Arctium

08 septembre 2004. Joze (63). Je circule en voiture sur une piste qui longe la rivière Allier quand mon regard se trouve accroché par « quelque chose de jaune et bleu » qui s’agite mais qui reste sur place ? Je pile et je descends pour m’approcher : sur un petit massif desséché de bardanes en fruits, une mésange bleue se débat en vain, littéralement scotchée par une aile sur les capitules secs de la plante; je la saisis et délicatement je détache son aile prisonnière non sans laisser une ou deux plumes accrochées et en me faisant copieusement piquer les doigts par le bec pointu de la pauvre bête apeurée. Elle s’envole et se repose aussitôt pour lisser son plumage ébouriffé.

C’est la seule fois de ma « longue » carrière d’ornithologue de terrain que j’ai eu l’occasion de voir un tel spectacle ; je l’ai classé comme anecdote sans intérêt ; j’en ai même oublié de prendre une photo avant la libération du volatile ! ….. jusqu’à ce jour récent où, faisant une recherche bibliographique sur les bardanes pour une chronique consacrée aux capitules accrocheurs de cette plante, je tombe par hasard sur plusieurs articles américains qui parlent d’oiseaux piégés par des bardanes, comme cette mésange bleue ! D’anecdote isolée, nous voilà donc rendu dans un vrai sujet scientifique à explorer.

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Touffes de bardanes en fruits en été : les capitules hérissés de crochets contiennent les vrais fruits ou akènes en forme de graines

Un accident assez fréquent outre-Atlantique

Aux U.S.A., les bardanes introduites par les colons européens y sont devenues des plantes nettement invasives pouvant former des peuplements étendus notamment en bordure des rivières. Or, depuis le début du 20ème siècle, des observations récurrentes signalent des oiseaux et même des chauves-souris prises au piège sournois des capitules secs des bardanes hyper-accrochants, ce qui est normal vu leur fonction (voir la chronique sur le fonctionnement des crochets). En 2013, un bilan fait état de plus de 90 oiseaux appartenant à 15 espèces différentes signalés comme piégés par des bardanes avec des faits divers plus marquants signalant des accidents concentrés sur des lieux ou des périodes : en 2002, onze roitelets sont trouvés piégés en un an dans un parc ; en 2006, sur une courte période, 16 oiseaux dont une majorité de jeunes colibris à gorge rouge (1) subissent le même sort sur un autre site. Ces derniers exemples posent de vraies questions sur les causes de ces accidents.

Un piège pas si aléatoire que cela

Pour mieux analyser ce phénomène, une équipe (2) a entrepris un suivi sur cinq ans sur un secteur riche en bardanes afin d’une part de mesurer l’ampleur des piégeages, d’identifier les espèces les plus touchées et de comprendre ce qui initialement avait attiré ces oiseaux piégés à venir sur des bardanes. Par des visites régulières ciblées sur le site, ils ont réussi à accumuler suffisamment de données pour en tirer des tendances significatives.

Sur cinq ans, ils ont pu observer 29 oiseaux piégés appartenant à 13 espèces différentes dont une majorité de fauvettes du Nouveau Monde (famille des Parulidés). Seuls deux oiseaux (un roitelet et un gobe-mouches) ont été découverts encore en vie et ont pu être relâchés. Comme on ne retrouve qu’exceptionnellement des plumes restées accrochées, tout laisse à penser que l’accrochage s’avère presque toujours fatal. La majorité des oiseaux piégés se font prendre au niveau de grands massifs de bardanes (rappelons le caractère envahissant des bardanes en Amérique) plutôt que sur des pieds isolés. La période la plus « favorable » se situe en automne (donc pendant le pic migratoire) ; plus tard, en hiver, les tiges sèches se désagrègent et le danger s’estompe rapidement.

Il y a plus d’oiseaux migrateurs piégés que de sédentaires locaux : le site étudié se trouve le long d’une rivière qui sert de couloir de migration. Une période mauvais temps prolongé froid et humide a vu se concentrer des accidents (12 oiseaux piégés en quelques jours sur les 29 observés) : on suppose que les oiseaux migrateurs habituellement confinés dans la canopée des arbres tendent alors à descendre s’abriter vers le sol à l’abri du froid et du vent et ils fréquentent alors plus facilement les plantes herbacées comme les bardanes en massifs. Enfin, la taille des oiseaux semble un facteur important : les espèces les plus piégées pèsent en moyenne moins de 15 grammes. Probablement que les espèces plus robustes réussissent à s’échapper si elles se font agripper ?

Que font les oiseaux sur les bardanes ?

Les données accumulées en cinq ans concernent surtout des fauvettes et des bruants observés sur des bardanes. 79% des observations étaient des oiseaux perchés, notamment des bruants qui se nourrissent surtout au sol, les bardanes ne servant alors que de refuge de repli. Mais ils se perchent avant tout sur les grosses tiges et pas directement sur les capitules. Les 21% d’autres observations sont des oiseaux en recherche de nourriture : des fauvettes, des mésanges et des pics. Et ce sont justement eux qui sont les plus représentés parmi les espèces piégées. Dans la majorité des cas, ils inspectaient les feuilles séchées recroquevillées des bardanes, riches en insectes et araignées dissimulés : ce sont donc des insectivores qui sont avant tout touchés et très peu de granivores qui rechercheraient les graines dans les capitules.

Et chez nous ?

Une recherche sur internet ne m’a pas permis de trouver de tels faits relatés chez nous, hormis le cas personnellement relaté de cette mésange bleue et quelques observations de gros papillons de nuit piégés de la même manière. Par contre, on observe très fréquemment en automne et en hiver des granivores tels que les chardonnerets attablés directement sur les capitules en train de récolter les akènes (fruits secs en forme de graines) ; il s’agit même pour eux, avec les cardères, d’une plante ressource très régulière ! On peut donc penser que ces problèmes récurrents outre-Atlantique seraient liés entre autres à un comportement différent des espèces vis-à-vis des bardanes sèches (visitées là bas surtout par des petits insectivores en migration) ou à une certaine « naïveté » de ces espèces face à une plante nouvelle dans leur environnement ? L’abondance locale des bardanes sous forme de massifs très denses doit en plus concourir à accroître ces risques. Encore sans doute un effet collatéral indirect imprévisible de l’introduction d’espèces étrangères dans un nouvel environnement.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Ruby-throated Hummingbird, Archilochus colubris, entanglements in burdock, Arctium spp., at Delta Marsh, Manitoba. Hinam, Heather L., Spencer G. Sealy, and Todd J. Underwood. 2004. Canadian Field-Naturalist 118(1): 85-89.
  2. Bird behaviour on and entanglement in invasive burdock (Arctium spp.) plants in Winnipeg, Manitoba. Underwood, Todd J., and Robyn M. Underwood. Canadian Field-Naturalist 127(2): 164 –174. 2013
  3. Photo d’oiseau piégé prise sur le site : http://sacajaweaaudubon.org/2012/08/chapter-begins-burdock-removal-project/

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les bardanes
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