Cactaceae

cacfac-colonis

On voit nettement que les grands cactus cierges suivent les zones de végétation arbustive dans cet environnement parsemé d’espaces ouverts. (photo Roland Guillot)

Pour de nombreuses plantes, les phases de la germination des graines et de la croissance de la jeune plantule sont déterminantes pour la survie des espèces compte tenu de l’importante mortalité qui les touchent à ce moment-là. Nombre d’entre elles s’appuient sur un type d’interaction avec d’autres plantes, la facilitation ou » syndrome de la nurse » : il s’agit de germer et de croître au pied d’une plante d’une autre espèce suffisamment grande et « forte » pour procurer abri et protection. La plante nurse peut apporter divers effets bénéfiques pour la plante facilitée : fertiliser le sol ; protéger contre le rayonnement du soleil ou contre le froid ; maintenir un peu d’humidité ; protéger contre les atteintes des herbivores ou les blessures par le vent ou les précipitations. La plante nurse n’en tire par contre aucun avantage à ce stade d’où le classement de ce type d’interaction dans la catégorie des commensalismes, les relations +/0 (voir la chronique de présentation).Les cactus pratiquent assidûment cette « méthode » : seulement 4% des espèces semblent ne pas y recourir ! Les exemples étudiés de près ne manquent pas. Pourquoi un tel besoin de facilitation chez des plantes qui semblent tellement armées pour tout supporter ?

NB : Un immense merci à Roland et Nicolas pour leurs photos « live » ! Elles ont toutes été prises dans le Parc national des Cardones près de Salta en Argentine.

Germer dans le désert

cacfac-prepuna

Paysage semi-désertique de la prepuna en Argentine (photo Roland Guillot).

Ces études concernent presque toutes des cactus vivant dans des milieux arides ou semi-arides, chauds ou froids : ils représentent d’ailleurs l’écrasante majorité des espèces de la famille mais il existe aussi des cactus vivant dans des forêts tropicales humides. Une étude générale à grande échelle (1) a porté sur douze espèces de cactus habitant les paysages semi-arides des Andes subtropicales en Argentine et en Bolivie, dans la zone dite de la Prepuna avec de faibles précipitations concentrées sur de courtes périodes et des températures hivernales descendant à – 10°C en hiver.

Les espèces de cactus étudiées étaient soit de type ventrus globuleux, soit de type « à raquettes » comme les Opuntias. Quinze stations différentes ont été observées et dans neuf d’entre elles, les cactus suivis poussaient préférentiellement sous le couvert des arbustes bas et étalés qui peuplent ces espaces désolés. Dans les six autres, la tendance était moins nette mais même là les cactus ne poussent pas préférentiellement dans les micro-habitats ouverts sans végétation. On sait que d’une manière générale les plantules de cactus ont besoin de conditions de moyenne sécheresse (mésiques) pour arriver à s’installer et développer leur appareil souterrain vital pour pouvoir ensuite prospérer en conditions beaucoup plus sèches (xériques). Les buissons choisis doivent donc leur fournir de l’ombrage qui abaisse la température au sol et maintient ainsi une humidité relative plus favorable.

Qu’en est-il pour les grands cactus en colonnes si typiques de ces paysages désertiques ?

El cardón y la hediondilla

cacfac-nursadult

Vieux cardones implantés au beau milieu de buissons dans le décor semi-aride de la prepuna. (photo Roland Guillot)

Alors qu’il y a une relative diversité de buissons disponibles dans cet environnement, les relevés indiquent de très nettes préférences de la part de ce cactus avec comme plante nurse très largement plébiscitée, la hediondilla, le créosotier (Larrea tridentata), un arbre/arbuste de la famille des zygophyllacées qui présente « l’avantage » d’avoir un feuillage persistant, donc fournissant un ombrage relatif permanent.

En seconde position, vient el algarobillo (Prosopis ferox), une légumineuse arbustive aux épines très défensives (d’où l’épithète ferox) ; son feuillage n’est pas persistant mais sa structure très ramifiée et ses épines assurent un certain ombrage même dans la période où il est dégarni en feuilles. De plus, ses épines doivent apporter une protection contre les herbivores (dont les animaux domestiques !) et comme il s’agit d’une légumineuses, ses racines fixent l’azote de l’air et enrichissent le sol.

cacfac-prosopis

Ce buisson épineux au pied duquel s’est développé ce grand cactus semble être l’algarobillo vu la taille des épines.(photo Roland Guillot)

Nurses malgré elles

Par contre, très peu de cardónes poussent au pied d’un autre arbuste très répandu et a priori favorable pour jouer le rôle de nurse : Baccharis boliviensis, une astéracée buissonnante au feuillage fourni ; pourtant, aux pieds de ces arbustes, on trouve de nombreuses graines de cardónes. Cet arbuste libère via ses feuilles mortes qui tombent au sol des substances toxiques qui inhibent la germination du cardón (allélopathie). Par contre, d’autres espèces de cactus comme le cactus de Maas (Parodia maassii) une espèce basse et ventrue, se réfugient au contraire préférentiellement sus cet arbuste : ils ont sans doute acquis une tolérance ou une résistance à ces substances allélopathiques. Cette pratique permet de diminuer la concurrence rude dans un milieu aussi contraint et d’assurer à la plante une alimentation en eau régulière.

Mais, au fait, le petit cactus va grandir au pied de sa nurse ? Au Mexique (3), un autre grand cactus en cierge, connu sous le nom local de tetechera ou tetecho (Neobuxbaumia tetetzo) a pour nurse principale une autre espèce de légumineuse (Mimosa luisana) aux belles fleurs roses ; son nom local parle tout seul : la madre de los tetechos ! Or, sur le terrain, si on trouve les jeunes cactus sous cet arbre, quand on suit les vieux spécimens, souvent l’arbre nurse a disparu ; les Mimosas associés à ces cactus présentent plus de bois mort à leur base et on pense qu’une compétition féroce s’établit au niveau des racines qui exploitent la même couche en-dessous de 30cm de profondeur, là où l’eau reste disponible. Ainsi, le protégé finit par tuer sa nurse ! On se demande s’il faut toujours classer la facilitation parmi les interactions +/0 !

Atteindre les nurses

Tout cela est bien beau mais comment les graines des cactus atterrissent-elles sous les arbustes nurses ? C’est là qu’intervient une seconde interaction : les oiseaux frugivores qui mangent les fruits charnus appétissants des cactus et déposent les graines dans leurs excréments quand ils sont perchés (voir la chronique sur l’endozoochorie).

Ainsi, les deux plantes-nurses des cardónes évoquées ci-dessus sont très utilisées par les oiseaux comme perchoirs du fait de leur architecture. Par contre, lors de l’étude (2), les chercheurs ont constaté que sous deux autres espèces d’arbustes répandus et potentiellement favorables comme nurses, il y avait très peu de graines de cardón au sol : du fait de leur forme basse et très étalée, ces deux arbustes attirent peu les oiseaux qui ne se perchent que peu dessus ; de même, pour les nurses principales, selon qu’elles ont un port en arbre ou en arbuste, la quantité de graines au sol diffère. Donc, pour être une bonne nurse, il faut en plus attirer les oiseaux !

cacfac-reprod

Ces grands cardones devenus adultes commencent à se reproduire en fleurissant ; les fruits et leurs graines seront ensuite dispersés par les oiseaux. (photo Roland Guillot)

Au Venezuela (4), dans une enclave aride, trois espèces de grands cactus en colonnes ont été étudiés ; là encore, ils ont comme nurses des légumineuses (deux espèces d’Acacia et une de Prosopis) ; or, ces arbres/arbustes se trouvent très utilisés comme reposoirs diurnes par des chauves-souris frugivores du fait de leur port. Ces dernières consomment les fruits charnus des cactus et déposent donc leurs graines lors de leur digestion, juste au pied !

Dans le désert du Sonora aux U.S.A. (5), le cactus-éléphant (Pachycereus pringlei), qui peut atteindre 20m de haut a deux nurses principales, encore des légumineuses : le bois-de-fer du désert (Olneya tesota) et le mesquite (Prosopis glandulosa). Le premier est largement le plus utilisé sur le terrain avec le plus de cactus installés sous sa canopée ; pourtant, des expériences de semis artificiel montrent que les jeunes cactus réussissent mieux sous le second, avec de meilleures chances de survie et une meilleure croissance (sans doute à cause de sa litière de feuilles plus riche). Mais alors, pourquoi les grands cactus sont-ils plus nombreux sous les nurses les moins favorables ? Il se trouve que le principal disperseur des graines de ce cactus est un passereau, le verdin (Auriparus flaviceps) : il construit des nids en forme de bourse, typiques de cette famille d’oiseaux (Rémizidés avec la Rémiz penduline présente en France). La souplesse des rameaux du bois-de-fer lui convient mieux que celle du mesquite ! Merveilleuse complexité très subtile des interactions !!

Une autre forme d’interaction, à peine explorée, concerne l’importance de la prédation des graines tombées au sol selon la structure de la plante nurse, plus ou moins favorable à l’accès ou au refuge des animaux granivores !

Un peu de réciprocité !

Les cactus profitent donc largement d’un processus facilitateur. Mais eux aussi, une fois l’âge adulte atteint, ont quelques qualités protectrices, notamment du fait de leur armure épineuse (voir la chronique sur les épines des cactus).

Dans le désert côtier de l’Atacama au Chili, célèbre pour « l’extrémitude » des conditions de vie, vit une espèce de cactus endémique Eulychina acida ; aux pieds de ce cactus, le sol se trouve enrichi en éléments nutritifs et en sels solubles. Quelques plantes halophytes locales (adaptées aux sols salés) poussent à leurs pieds mais par contre, les arbustes locaux et les vivaces se tiennent à distance, laissant des espaces libres. Une plante annuelle introduite et envahissante, la ficoïde glaciale (Mesembryanthemum crystallinum), une Aizoacée succulente mais non épineuse, trouve donc là, directement et indirectement, des conditions idéales pour s’implanter et prospérer : sous sa « tutelle », la ficoïde produit quatre fois plus de biomasse qu’en dehors de sa protection. Ainsi, ce cactus local pourrait favoriser l’expansion de cette envahisseuse !

BIBLIOGRAPHIE

  1. The role of nurse plants in the establishment of shrub seedlings in the semi-arid subtropical Andes. Ramiro Pablo Lopez ; Sergio Valdivia ; Ninel Sanjines ; Diego de la Quintana. Oecologia (2007) 152:779–790
  2. Application of randomization methods to study the association of Trichocereus pasacana (Cactaceae) with potential nurse plants. M.L. de Viana, S. Sühring and B.F.J. Manly. Plant Ecology 00: 1–5, 2000.
  3. Interaction between the cactus Neobuxbaumia tetetzo and the nurse shrub Mimosa luisana. A. Valiente-Banuet et al. Journal of Vegetation Science, Vol. 2, n°1 (1991), pp. 11-14.
  4. Spatial associations, size –distance relationships and population structure of two dominant life forms in a semiarid enclave of the Venezuelan Andes. Daniel M. Larrea-Alcazar and Pascual J. Soriano. Plant Ecology (2006) 186:137 –149
  5. Comparative performance of the giant cardon cactus (Pachycereus pringlei) seedlings under two leguminous nurse plant species. H. Suzan-Azpiri, V.J. Sosa. Journal of Arid Environments 65 (2006) 351–362
  6. Facilitation of the non-native annual plant Mesembryanthemum crystallinum (Aizoaceae) by the endemic cactus Eulychina acida (Cactaceae) in the Atacama Desert. J. Madrigal-Gonzalez et al. Biol Invasions (2013) 15:1439–1447