Diplolepis rosae

Si dans leur ensemble, les galles restent souvent méconnues du grand public (voir les autres chroniques sur les galles dont celles du hêtre), les bédégars font exception : ce nom étrange désigne ces grosses boules chevelues que l’on trouve sur les églantiers (les rosiers sauvages) au long des haies ou dans les friches. On les repère encore plus en hiver car elles persistent sur les arbustes quand ils ont perdu leurs feuilles. Ce succès populaire se double en plus d’un grand succès scientifique puisqu’il s’agit sans doute d’une des galles les plus étudiées. Belle occasion donc de découvrir ces bédégars et leur étonnante biologie en l’inscrivant dans le contexte de la biodiversité ordinaire.

Bédégar ?

Le portrait de cette galle est vite brossé : d’une part on ne la trouve que sur les églantiers ou rosiers sauvages (surtout la rose des chiens, la plus commune) et d’autre part, elle a un aspect unique : une grosse masse enchevêtrée de poils ramifiés tordus et crépus dont la teinte varie du vert jaunâtre au rouge vif (surtout en plein soleil) à la balle saison. De taille très variable, elles peuvent atteindre dix centimètres de diamètre mais aussi être très petites ; souvent, quand elles sont nombreuses sur un même arbuste, on en trouve de toutes les tailles. Au toucher, sous la couche de poils hérissés, on sent une écorce dure ligneuse qui leur permet de persister en hiver quand elles virent au brun foncé et que les poils se plaquent. A la coupe, sous l’épaisse couche de « cheveux », on trouve une écorce épaisse, ligneuse protectrice enveloppant une masse de « chair » (parenchyme) dans laquelle on observe plusieurs loges ou chambres ; chacune d’elles correspond à la loge d’une larve de l’insecte responsable de cette galle.

Ce nom populaire de bédégar vient d’un mot d’origine persane signifiant « emporté par le vent » : raté, car ces galles ne se décrochent pas et ne peuvent donc aucunement être transportées ainsi ! en fait, il s’agit d’une confusion ancienne avec les capitules des chardons dont les fruits plumeux se détachent en automne, emportés par le vent. Le nom anglais de pincushion, pelote d’épingles, convient mieux pour traduire leur aspect hérissé. Elles sont connues depuis l’antiquité et ont été décrites par des auteurs antiques tels que Théophraste ou Pline. Leur aspect original et leur apparence incongrue sur les églantiers ont suscité diverses croyances liées à des ressemblances selon le principe des signatures. Ainsi, on les recommandait contre la calvitie (écrasées et mélangées avec du miel) par analogie avec l’aspect chevelu ; on les utilisait aussi contre les calculs urinaires sans doute à cause de l’aspect « concrétions ». Elles ont aussi servi, réduites en miettes, de tabac pour pipe.

Fondation féminine

A l’origine du bédégar des églantiers, il y a une minuscule « guêpe » noirâtre de la famille des cynipidés dans laquelle toutes les espèces sont dites gallicoles i.e. dont les larves vivent dans des galles) ; elle a pour nom scientifique Diplolepis rosae. Si on ne put pas confondre le bédégar, la guêpe responsable, bien que spécifique de cette galle, ressemble très fortement à des dizaines d’autres espèces responsables d’autres galles notamment sur les chênes mais aussi d’autres galles de forme différente sur les églantiers.

Les femelles émergent au cœur du printemps depuis les loges des bédégars dans lesquelles elles ont hiberné. Première originalité remarquable : il n’y a pratiquement que des femelles et l’apparition de mâles reste très marginale (4% maximum des adultes dans certaines populations. La reproduction se fait donc, sans mâles, par la voie dite de la parthénogénèse : les femelles produisent dans leurs ovaires des ovocytes qui évoluent en embryons sans qu’il n’y ait eu de fécondation !

Très actives par temps chaud, ces femelles recherchent les bourgeons sur les tiges des églantiers ; après une longue inspection, la femelle insère sa tarière de ponte (l’ovipositeur qui ressemble à un dard mais ne sert qu’à pondre) sous les écailles du bourgeon et atteint ainsi les futures feuilles composées fortement repliées. A l’aveugle mais de manière très précise, elle dépose une trentaine d’œufs (ou plus), un par un, à la base des feuilles. Elle tourne lentement autour du bourgeon de manière à bien les répartir ce qui lui prend une à deux heures.

Possession

Cette ponte d’apparence assez anodine et classique va enclencher un processus sidérant : dans les heures qui suivent l’insertion de l’œuf, les cellules avoisinantes entrent dans une phase d’activité métabolique intense produisant des protéines et des ARN. Elles s’agrandissent et se multiplient rapidement si bien que dans les deux jours, sous chaque œuf se forme déjà un coussinet de cellules nouvelles. Une partie de ces cellules perdent leurs parois ce qui donne naissance à une cavité contenant l’œuf. Huit jours plus tard, une petite larve éclot et commence aussitôt à ronger les cellules ; le coussinet se développe de plus belle et entoure complètement la jeune larve qui se trouve enfermée dans une loge dont les parois se différencient en tissu nutritif vers l’intérieur et en écorce vers l’extérieur. L’épiderme d’origine se transforme radicalement et élabore ces fameux poils chevelus. Les différentes loges, occupées donc chacune par une larve, tendent à fusionner en une masse centrale : le bédégar apparaît progressivement !

Ainsi, la plante a fabriqué un « organe » complètement nouveau, qui n’a aucun équivalent pour elle, sous l’emprise des hôtes, œufs puis larves. Ce processus suppose une déprogrammation génétique des cellules végétales originelles et une reprogrammation pour fabriquer les différentes couches de la galle selon une architecture spécifique ! Ceci se fait via des substances émises par la femelle au moment de la ponte puis par les larves. La galle, bien qu’étrangère en quelque sorte à la plante, développe des connexions vasculaires avec celle-ci et se trouve donc ravitaillée en eau et nutriments comme les feuilles et les tiges ordinaires. Ainsi, la plante fournit, à son insu, abri et nourriture aux larves qui vont pouvoir se développer. Tout ceci ne se fait pas sans une résistance de la plante et souvent, les cynips choisissent des arbustes souffreteux ou poussant sur des terrains peu favorables et qui seront ainsi moins aptes à se défendre.

En automne, le bédégar vire de couleur quand l’églantier perd ses feuilles

Consommation

Tant que la galle se développe, les larves restent petites et ne se développent que très peu. En août, elles n’ont subi que deux (ou trois) des cinq mues de croissance qui les séparent de la métamorphose. A partir de la mi-août, la galle a atteint sa taille maximale : alors, les larves changent de « braquet » et se mettent à se nourrir avidement si bien qu’en octobre elles ont achevé leur croissance et beaucoup grossi, au point de remplir complètement le volume de leur loge individuelle. Les larves entrent alors en hibernation ; au printemps, elles se réveillent et se métamorphosent en nymphes (« chrysalides »). Une à deux semaines plus tard, celles-ci donnent naissance aux petites guêpes femelles. Il n’y a donc qu’une génération par an.

Les larves se nourrissent des tissus nutritifs et de réserve fabriqués (de force !) par la plante au cœur de la loge. Elles se comportent donc en parasites alimentaires vis-à-vis de l’hôte végétal. Néanmoins, l’effet global sur la survie de celui-ci s’avère très limité : la plante y perd certes quelques nutriments qui sont ainsi détournés et quelques bourgeons détruits par la ponte de la guêpe. Tout ceci n’est pas grand chose par rapport aux autres problèmes naturels que doivent affronter les végétaux : les herbivores directs du feuillage, les aléas climatiques, la concurrence des autres végétaux, … Seuls de jeunes plants sur des sites difficiles pour leur survie peuvent en mourir en cas de galles trop nombreuses. Moralité : si dans votre jardin, sur vos plantes ornementales vous trouvez des galles, alors conservez les et admirez les en vous disant que vous hébergez un bout de biodiversité. Ne suivez pas les conseils imbéciles du genre « on coupe » ou « on traite » : un jardin, c’est vivant avant tout et nous, humains, devons apprendre à vivre et à cohabiter avec tout le reste du monde vivant.

Location

Justement, puisque nous parlons de biodiversité, nous allons maintenant aborder un aspect méconnu des galles et particulièrement édifiant. Il ne vous aura pas échappé que de telles galles constituent des abris formidables avec gîte et couverts. Elles n’ont donc pas manqué de susciter des vocations et de nombreuses autres espèces se sont adaptées à ce nouvel environnement très propice à la survie. Parmi elles, on distingue deux grands groupes : les « squatters » et les parasites/prédateurs. Parlons d’abord des premiers que les scientifiques surnomment d’un terme peu connu : les inquilins (dérivé d’un mot latin signifiant locataire). Ces espèces se servent donc des galles comme d’un abri pour s’y développer elles aussi : l’inquilinisme appartient donc au vaste univers des interactions durables (voir les chroniques sur ce sujet). Dans le cas des bédégars, il s’agit d’autres espèces de Cynipidés spécialisées dans ce nouveau mode de vie. Une espèce domine largement dans les bédégars et n’a pas de nom commun car elle est tout aussi minuscule que sa consœur responsable des bédégars : Periclistus brandtii ! En juillet-août, les femelles de cette espèce choisissent de jeunes bédégars en formation et piquent depuis la surface (pas encore trop protégée par la chevelure naissante) pour déposer leurs œufs un à un dans les loges périphériques les plus proches de la surface. Ce faisant, elles tuent les larves présentes mais pas pour s’en servir comme nourriture ! Là encore, les œufs pondus déclenchent une cascade de réactions au niveau des cellules végétales qui se dédifférencient et se transforment en d’autres cellules nutritives un peu différentes. Autrement dit, les nouvelles larves reprogramment une seconde fois leur environnement à leur manière en défaisant ce qui avait été fait : on pourrait appeler cela l’effet Trump !!! Leurs loges périphériques se durcissent et entraînent une certaine augmentation de la taille du bédégar qui se déforme et se boursoufle. Pour le reste, elles vont suivre le cycle de leur loueur en se nourrissant de l’intérieur des loges ; elles vont y hiberner et émerger un peu plus tard en juin suivant.

Exploitation

Une seconde cohorte d’hôtes, riche en espèces, s’intéresse cette fois directement aux larves et s’en servent comme nourriture pour leurs propres larves. Des dizaines d’espèces sont ainsi connues dont quatre particulièrement communes. Il y a par exemple un ichneumon, spécialiste des bédégars : les femelles piquent à travers les galles et déposent leurs œufs, un à un, directement dans le corps des larves de Diplolepis. Ces œufs éclosent et la jeune larve commence tout doucement à ronger l’intérieur du corps de son hôte en la laissant en vie. Quand les larves hôtes ont atteint leur taille maximale en septembre, les larves parasites accélèrent leur attaque et mangent entièrement la larve dont il ne restera que la peau ! Elle se métamorphose dans la loge et émergera en adulte au printemps. Ce parasite interne (endoparasite) peut être si commun que parfois toutes larves d’un bédégar peuvent être détruites !

Il existe aussi des espèces de chalcidés, donc de la même famille que Diplolepis rosae, qui pondent leurs œufs sur les larves : mais ensuite, le processus est le même ! Certaines larves de ces parasites peuvent même passer d’une loge à l’autre en creusant des tunnels pour dévorer plusieurs larves se comportant en véritables prédateurs. D’autres espèces hyperspécialisées parasitent … les parasites eux-mêmes en pondant leurs œufs dans les larves des ichneumons par exemple !

Ainsi, les bédégars hébergent toute une communauté très diversifiée d’espèces aux relations alimentaires très complexes : un hôtel-restaurant de la biodiversité !

Le bédégar installé sur le bourgeon terminal grossit plus car il a accès à un maximum de nourriture

BIBLIOGRAPHIE

  1. Plant galls. M. Redfern. The New Naturalist. Ed. Collins. 2011. Un ouvrage passionnant et hyper détaillé sur le monde des galles au niveau de leur biologie et de leur histoire.