Mantis religiosa

Mante religieuse adulte sous la forme colorée brune

La mante religieuse est un insecte relativement répandu qui habite toute une gamme de milieux herbacés à buissonnants allant de milieux très artificiels comme les jardins aux friches, landes et pelouses naturelles. Outre ses étonnants comportements tant au niveau de sa technique de chasse que de sa reproduction, cette espèce frappe par sa capacité à se fondre dans son environnement grâce à sa forme allongée mais surtout grâce à sa coloration générale qui coïncide souvent avec celle du milieu (homochromie). Or, il existe deux formes colorées chez la mante religieuse (avec des intermédiaires) que l’on peut facilement observer au moment de l’apparition des adultes en été et début d’automne : des mantes vert clair et des mantes brunes à jaunâtre ocre. Depuis longtemps, on a mis en évidence que les jeunes mantes lors de leurs mues de croissance peuvent changer de coloration à cette occasion. On a longtemps expliqué la coloration retenue comme étant celle la plus en accord avec le milieu environnant mais de nombreux exemples contredisent cette idée ; plus récemment, on a invoqué une influence des facteurs climatiques (température de l’air, humidité, intensité lumineuse) qui connaissent de fortes variations à la charnière été/automne. Qu’en est-il vraiment de ces causes possibles du déterminisme de la coloration et quid des adultes qui eux ne muent plus ; sont-ils capables eux aussi malgré tout de changer de coloration ?

Capture-recapture

Pour en savoir plus, deux entomologistes italiens (1) ont entrepris une étude sur le terrain près de Vicence, en Vénétie, dans le nord de l’Italie. Ils ont sélectionné un site de 1100 m2 enclavé au milieu de bois ce qui isolait la population de 70 à 80 mantes présentes sur ce site. Le milieu se composait pour les deux tiers de végétation herbacée et pour le tiers restant de buissons et d’arbres dont des églantiers, des ronces, des cornouillers sanguins et des frênes. Pour suivre et recenser cette petite population, ils ont marqué 63 d’entre elles en inscrivant au feutre indélébile un code sur les élytres des adultes (les ailes un peu durcies qui recouvrent le dos au repos). Toutes les semaines de août à octobre, ils ont parcouru le milieu et cherché à retrouver chaque mante marquée en notant sa position spatiale exacte, sa couleur, le niveau de végétation dans lequel elle se trouve alors (en hauteur) et la coloration générale de ce dernier. Par ailleurs, ils ont élevé en cages des immatures capturés et maintenus dans les mêmes conditions climatiques pour suivre leur évolution notamment au niveau de la couleur.

Exemple de milieu semi-naturel apprécié de la mante religieuse : un coteau calcaire avec des milieux herbeux et buissonnants mélangés (Limagne, Auvergne) avec l’ambiance automnale (on trouve des mantes jusqu’en octobre)

Variations

Il apparaît assez nettement qu’il n’y a pas de lien entre le sexe et la coloration brune ou verte ; par contre, en début de saison, on observe proportionnellement plus d’adultes bruns alors que la proportion s’inverse en faveur des vertes au fur et à mesure que la saison avance.

Le suivi en cage éclaire sur ce changement chez les adultes jusqu’ici non documenté. Quatre des cinq femelles brunes conservées en cage et ayant survécu jusqu’à l’entrée de l’automne montrent une variation progressive, lente, incomplète mais néanmoins observable du brun vers le vert. Plus on avance dans l’automne, plus les tons verts prennent le dessus dans les parties riches en cellules vivantes (non sclérifiées) : la tête, les pattes, la face inférieure du thorax et l’abdomen virent doucement au vert. Seuls les élytres et le dessus du thorax nettement durcis restent bruns. Ceci démontre une certaine capacité des adultes à changer de couleur au cours de la saison et sans changer de peau puisqu’ils ne subissent plus de mues.

Dernière mue d’un jeune qui donne le stade adulte ; à partir de là, l’insecte ne grandit plus et ne mue plus

Habitat et climat

On peut invoquer un lien probable avec l’évolution de la couleur de fond du milieu. Au cœur de l’été brûlant, la végétation tend à virer vers le jaune paille et même les buissons brunissent un peu ; avec les premières pluies d’automne (climat presque méditerranéen), la végétation reverdit à partir de septembre. Compte tenu du fait que les mantes occupent surtout les niveaux les plus bas de la végétation buissonnante, elles réussissent ainsi à conserver leur homochromie et à se fondre dans leur milieu. La forte pression de sélection exercée par les prédateurs et, peut être, des préférences innées des mantes pour un milieu dont la couleur de fond colle avec la leur, conduisent à cette évolution. Les jeunes, plus vulnérables (ils ne volent pas et ne peuvent pas déployer leurs ailes pour faire une parade d’intimidation comme le font les adultes) changent rapidement de couleur (en quelques heures) mais uniquement au moment des mues. Cependant, tout ceci ne doit pas conduire à penser que les mantes « calculent » leurs changements de couleurs ; il y a d’autres facteurs actifs dont les changements climatiques classiques assez contrastés au cours du passage de l’été à l’automne.

L’étude met en évidence un lien significatif entre la baisse progressive du nombre de mantes brunes au profit des vertes en cours d’été avec la baisse progressive des températures, de l’intensité lumineuse et, de manière moins évidente, avec la hausse de l’humidité relative. Ces indicateurs climatiques serviraient en quelque sorte de déclencheurs des changements de couleurs soit au moment des mues pour les jeunes, soit en fin d’été/début d’automne pour les adultes.

Casanière

On a peu d’idée a priori sur la capacité de cet insecte à se déplacer dans son environnement ; on voit bien de temps en temps une mante s’envoler mais leur taille et leur forme très allongée rend leur vol très hésitant et de courte durée. L’étude montre d’abord une nette préférence des mantes pour les buissons bas avec 60% des observations sur ou dans ceux-ci alors qu’ils n’occupent que un tiers du milieu. Elles n’ont jamais été observées au sommet des grands buissons ni des arbres et relativement peu dans les grandes herbes. Elles montrent une nette préférence pour les ronces et les églantiers (les rosiers sauvages) à cause de leur structure très enchevêtrée et des épines qui doivent constituer une barrière efficace contre les prédateurs. En effet, on a tendance à ne retenir des mantes que leur côté prédateur redoutable mais on oublie leur fragilité vis-à-vis de nombreux prédateurs pour qui elles représentent des proies de choix de par leur taille, au premier rang desquels les oiseaux. Par ailleurs, ces mêmes buissons abritent une riche faune d’insectes se nourrissant du feuillage, des fruits ou venant butiner les fleurs et qui sont autant de proies potentielles pour les mantes. Elle n’emprunte le couvert herbacé que pour aller d’un buisson à un autre sans prendre de risque de se mettre à découvert.

Même une mante verte dans un décor sans vert présente une certaine faculté à se fondre grâce à sa forme allongée qui se mêle à celle des tiges herbacées.

Dispersion

Les captures/recaptures fournissent des chiffres inattendus sur leur mobilité : les mâles se déplacent de 18 mètres/semaine quand ils sont dans des espaces ouverts contre seulement 3,5 mètres/semaine quand ils sont dans des buissons ! Sur neuf mantes recapturées au moins trois fois au cours de l’étude, une seule est retournée à son point de départ ; les autres « dérivent » en moyenne d’une dizaine de mètres seulement sur la saison en fonction des obstacles au sol.

Malgré cette faible potentialité à se disperser, les mantes réussissent à coloniser de nouveaux milieux grâce à leur éclectisme ; elles s’adaptent à toutes sortes de milieux combinant buissons bas et végétation herbacée ; les champs abandonnés, les friches et les jardins constituent autant de relais intermédiaires dans lesquels elles peuvent se reproduire transitoirement et progresser ainsi de proche en proche dans l’espace. Elles ne défendent pas de territoire et n’ont pas besoin d’un milieu étendu ; des micro-milieux peuvent leur suffire. Leur capacité d’adaptation au niveau de la couleur constitue dans ce contexte un atout supplémentaire pour s’implanter dans des milieux très variés. Tout ceci explique le succès de cette espèce comme le montre son expansion importante aux USA sur la côte Ouest depuis les années 1990 alors que son introduction remonte à la fin du 19ème siècle et qu’elle avait déjà conquis tout l’Est et le Québec.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Colour change and habitat preferences in Mantis religiosa. Roberto BATTISTON, Paolo FONTANA. Bulletin of Insectology 63 (1): 85-89, 2010
  2. Recent range expansion of the Praying Mantis, Mantis religiosa Linnaeus (Mantodea: Mantidae), in British Columbia. ROBERT A. CANNINGS. J. ENTOMOL. SOC. BRIT. COLUMBIA 104, 2007

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la mante religieuse
Page(s) : 303 Le guide de la nature en ville