09/01/2021 Quand on évoque les rapports entre les arbres et l’eau, on ne retient en général qu’une idée reçue : les arbres rejettent des quantités colossales d’eau via le processus d’évapotranspiration par les feuilles ; celui-ci entretient la circulation de la sève brute dans l’arbre et permet la réalisation de la photosynthèse. De ce fait, on a tendance à voir les arbres comme des « dévoreurs d’eau », voire des gaspilleurs notamment dans les zones cultivées où on les considère comme de redoutables compétiteurs qui détournent l’eau à leur seul profit. Cette vision caricaturale, mais largement entretenue notamment dans les milieux agricoles, ne résiste pas longtemps à l’analyse de ce qui se passe sous les arbres dans cette mystérieuse interface cachée, entre racines et sol. Là, les arbres entretiennent une circulation très complexe de l’eau avec des surprises contre-intuitives remarquables.

On n’accède aux mystères du monde racinaire que de manière dérobée !

Dessine moi un arbre …

Ls racines fantasmées !

Pour comprendre ce qui passe sous un arbre, il faut d’abord avoir une idée claire de son appareil racinaire. Faites l’expérience autour de vous : demandez à un enfant ou un adulte de dessiner un gros arbre avec ses racines et, presque à coup sûr, vous allez obtenir une image proche de celle ci-dessus … complètement fausse !

L’appareil racinaire réel d’un hêtre (source image : voir 2 bibliographie)

En réalité, la majorité des arbres, en milieu tempéré au moins, ne sont pas enracinés en profondeur comme on les représente mais déploient un système racinaire large, étalé et relativement peu profond.

Image rare permettant de visualiser l’appareil racinaire d’un épicéa coupé sur le rebord érodé d’une carrière

Deux grands types de racines composent ces systèmes. Les grosses racines ligneuses (de quelques millimètres à 30cm de diamètre) plongent vers les horizons profonds du sol, formant un ou des pivots massifs mais bien plus courts que nous ne les imaginons et majoritairement à l’aplomb immédiat du tronc.

Les plus grosses des racines fines ! En réalité, la plus grande partie est tellement fine et fragile que son observation est très compliquée !

Les racines fines (entre 0,1 et 1mm de diamètre) sont infiniment plus nombreuses mais hyper fragiles, avec une durée de vie relativement brève (sauf quelques unes qui évoluent vers des racines plus grosses ou charpentières) à la manière des feuilles. Si leur masse totale est faible, elles représentent des longueurs astronomiques compte tenu de leur nombre et de leurs ramifications dans un rayon allant bien au delà de la projection de la canopée de l’arbre. Elles se concentrent dans les couches supérieures du sol (là ou arrive l’eau et où se décompose la litière) soit les 20 à 30 premiers centimètres et y forment un feutrage dense. On a une petite idée de leur importance quand on observe un chablis, un arbre déraciné et basculé par le vent : la couronne de racines exposée retient la terre en une large galette … tout en sachant qu’il en manque les ¾ qui sont restées en terre au delà de la zone de rupture sans parler de la multitude des minuscules invisibles !

Infiltration

Avec les galeries et autres terriers creusés par la faune du sol, les alternances de gel/dégel, les fissures de rétractation, les racines des arbres fonctionnent comme des macropores servant de chemins préférentiels pour l’infiltration de l’eau de pluie qui atteint le sol ; les racines mortes en décomposition constituent notamment des canaux préférentiels très importants et durables. On considère que les macropores ainsi générés par les racines peuvent persister au moins 50 à 100 ans ; le turnover permanent des racines fines ménage ainsi des microcanaux qui canalisent l’infiltration. 

Par ailleurs, la croissance des racines décompacte le sol, abaissant sa densité et améliorant sa porosité ; ainsi, en trois ans la densité d’un sol planté d’un arbre « mesquite » (Prosopis)  passe de 1,66 à 1,37 tonne/m3 et la porosité augmente de 41,2% à 46,3%. 

Les deux types de racines (voir ci-dessus) agissent de manière différente. Des expériences avec deux espèces d’arbres très contrastées quant à leurs racines donnent des résultats éloquents : on a comparé les taux d’infiltration de l’eau dans le sol avec des pommiers à fleurs aux racines fibreuses latérales très étalées ou des sophoras aux racines pivotantes profondes ; par rapport à des contrôles sans arbres, les pommiers augmentent le taux d’infiltration de 19% et les sophoras de … 118% ! Les pivots profonds décompactent le sol et facilitent bien plus l’infiltration. Par contre, les racines diffuses latérales agissent sur une plus large surface. De même, des chênes américains ou des érables rouges aux racines pivotantes augmentent les taux d’infiltration de 131 et 200% respectivement. D’autre part, les racines émettent des secrétions (exsudats) qui apportent de la matière organique en profondeur ce qui agit sur la structure et donc la perméabilité des sols. 

Donc, lors de précipitations, une part du ruissellement sera largement interceptée par la présence d’arbres qui vont faciliter l’infiltration. 

L’étalement des racines à l’horizontale permet entre autres de capter un maximum de l’eau de pluie qui arrive au sol

Remontée

Cette eau qui s’infiltre va progressivement s’enfoncer et finir par rejoindre la nappe d’eau souterraine plus ou moins profonde. Là, du point de vue des plantes, elle ne sera plus guère directement accessible qu’aux seuls arbres dotés de grandes racines profondes ; on pourrait alors penser que cette infiltration est somme toutes perdue pour la majorité des végétaux. Mais, c’est sans compter avec une capacité surprenante des racines des arbres : elles fonctionnent comme un ascenseur hydraulique en faisant remonter l’eau des couches profondes humides vers les couches superficielles sèches, notamment en période sèche ou dans des environnements arides ou semi-arides. Décrit en serre dès 1930, ce processus étonnant n’a été effectivement démontré et nommé qu’en 1987. 

Il s’agit d’un processus passif induit par l’existence d’un gradient de concentration en eau entre couches profondes et couches supérieures ; ces dernières s’assèchent assez facilement car elles subissent d’une part les effets de la chaleur qui favorise l’évaporation et surtout elles sont activement exploitées par des millions de racines fines étalées près de la surface. Le processus prend place la nuit quand les feuilles des arbres ferment leurs stomates (orifices microscopiques par où est rejetée la vapeur d’eau) et cessent de transpirer puisque, faute de lumière, la photosynthèse s’arrête alors. L’eau est attirée vers les racines profondes, remonte dans le système racinaire (sève brute) et atteint les couches supérieures sèches ; toujours sous l’effet du gradient, l’eau est alors excrétée et vient humecter les couches supérieures. Le lendemain, l’arbre pourra ainsi reprendre sa transpiration à partir de son réseau de racines fines ainsi partiellement réapprovisionnées par l’ascenseur. 

On a aussi mis en évidence l’existence de mouvements d’eau à l’horizontale par échanges au sein d’un arbre entre racines latérales diamétralement opposées : l’eau absorbée par une racine latérale monte à la base du tronc, circule en travers et va rejoindre ainsi une racine latérale opposée et sera excrétée au bout de celle-ci ! 

Des centaines d’études ont été consacrées à ce processus inattendu et il a été démontré chez au moins 60 espèces d’arbres aussi bien dans des milieux tempérés, tropicaux, que semi-arides ou arides. Il semble très répandu sous le climat méditerranéen avec une très forte saisonnalité (comme dans les oliveraies) mais il se manifeste aussi dans des forêts humides lors de périodes de sécheresse (forêts de sapins de Douglas de la côte Pacifique américaine ou hêtraies). Il a aussi été démontré (en laboratoire) sur des hêtres ou des épicéas que ce relèvement hydraulique avait lieu même en cas de sécheresse modérée. 

Siphon

Dans les années 1990/2000, on a réalisé que ce processus se manifestait aussi en sens inverse, i.e. déplaçant de l’eau accumulée temporairement dans les horizons supérieurs comme par exemple après un gros orage (l’infiltration reste un processus lent) vers des couches plus profondes. On parle d’ascenseur inversé ou de siphonage vers le bas, basé là encore sur un mécanisme passif lié au gradient de concentration en eau. A minima ce processus permet de désengorger les horizons peu perméables momentanément asphyxiés par cette accumulation d’eau ; il contribue aussi à recharger un peu la réserve profonde en eau. On a démontré que ce siphonage prenait place même dans des sols sableux a priori très filtrants (taux d’infiltration de 30m/jour) dans les trois jours qui suivent une forte pluie et non pas seulement comme on aurait pu le croire seulement pendant quelques heures. On estime que la proportion de prise d’eau journalière par les racines latérales superficielles vers les couches profondes peut atteindre 26% ; autrement dit, ce processus n’a rien d’anecdotique et participe à la répartition de l’eau dans le sol. Les grands séquoias des forêts humides de la côte Pacifique, lors des périodes de fortes brumes stagnantes au niveau des canopées, pratiquent ce siphonage : on peut dire qu’ils « renvoient l’ascenseur » !

Redistribution de l’eau par les racines d’un arbre. Rose : ascenseur ; Vert : siphon ; noir; passage latéral. Noter la végétation herbacée dont l’enracinement superficiel entre quand même en contact avec les racines supérieures.

De ce fait, désormais, il semble plus judicieux de parler globalement de redistribution de l’eau dans le sol par les arbres même si les deux processus ne se produisent pas en même temps bien sûr. 

Interactions 

Le bouleau (à droite), à l’enracinement très superficiel, profite sans doute de l’ascension d’eau apportée par le pin sylvestre (à gauche) doté de pivots capables d’atteindre les couches profondes

Si on perçoit les bénéfices directs pour l’arbre qui effectue ces déplacements d’eau, on pressent que la remontée d’eau peut aussi bénéficier aux plantes qui poussent à proximité immédiate des arbres la pratiquant. Effectivement, les plantes « compagnes » des arbres peuvent récupérer une partie de l’eau remontée soit indirectement en la prélevant dans les couches supérieures humectées la nuit, soit plus directement via les réseaux de manchons mycorhiziens (champignons symbiotiques) qui unissent les racines des arbres avec celles des plantes avoisinantes. Il semble bien que cette seconde voie ait une importance majeure compte tenu des surfaces d’échange colossales que génèrent ces interfaces. Ainsi, sur des pins jaunes américains, deux fois plus d’eau est échangée avec d’autres plantes via les mycorhizes que de manière indirecte.

D’où l’idée que les plantes voisines « voleraient » une partie de l’eau que les arbres ont remonté la nuit : on parle de parasitisme hydraulique. Ceci a été démontré pour la première fois en 1989 avec de l’eau marquée (isotope) entre une plante arbustive à enracinement profond, l’armoise tridentée, la « sagebush » des milieux arides nord-américains et une herbacée locale, une espèce de chiendent. Cependant, comme toujours en matière d’interactions, tout n’est pas aussi simpliste. Ainsi, on a exploré les échanges d’eau entre des acacias faux-gommiers africains et trois espèces de graminées dans un environnement semi-aride. On observe bien que les graminées « piquent » de l’eau aux acacias et semblent donc en profiter ; mais, si expérimentalement, on enlève les racines des acacias, alors les graminées se développent bien mieux ! Cela signifie que la compétition le jour pour la prise d’eau dans les horizons superficiels est largement à l’avantage des acacias et l’emporte sur les bénéfices tirés par les graminées de l’ascenseur de nuit. A minima, la réhumidification opérée par les arbres évite aux herbes de se dessécher irrémédiablement lors des épisodes de sécheresse et leur permet de prolonger leur survie. 

Si on observe la situation sur le long terme, on peut même trouver des bénéfices réciproques entre les arbres ou arbustes pratiquant l’ascenseur et les plantes herbacées poussant à leurs pieds. En Espagne, dans des zones semi-arides, un grand genêt, le rétame à fruits ronds facilite le développement dans ses peuplements de touffes de plantes semi-ligneuses comme les marrubes (voir la chronique sur cette plante) qui prélèvent une part de l’eau remontée ; mais, sur le long terme, ces touffes apportent une riche litière de feuilles mortes qui profite aussi aux rétames et empêche l’érosion du sol par le vent. 

Nutriments 

Les noyers font remonter de l’eau qui profite aux rangs de maïs

Les mouvements de l’eau dans les plantes sont couplés avec ceux des éléments minéraux (nutriments) prélevés dans l’environnement immédiat des extrémités des racines actives (la rhizosphère) : la sève brute montante qui circule dans les vaisseaux du xylème est donc une solution « d’eau minéralisée ». Les déplacements d’eau entraînent donc des substances dissoutes minérales. Parmi celles-ci, trois éléments ont une importance capitale : l’azote (sous forme de nitrates), le phosphore et le potassium. Le premier tend à se trouver surtout dans les horizons supérieurs à partir de la décomposition de la matière organique de la litière alors que les deux autres tendent à s’accumuler plus en profondeur. L’ascenseur et le siphon vont donc participer à redistribuer de manière plus équilibrée ces trois éléments clés ; les arbres arrivent ainsi à remobiliser des pools de nutriments qui, autrement, resteraient largement inaccessibles, notamment pour la communauté des plantes compagnes mentionnées ci-dessus. Si l’on pense aux cultures comme plantes compagnes dans le cadre de systèmes d’agroforesterie (voir un exemple), on entrevoit tout de suite le grand intérêt de ces processus. 

Exploitation en agrofesterie (ferme des Préaux ; Gerzat 63)

Mais ce brassage concerne aussi d’autres éléments minéraux non nutritifs. Dans les dunes semi-arides d’Australie, les racines des Eucalyptus font remonter des ions métalliques (aluminium, silice et fer) qui sont excrétés au niveau des racines fines supérieures : là, ils participent à la formation de minéraux argileux ce qui modifie l’environnement immédiat des racines (rhizosphère) en facilitant la rétention d’eau. Dans les dunes côtières du bassin méditerranéen, les racines des pistachiers lentisques, tolérantes à la présence de sel, font remonter ce dernier vers la surface en le libérant dans les couches supérieures sous forme d’eau salée ; celle-ci va défavoriser les racines d’un arbre de la communauté, le genévrier de Phénicie, qui tolère mal le sel. On voit donc que la redistribution d’eau et de minéraux impacte profondément les milieux où vivent des arbres et arbustes la pratiquant.

Grande échelle 

Si on élargit le champ d’observation aux écosystèmes entiers, on découvre que ces processus ont des conséquences majeures notamment dans le cadre du changement global. En moyenne on estime que les apports d’eau par ascenseur permettent à la végétation d’augmenter ses temps de transpiration de 10 à 40% dans les écosystèmes tropicaux, de 20 à 25% dans les écosystèmes arides ou semi-arides et de 20 à 40% des les milieux forestiers tempérés ; autrement dit, sans cet ajout, la végétation transpirerait moins ce qui signifie qu’elle pratiquerait moins la photosynthèse et produirait donc moins de biomasse. Ainsi, les écosystèmes « irrigués » par ce processus piègent plus de dioxyde de carbone et notamment pendant les épisodes de sécheresse. Dans la forêt amazonienne, l’augmentation de transpiration ainsi induite en été (de l’ordre de 40%) aurait un effet rafraîchissant indirect (via la vapeur d’eau libérée) qui abaisserait d’au moins 2°C les températures ambiantes dans les secteurs soumis à des sécheresses estivales. Par contre, lors des épisodes El Nino vecteurs d’épisodes très secs, ce pompage d’eau dans les couches profondes finit par abaisser fortement la nappe ce qui entraîne une mortalité massive des arbres à feuillage sempervirent directement dépendant de cette nappe et favorise le développement des arbres à feuillage caduque qui supportent cet épisode en perdant leurs feuilles lors de la période sèche. Sous nos climats, une part de la mortalité de certains arbres en bocage (comme les frênes, en dehors de l’impact des maladies) pourrait résulter de ce processus qui accélère l’abaissement des nappes. Alors, imaginez l’impact quand on va mettre en place, en plus, des bassines géantes pour l’irrigation qui pomperont dans les nappes et les rivières en hiver, accentuant ce déficit et empêchant ainsi les arbres de faire leur œuvre bénéfique en été pour le reste de la végétation. Irresponsable écologiquement ! 

Inversement, le processus de siphon descendant recharge les nappes et accélère le stockage en profondeur d’eau lors d’épisodes pluvieux intenses en plus de l’infiltration : on estime que le siphon apporte 10% d’eau en plus en profondeur sous les forêts tropicales ; dans les savanes semi-arides, les « mesquites », arbres de la famille des légumineuses, avec leurs appareils racinaires très puissants enrichissent ainsi les nappes de 30 à 40% et permettent indirectement (avec la remontée) de fournir 15 à 50% de transpiration en plus pendant la saison sèche. 

Finalement, c’est un tout autre regard que nous devons porter sur les arbres notamment dans les lieux cultivés d’où on avait tendance à ne les considérer que comme des compétiteurs par rapport à l’eau (et aussi pour la lumière via leur ombrage) ; leur capacité à faire recirculer l’eau d’une manière aussi sophistiquée et toute en douceur les désigne clairement comme des auxiliaires incontournables pour affronter les problèmes liés aux sécheresses récurrentes. 

Bibliographie 

Water release through plant roots: new insights into its consequences at the plant and ecosystem level. Ivan Prieto, Cristina Armas and Francisco I. Pugnaire New Phytologist (2012) 193: 830–841 

LES RACINES. Face cachée des arbres. (2) C. Drénou. Ed. IDF. 2006. Un livre passionnant et qui regorge d’illustrations sur un aspect très mal connu des arbres ! 

Hydraulic redistribution of soil water during summer drought in two contrasting Pacific Northwest coniferous forests. J. RENÉE BROOKS et al. Tree Physiology 22, 1107–1117


Redistribution of soil water by lateral roots mediated by stem tissues. S. S. O. Burgess and T. M. Bleby
Journal of Experimental Botany, Vol. 57, No. 12, pp. 3283–3291, 2006 

Water uptake and hydraulic redistribution under a seasonal climate: long-term study in a rainfed olive orchard. Nadezhda Nadezhdina et al. Ecohydrol. (2014)


Hydraulic redistribution under moderate drought among English oak, European beech and Norway spruce determined by deuterium isotope labeling in a split-root experiment. Benjamin D. Hafner et al. Tree physiology 37, 950-960 2017