Arctium

Chez les bardanes, ce sont les capitules tout entiers, pleins de fruits secs ou akènes à maturité, qui sont dispersés incidemment par les animaux en s’agrippant dans leur fourrure (ou leurs vêtements s’il s’agit d’humains) via des crochets au bout des bractées de l’involucre qui entourent le capitule. Une chronique est consacrée au rôle de ces structures et au folklore et utilisations indirectes qui en ont été faites, dont la conception du célèbre tissu appelé velcro.

Ces crochets des capitules et leur pouvoir agrippant intéressent donc le monde de l’industrie dans le but de les copier et d’adapter leur principe à des usages technologiques : c’est le biomimétisme. Cela suppose d’étudier de très près le fonctionnement de ces crochets et notamment de les suivre en pleine action : comment résistent-ils à une tentative d’arrachage après s‘être accrochés à un transporteur ?

Des crochets très profilés

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Crochets d’un capitule de bardane : on notera la base aplatie et l’axe porteur qui se rétrécit juste au niveau de la courbure.

Contrairement à d’autres structures accrocheuses comme les vrilles ou les crampons des plantes grimpantes qui évoluent au fur et à mesure de leur croissance en interaction avec leur support (voir par exemple la chronique sur le lierre), les crochets des capitules de bardanes ont une forme définitive dès leur formation ; ils ne serviront qu’une seule fois pour le transport du capitule.

Dans le cas des bardanes, les crochets correspondent aux extrémités de bractées, sortes de petites feuilles à la base des capitules, groupes de fleurs. Un peu aplaties à leur base, elles se prolongent par un axe dressé rigide qui se recourbe brusquement à son extrémité pour former un crochet jaunâtre. Il n’y a donc qu’un seul degré de liberté contrairement aux crochets souples rencontrés chez d’autres espèces. La pointe du crochet conserve un profil très aigu qui lui permet de rester capable de percer des surfaces fibreuses comme une aiguille : il s’accroche et perce en même temps, ce qui traduit son évolution probable à partir d’une structure de type épine.

Il n’y a pas de sécrétion associée (du genre substance adhésive) ce qui rend le dispositif efficace en toutes circonstances, indépendamment de la météo.

Un dessèchement indispensable

La dispersion n’a d’intérêt pour la plante qu’au stade de maturité complète, i.e. quand les fleurs se sont transformées en fruits secs ou akènes, les cibles de la dispersion. Auparavant, dans les capitules verts ou en fleur, les bractées ont déjà un pouvoir accrochant mais il est quasiment impossible de décrocher les capitules de leur pédoncule où ils sont solidement arrimés. Une fois la floraison terminée, toute la plante sèche sur pied ce qui, assez rapidement, entraîne le dessèchement des capitules qui virent au brun et se déshydratent fortement, devenant de ce fait encore plus accrocheurs et « teigneux ». Du coup, lors d’un accrochage avec un animal, les pédoncules désormais très cassants ne vont plus opposer de résistance ; souvent l’animal ou l’humain « victime » de l’accrochage ne se rend même pas compte de ce qui se passe.

A l’intérieur du capitule, des changements importants interviennent aussi : les corolles des fleurs fanées se désintègrent et tombent ce qui libèrent en grande partie les fruits secs ou akènes les uns des autres. Cette liberté de mouvement est capitale pour que une fois le capitule embarqué et en route, les akènes puissent se détacher facilement et tomber en cours de route ou à l’arrivée. Seule l’entrée un peu rétrécie du capitule freine leur capacité à s’échapper.

Résister

S’accrocher c’est bien mais il reste une seconde épreuve majeure pour être efficace en terme de chances de dispersion des fruits le plus loin possible : rester le plus longtemps possible sur le transporteur et résister aux tentatives d’arrachement de ce dernier pour aller encore plus loin. Les analyses en laboratoire (1) apportent un éclairage intéressant sur cette phase.

Bien que les capitules varient beaucoup en taille (de 14 à 26mm de diamètre dans cette étude sur la petite bardane, Arctium minus), la taille des crochets elle ne varie que très peu : environ 250 micromètres pour le « pas du crochet », l’écart entre la pointe recourbée et l’axe qui la porte (200 micromètres de diamètre). Des tests en laboratoire avec un dispositif qui tire sur des crochets détachés de leurs bractées montrent qu’ils résistent d’abord puis finissent par casser brutalement. La cassure a lieu là où les forces de cisaillement s’exercent le plus : au point où l’axe commence à se courber et à se rétrécir. Les fibres de l’intérieur du crochet subissent une tension maximale et finissent par lâcher ce qui entraîne la rupture en cascade des fibres externes alors en forte extension.

Observé au microscope électronique à balayage, le point de cassure montre des fibres qui dépassent ; elles correspondent aux fibrilles de cellulose, le matériau de base de la bractée, emballées dans une matrice de produits « durcissants » (lignine et hémicellulose). Cette nature fibreuse du crochet explique donc son comportement car ces fibres ont une résistance relativement faible aux forces de cisaillement induites au moment de l’arrachage.

Pas si velcro que cela !

On sait que les capitules de bardane ont suscité l’invention du velcro (voir l’épisode G. de Mestral dans l’autre chronique). Or, le velcro tel qu’il a été conçu se distingue par sa réversibilité permanente : les crochets ne cassent pas mais se déforment et glissent ; chez la bardane au moment du décrochement, c’est le tout ou rien : çà s’accroche ou çà casse à cause de la nature même des crochets. Or, dans notre environnement, il existe d’autres fruits dotés de crochets et qui sont transportés par des animaux selon le même principe et deux d’entre eux répondent bien mieux à l’analogie avec le velcro par leurs crochets que le modèle original, la bardane !

Le gaillet gratteron (Galium aparine) a des fruits secs doubles (akènes) recouverts directement de crochets transparents à base creuse et donc souple ; ainsi, le crochet dispose d’une grande liberté de mouvement lors d’un accrochage et d’une plus grande souplesse au moment de l’arrachement.

Mais le plus proche du velcro reste le fruit d’une plante forestière peu connue du grand public mais assez répandue dans les forêts humides : la circée de Paris (Circaea lutetiana). Bien que non apparentée au gaillet, elle possède des fruits secs de type capsule hérissés de crochets transparents d’aspect très proche mais non creux et qui présentent une grande souplesse au moment de l’arrachage : ils se déforment et « glissent » du support (un poil ou une fibre) en douceur.

On remarquera que pour ces deux espèces, les crochets n’ont pas du tout la même origine : ce ne sont pas des bractées transformées mais des expansions de la paroi des fruits eux-mêmes.

Donc, le « vrai » velcro naturel n’est pas la bardane qui a pourtant inspiré cette invention mais la circée, décidément une vraie «magicienne » !

BIBLIOGRAPHIE

  1. A biomimetic study of natural attachment mechanisms—Arctium minus part 1. B. E. Saunders Robotics and Biomimetics 2015, 2:4

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les bardanes
Page(s) : 208 Guide des plantes des villes et villages
Retrouvez la circée de Paris
Page(s) : 244 Guide des Fleurs des Fôrets
Retrouvez le gaillet gratteron
Page(s) : 102 Guide des plantes des villes et villages