaures, la tête supérieure vers l’épaule porte sur le côté intérieur une expansion très nette en forme de crête aplatie (flèche rouge) et facile à repérer comme en témoignent les quelques exemples présentés. Cette crête peut exister chez d’autres vertébrés mais elle reste alors très limitée et courte alors que chez les dinosaures, elle occupe entre 30 et 40 % de la longueur totale de l’os. Pour comparaison, notre humérus a une tête équivalente arrondie sans une telle excroissance.

Il se peut que cette innovation ait une fonction de renforcement de la ceinture scapulaire (l’épaule) du fait de la nouvelle posture acquise par les dinosaures et qui suppose une redistribution du poids de l’animal et des forces engendrées sur les membres. Mais attention, il ne faut pas en conclure que chaque caractère retenu comme signature doit avoir une fonction : il peut très bien être simplement le résultat de contraintes d’ordre architectural comme la disparition d’un autre os à proximité, …..

Le bassin

Voilà sans doute la partie du squelette la plus significative pour identifier rapidement un dinosaure avec deux signatures.

Commençons par l’acetabulum : il correspond à la cavité arrondie de l’ilium ou os iliaque (ce grand os arrondi que nous sentons au toucher sur nos hanches) dans laquelle vient s’articuler la tête du fémur, l’os de la cuisse. Cette cavité (parfois appelée cotyle) possède la particularité, chez les dinosaures, d’être largement perforée et comme ouverte en grand : autrement dit, on voit à travers comme dans une fenêtre ronde ! Le seul problème pratique, lors de la visite d’un muséum, c’est que, sur un squelette monté, la tête du fémur cache en grande partie cette cavité perforée : il faudrait voir le bassin seul pour bien l’apprécier.

Le second caractère concerne une sorte de crête osseuse (un « plateau ») à l’arrière de l’os iliaque (donc en arrière de la tête du fémur et de l’acetabulum) en prolongement du rebord épaissi de l’acetabulum, et qui sert peut-être de renforcement pour la ceinture pelvienne.

On notera que chez les mammifères qui ont acquis indépendamment (dans une toute autre lignée évolutive que celle des dinosaures) le port parasagittal, i.e. les membres ramenés sous le corps (voir la chronique sur le dinowatching), l’os iliaque ne possède pas de telle perforation au niveau de l’acetabulum ce qui confirme l’unicité de ce caractère chez les dinosaures. A l’inverse, le port parasagittal seul ne peut être retenu comme signature puisqu’il existe ailleurs !

Chez les dinosaures, la tête du fémur se trouve orientée à 90° par rapport au corps de l’os ce qui lui confère sa position verticale (comme chez nous) ; de ce fait, toute la pression liée à l’appui au sol se retrouve concentrée sur le rebord épaissi de l’acetabulum. Au contraire, chez les Crocodiles par exemple, aux membres orientés transversalement, la pression se reporte au centre de l’acetabulum qui n’est pas ouvert.

Un tibia très remanié

Le tibia est l’un des deux os de la jambe avec le péroné et classiquement le plus développé des deux, celui que nous protégeons des coups avec des protège-tibias. Lui aussi, comme l’humérus, s’articule par deux têtes : en haut avec le fémur et en bas avec la « cheville » ici très transformée (par rapport à la nôtre !). La tête inférieure se caractérise par une forme plutôt rectangulaire car elle s’est élargie en travers, fournissant sans doute une assise plus stable. De plus, elle possède une sorte de sillon en creux dans lequel viennent se souder deux des os de la cheville (le tarse) : l’astragale, très développé, flanqué latéralement du calcanéum, très réduit ; chez nous, l’astragale est libre et se trouve sur le dessus de la cheville au contact des têtes du tibia et du péroné, au-dessus de l’os du talon ou calcanéum.

De plus, l’astragale devenu solidaire donc de la tête du tibia envoie vers le haut une expansion en forme de triangle, soudée elle aussi au tibia (un processus astragalaire) plus ou moins visible quand on regarde la tête du tibia de face. Du fait de ces soudures, on parle chez les dinosaures de tibiotarse. La ligne d’articulation passe donc de fait en plein milieu du tarse puisqu’une partie de ce dernier se retrouve incorporée au tibia ; on parle de disposition mésotarsale. En plus, le péroné, le second os de la jambe se réduit considérablement.

Là encore, cette innovation a joué un rôle capital dans la transformation du fonctionnement du membre postérieur avec l’acquisition du port parasagittal, tout particulièrement dans la lignée des théropodes avec l’acquisition de la bipède. Cette structure simplifiée en quelque sorte avec le tibia prédominant qui annexe une partie du tarse autorise des mouvements plus rapides avec moins de jeu possible entre les os du tarse.

Pour réviser: le poulet !

squelette-poule

Nous avons déjà rappelé (voir la chronique dinowatching) que les oiseaux sont en fait des dinosaures, issus de l’évolution dans une lignée de dinosaures, les théropodes maniraptoriens. Donc, logiquement, ils doivent posséder ces caractères même si certains d’entre eux ont pu subir des régressions ou des transformations ultérieures du fait du caractère très dérivé de ce groupe avec l’acquisition du vol et ses profonds remaniements associés.

Donc, la prochaine fois que vous mangerez un poulet entier (pas des nuggets !), prenez le temps de jeter un œil au bassin sur lequel vous allez retrouver l’acetabulum perforé (même si la perforation s’est réduite), la crête à l’arrière de l’os iliaque (mais celui-ci se retrouve soudé avec les autres os du bassin) ; un coup d’œil aussi au gros os de l’aile, l’humérus avec sa grosse tête supérieure qui possède encore une expansion (une crête) mais réduite ; enfin, si jamais votre poulet est vraiment entier, regardez, l’os de la « patte » qui s’articule avec celui de la cuisse, le tibiotarse avec sa tête inférieure élargie qui incorpore l’astragale.

Les corps changent et se transforment ainsi que les modes de vie, mais les signatures restent !

BIBLIOGRAPHIE

  1. The dinosauria. D. B. Weishampel ; P. Dodson ; H. Osmolska. Second Edition. University of California Press. 2004
  2. The evolution and extinction of dinosaurs. D. E. Fastovsky ; D. B. weishampel. Second Edition. Cambridge University Press. 2007
  3. Manual of ornithology. Avian structure and fonction. N.S. Proctor ; P. J. Lynch. Yale University Press. 1993
  4. Dinosaur paleobiology. S. L. Brusatte. Ed. Wiley-Blackwell. 2012

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les dinosaures
Page(s) : Sur les traces des dinosaures à plumes
Retrouvez les principes de la classification
Page(s) : Classification phylogénétique du vivant Tome 1 – 4ème édition revue et complétée