Myocastor coypus

ragondin-habitpano

Le ragondin a été classé parmi les cent espèces animales invasives les plus problématiques vis-à-vis de l’environnement et des activités humaines agricoles. Nous avons vu dans la chronique sur les mœurs semi-aquatiques de ce gros rongeur qu’il avait effectivement un solide appétit. Afin de mieux évaluer son impact réel sur la végétation naturelle et la faune associée (ce qui fait l’objet d’une autre chronique), il faut au préalable mieux appréhender son régime et ses habitudes alimentaires selon les milieux ou les saisons. Nous commencerons par envisager d’abord ces aspects dans un de ses habitats d’origine, la pampa d’Argentine, avant de comparer avec la situation dans ses nouveaux habitats en Europe depuis son introduction.

Retour au pays

Plusieurs études du régime alimentaire du ragondin en Argentine soulignent sa très nette préférence envers les végétaux aquatiques ou semi-aquatiques. Rien de tel donc que de retourner dans son pays d’origine pour mieux comprendre les origines de ce choix affirmé pour la végétation aquatique.

Une étude a été menée dans la province de Buenos-Aires autour d’un étang en pleine pampa transformée pour l’élevage et en partie urbanisée (1). L’analyse des crottes très abondantes (voir la chronique sur les mœurs semi-aquatiques) précise mieux la composition du régime en évitant les biais d’observations. Sur les 45 espèces de plantes présentes dans l’environnement immédiat, seules 8 sont consommées et 80% du régime se compose de lentilles d’eau et de scirpe (Eleocharis bonariensis) (espèce d’ailleurs naturalisée le long des rivières du Sud-Ouest de la France et en expansion !); le reste concerne quelques graminées terrestres.

Une analyse de la composition chimique des végétaux consommés montre qu’ils ne contiennent pas plus d’azote (élément nutritif capital) que les plantes terrestres disponibles à proximité et très peu consommées : le choix alimentaire du ragondin n’est donc pas qualitatif. Alors, pourquoi cette préférence pour la végétation aquatique ?

L’hypothèse du compromis comportemental

Au cours de l’étude mentionnée ci-dessus, le suivi par observation directe des animaux montre que les ragondins se nourrissent le plus souvent en pleine eau (99,8% des observations !), notamment pour récolter les lentilles d’eau ; les rares fois où ils ont été observés hors de l’eau, ils se trouvaient à moins de 5m du bord. Dans une autre étude conduite elle aussi dans la pampa argentine sur trois sites différents (2), les auteurs ont constaté de même que le régime des ragondins était dominé par les plantes aquatiques (avec le scirpe comme plante-ressource principale) et qu’il comportait moins de 2% des six plantes cultivées en abondance à proximité immédiate des points d’eau. D’où l’hypothèse que les ragondins ne récoltaient pas ces plantes par peur de s’éloigner trop de l’eau, sachant que les berges étaient colonisées par une large bande de végétation semi-aquatique de cinq mètres de large au moins.

Pour tester cette hypothèse, les auteurs ont installé expérimentalement à deux distances différentes d’un point d’eau une culture de ray-grass d’Italie, plante fourragère très nutritive, et une parcelle colonisée par le scirpe de Buenos-Aires : les choix des ragondins placés dans ce contexte montre alors clairement qu’ils se déterminent avant tout par rapport à la proximité de la ressource au point d’eau qui sert de refuge en cas de danger (voir la chronique sur les mœurs semi-aquatiques). N’oublions pas que nous sommes dans le pays d’origine du ragondin avec son cortège de prédateurs naturels : entre se nourrir mieux (cultures) mais loin de l’eau et en situation d’être attaqué sans pouvoir se réfugier à l’abri et se nourrir de végétation aquatique mais avec la possibilité de s’échapper et se réfugier sous l’eau à la moindre alerte, le ragondin choisit la seconde solution !

Autrement dit, si on ne cultivait pas jusqu’au ras des canaux ou des points d’eau comme on le fait dans le cadre des cultures intensives (notamment le maïs) en France mais que l’on conserve une frange de quelques mètres de végétation aquatique, peut-être que les ragondins iraient bien moins souvent piller les cultures et y causer des dégâts ! A méditer et à tester, non ? En plus, ces bandes végétalisées protégeraient la qualité de l’eau en filtrant les écoulements d’eau chargée de pesticides par ruissellement.

Même si on aura noté que son habitat originel en Argentine était déjà largement modifié et dominé par les activités humaines agricoles notamment, ces données peuvent servir de base de comparaison avec ce qui se passe là où il a été introduit et où il s’est naturalisé comme en Europe. Nous allons parcourir trois exemples qui ne recouvrent pas pour autant toute la diversité des milieux occupés par cette espèce en Europe.

En Italie

Dans le centre de l’Italie (3), dans une zone humide côtière assez dégradée comportant des canaux et des mares, des roselières, des prés salés, des prairies à joncs et des prairies inondables, on constate que sur les 76 espèces de plantes présentes dans le milieu, seules 25 sont consommées ; la plupart d’entre elles ne sont consommées qu’à une saison donnée selon leur cycle de développement. Le régime est dominé par des « herbes » (monocotylédones) telles que le chiendent pied-de-poule, les joncs, la digitaire sanguine et surtout deux espèces consommées presque en toute saison : le roseau phragmite (feuilles, tiges ou rhizomes) et le scirpe maritime dont les ragondins déterrent les rhizomes porteurs de tubercules.

Il incorpore aussi un certain nombre de plantes terrestres variées telles que la betterave maritime, le pourpier potager, le laiteron âpre, la guimauve officinale, la picride fausse-épervière ou de manière intensive en automne une plante rudérale très abondante, la lampourde italienne. Ici, donc, le ragondin exploite autant le milieu aquatique que le milieu terrestre très proche et perturbé par les activités humaines (piétinement, cultures, dépôts de déchets, … )

Dans une autre zone humide du nord-ouest de l’Italie (4) avec une prédominance d’eau libre sous forme d’étangs, de canaux et de méandres et des forêts de saules, peupliers et robiniers sur les berges, le régime est basé sur les plantes aquatiques avec une prédominance (82%) des espèces submergées à feuilles flottantes telles que callitriches, élodées, myriophylles en épi ou lentilles d’eau, le reste étant occupé par des plantes plus ou moins émergées mais avec les pieds dans l’eau (roseau phragmite, iris jaune, cresson, grande glycérie, laîches, nénuphar jaune). Sur un total de 40 espèces présentes, 17 sont effectivement exploitées par les ragondins. Le roseau est consommé toute l’année.

Une donnée intéressante de cette seconde étude souligne le comportement alimentaire différent des jeunes et des adultes : les jeunes se nourrissent plus à terre (peut être parce qu’ils ne maîtrisent pas encore bien la nage) et consomment notamment le feuillage des jeunes robiniers faux-acacia ; leur choix est plus restreint puisqu’ils ne récoltent en moyenne qu’une dizaine d’espèces contre une vingtaine pour les adultes.

En France

Une étude a été menée dans le Marais Poitevin sur la côte atlantique dans un type de marais encore différent entièrement façonné par l’homme : un paysage nettement bocager, des canaux en réseau et partout des prairies et quelques cultures. Là, le régime est dominé par les graminées des prairies que l’on retrouve à 51% dans les analyses de crottes : le ragondin broute littéralement les berges herbeuses puisque les prairies viennent jusqu’au bord des canaux dont les berges ne portent pas ou peu de végétation aquatique émergée. Le reste du régime se compose de diverses plantes aquatiques et varie peu au cours de l’année sauf pour certaines ressources telles que les lentilles d’eau très consommées en fin d’été et en automne, à leur pic de développement. Par contre, contrairement à l’étude italienne ci-dessus, la consommation de robiniers présents dans le milieu n’a pas été constatée ! En hiver, lors des épisodes de gel ou d’inondations, les ragondins recherchent les racines et rhizomes qu’ils déterrent (iris, scirpes, roseaux, ..).

Au final, à travers ce panel (trop réduit sans doute) d’exemples, on voit que le ragondin reste avant tout attaché à la végétation aquatique, qu’il sélectionne dans celle-ci une partie assez limitée des espèces disponibles et qu’il est capable de s’adapter largement dans les milieux modifiés par les activités agricoles. On peut être un peu étonné de la proximité de son régime en Argentine avec l’Europe bien différente mais il faut se rappeler que la majorité des plantes aquatiques ont une répartition souvent mondiale et se retrouvent au plus sous forme d’espèces très proches sur de nombreux continents ; ceci s’explique par leur capacité de dispersion à grande échelle liée au milieu aquatique. Peut-être que la pression de prédation qui doit être moindre que son pays d’origine (voir l’hypothèse du compromis comportemental) lui permet d’exploiter des zones terrestres plus étendues de chaque côté de ses points d’eau refuges ?

BIBLIOGRAPHIE

  1. Foraging behaviour of coypus Myocastor coypus: why do coypus consume aquatic plants? M.L. Guichón *, V.B. Benítez, A. Abba, M. Borgnia, M.H. Cassini. Acta Oecologica 24 (2003) 241–246
  2. Diet of the Coypu (Nutria, Myocastor coypus) in Agro-Systems of Argentinean Pampas. Mariela Borgnia, Monica Liliana Galante and Marcelo Hernan Cassini. The Journal of Wildlife Management. Vol. 64, No. 2 (Apr., 2000), pp. 354-361
  3. DIET OF COYPU (Myocastor coypus) IN A MEDITERRANEAN COASTAL WETLAND: A POSSIBLE IMPACT ON THREATENED RUSHBEDS? F. marini, E. Gabrielli, l. Montaudo, M. Vecchi, R. Santoro, C. Battisti, G. M. Carpaneto. Vie et milieu – Life and Environment, 2013, 63 (2): 97-103
  4. Food habits of the coypu, Myocastor coypus, and its impact on aquatic vegetation in a freshwater habitat of NW Italy. Claudio PRIGIONI, Alessandro BALESTRIERI and Luigi REMONTI Folia Zool. – 54(3): 269–277 (2005).
  5. Feeding strategy of coypu (Myocastor coypus) in central western France. Abbas, A., 1991. J. Zool. 224, 385–401.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le ragondin
Page(s) : 257 Le guide de la nature en ville