Arctium sp.

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Grandes bardanes sur un talus : des plantes qui ne passent pas inaperçues !

Dans une autre chronique consacrée aux deux espèces très communes de bardanes (la grande bardane Arctium lappa et la petite bardane A. minus), nous avons évoqué les surnoms populaires associés à leurs fruits leurs fruits très accrocheurs et plutôt désagréables : gloutterons, grattons, ….. Nous allons ici abordé des aspects plus « positifs » des bardanes dans le cadre de leurs usages et de leurs liens avec le folklore populaire.

Un enracinement profond

Une plante aussi imposante et commune n’a pas manqué d’attirer depuis très longtemps l’attention si bien que l’étymologie même du nom bardane reste incertaine (2). Le mot apparaît sous sa forme française au 15ème siècle mais la version latine bardana remonte sans doute bien avant, au Moyen-Age entre les 8ème et 11ème siècles. Ce mot résulterait de l’altération de barba, signifiant en latin classique « partie d’une plante qui évoque une barbe » ; peut-être cela fait-il allusion aux jeunes capitules crochus émergeant entre les jeunes feuilles au sommet des tiges ou bien tout simplement aux couronnes de crochets des capitules. Une autre piste rattache ce mot au germanique daroth pour dard (qui a donné darder) là aussi probablement à cause des fameux crochets. Une troisième piste, peu probable, évoque un mot tiré du dialecte lyonnais bardane pour « punaise » dérivé de barrum pour boue.

Des oreilles de géant

Les grandes feuilles basales réunies en une rosette imposante et pouvant atteindre presque 70cm de long chez la grande bardane possèdent revêtement cotonneux dense et ras colore le dessous en blanc. Très voyantes, elles n’ont pas manqué de nourrir l’imagination populaire.

Au premier siècle de notre ère, Lucius Columella dit Columelle, célèbre agronome romain, auteur du traité Res Rustica, la mentionne sous le nom de herba personata, persona signifiant masque ; ceci faisait allusion à l’utilisation de ces feuilles géantes pour les enfants comme masques ; ils les présentaient du côté blanc avec des trous découpés pour la bouche et les yeux.

D’ailleurs, il existe une espèce de chardon montagnard dont les capitules rappellent ceux des bardanes : on l’a nommé Carduus personata, le chardon fausse-bardane.

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Chardon fausse-bardane (Beaufortain/Alpes)

Dans une variante celte des Highlands écossais de la légende de Tom Pouce (Tom Thumb), Tomas na h’ordaig en celte, pas plus grand que le pouce de son père, part se promener ; pris sous une averse de grêlons, il se réfugie sous une feuille de bardane ; un taureau qui passait par là brouta la plante et avala Tomas ; il s’en suit une incroyable histoire où notre petit héros se retrouve, vivant, dans les intestins du taureau mis à mort ! Il s’agit là de la traduction traditionnellement transcrite en français. Si on se réfère à la version originale de ce conte, on constate que la fameuse plante refuge est nommée dock puis docken ; or, ce mot anglais désigne toutes sortes de grandes plantes (dont les oseilles ou Rumex) et il a été repris dans le nom populaire anglais de la bardane, burdock (voir la chronique sur les capitules de la bardane). Donc, il pourrait s’agir de la bardane … ou pas ?

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Un refuge idéal pour Tom Pouce : la canopée d’une colonie de bardanes !

Un légume racine

Le cycle de vie des bardanes se déroule le plus souvent sur deux ans : la première année, la plante élabore une rosette de feuilles tandis qu’elle accumule des réserves importantes dans sa puissante racine verticale à chair blanche et écorce brun foncé. L’année suivante, la plante se sert de ces réserves pour fabriquer une touffe de hautes tiges (jusqu’à 3m de haut !) ramifiées, robustes et feuillées ; elle fleurit et produit des centaines de capitules chargés chacun de dizaines de fruits secs sous forme de graines, des akènes. Ensuite, la plante meurt sur pied ; on parle donc de plante monocarpique (« qui ne fleurit qu’une fois ») à l’instar du cirse laineux abordé dans une autre chronique.

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Capitules secs avec les fruits sous forme de graines

Comme la majorité des composées ou astéracées, les réserves des racines se composent non pas d’amidon mais d’inuline, un sucre particulier aux molécules composées de fructose (et non pas de glucose comme pour l’amidon). On retrouve l’inuline en grande quantité par exemple dans les tubercules de topinambours. Comme notre tube digestif ne possède pas d’enzymes digestives capables de la décomposer, l’inuline n’apporte donc pas de glucose et n’élève pas la glycémie sanguine ce qui lui vaut d’être conseillée aux personnes diabétiques. La consommer équivaut à manger une fibre alimentaire mais soluble. Par contre, dans le gros intestin, elle favorise le développement de la flore bactérienne (et les dégagements gazeux associés !).

La racine de la bardane a été consommée autrefois dans les campagnes râpée ou cuite comme des salsifis ou frite. Par contre, au Japon et en Corée, elle constitue un aliment recherché et très cultivé sous le nom de gobo. Les racines sont commercialisées sous forme de morceaux coupés en long, confites dans du vinaigre ou cuites dans l’eau, voire râpées pour les racines jeunes encore très tendres. Les indiens d’Amérique les récoltaient aussi pour les faire sécher en vue de l’hiver ; cependant, ce traitement entraîne une baisse importante du taux d’inuline et de certains autres composés aux propriétés médicinales.

L’herbe-aux-teigneux

Dans la culture populaire, la bardane jouit avant tout d’une solide réputation de plante médicinale majeure avec un usage principal : « nettoyeur du système » (pour reprendre des termes de médecine populaire), autrement dit une dépurative de premier ordre. La racine (sous forme de pulpe fraîche), les feuilles et les graines ont été largement utilisées pour stimuler « l’élimination des toxines » ou, en usage externe, pour traiter les maladies de peau comme les furoncles, l’acné rebelle, les eczémas, le psoriasis, … Comme on l’utilisait pour guérir « la gale de la tête », on l’a beaucoup surnommé herbe-aux-teigneux et ce, d’autant qu’on pouvait faire le lien avec les fruits accrocheurs comme des « teignes » ! Une foule d’études pharmacologiques récentes, notamment en Chine (1) où la bardane reste encore très en vogue (surtout par ses graines) ont confirmé plus ou moins un certain nombre de propriétés et identifié les substances responsables :

– des tanins qui agissent sur les réactions immunitaires mais la rendent aussi potentiellement toxique en cas d’excès

– des acides phénoliques : acide cafféique et acide chlorogénique qui expliquent l’activité antimicrobienne et l’efficacité contre les furoncles infectés

– des lignanes tels que l’arctiine et l’arctigénine qui agissent sur le système immunitaire

– des flavonoïdes antioxydants protecteurs des cellules ….

Bref, un arsenal chimique avéré et efficace d’ailleurs au delà de cette activité disons dermatologique : ainsi, on a détecté des activités antivirales ou anticancéreuses au moins in vitro et qui font l’objet de nombreuses études.

Autrefois, on l’a préconisé par ailleurs contre toutes sortes d’autres problèmes, de manière variable d’une région à l’autre, comme cela se produit toujours dès lors qu’on a affaire à une plante efficace au moins dans un domaine. Pour preuve cet extrait du Théâtre d’Agriculture et Mesnage des champs d’O. De Serres paru en 1599 :

« Gleteron ou glouteron, dit aussi bardane et personata en Languedoc, lampourde (lampourdo), vient facilement de racine et de semence, en terre sèche et maigre sans beaucoup se soucier de culture. Contre les flegmes pourris et le crachement de sang est bonne la graine de cette herbe, bue en vin ou en potage ; apaise les douleurs des jointures causées de coup, rompt le calcul, arrête la dysenterie. Sa feuille broyée et appliquée sur vieilles ulcères les guérit et aussi ôte le venin procédant de morsure de chien enragé, de serpent et d’autres bêtes malignes. Et y adjoustant la graine et les racines le tout appliqué sur les escrouelles y sert de bon remède. »

On devine ici les excès associés à la plante guérit-tout sans limites même si certaines de ces préconisations ont reçu un début de confirmation via les études pharmacologiques.

On voit donc qu’au delà du folklore engendré par leurs fruits ou grattons (voir la chronique sur ce sujet), les bardanes ont tenu une place majeure dans la culture populaire.

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Une autre raison du succès populaire des bardanes : leur proximité avec l’homme du fait de leur goût pour les sols enrichis en azote par les activités humaines.

BIBLIOGRAPHIE

  1. A review of the pharmacological effects of Arctium lappa (burdock). Yuk-Shing Chan • Long-Ni Cheng • Jian-Hong Wu •
Enoch Chan • Yiu-Wa Kwan • Simon Ming-Yuen Lee •
George Pak-Heng Leung • Peter Hoi-Fu Yu • Shun-Wan Chan. Inflammopharmacol. 2010
  2. Dictionnaire culturel en langue française. Le Robert.
  3. Le théâtre d’Agriculture et Mesnage des champs. Olivier de Serres. « THESAURUS » Actes Sud. 1996.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les bardanes
Page(s) : 151 Le guide de la nature en ville
Retrouvez les bardanes
Page(s) : 208 Guide des plantes des villes et villages