Drosera sp.

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Rossolis à feuilles rondes sur son tapis de sphaignes ; noter l’inflorescence en cours d’émergence en forme de crosse.

Les droséras ou rossolis sont des plantes carnivores bien connues pour leurs feuilles couvertes de glandes pédonculées (comme des tentacules) qui secrètent un mucilage gluant : si un petit insecte vient à se poser sur une feuille, il se trouve rapidement englué et se débat ce qui provoque un recourbement des glandes et de la feuille porteuse qui enserre encore plus la proie (cet aspect fait l’objet d’une chronique spécifique : l’estomac à ciel ouvert!). La libération d’enzymes digestives par ces mêmes glandes décompose la chair de la victime et la liquéfie ; le liquide résultant est absorbé par la feuille. Une fois la digestion terminée, la feuille et les glandes reprennent leur position normale et il ne reste plus de la proie que son enveloppe dure ; le piège est de nouveau prêt à fonctionner. Cet apport nutritif conséquent complète l’alimentation de ces plantes chlorophylliennes par ailleurs mais ayant du mal à se nourrir dans leurs milieux de vie pauvres en ressources nutritives, les tourbières acides. Là, elles croissent le plus souvent sur les tapis bombés de sphaignes, ces mousses étoilées dont l’accumulation génère la tourbe.

 

Cette « carnivorie » soulève une question évidente : les droséras capturent-elles leurs proies au hasard ou disposent-elles d’un moyen de les attirer ou de les leurrer de manière à rendre encore plus efficace ce mode alimentaire ?

Le rouge fatal ?

Il se trouve que, sur le terrain, on observe rapidement chez elles (si on a l’œil averti car ces plantes ne sont pas faciles à voir dans leur environnement !) une tendance forte à présenter une certaine coloration rouge des feuilles et des glandes. Or, on retrouve cette coloration rouge chez d’autres plantes carnivores (mais qui fonctionnent avec des pièges différents) telles que les népenthès, les dionées ou les sarracénies. En plus, les deux premières sont assez proches parentes des droséras puisqu’elles font partie elles aussi de l’ordre des Caryophyllales.

Il a donc été avancé (mais sans véritable preuve jusqu’ici) deux hypothèses : la couleur rouge attire les insectes vers le piège collant ou bien elle camoufle le piège à la vue des insectes qui ne peuvent ainsi l’éviter.

Trois chercheurs anglais viennent de publier les résultats d’une étude (1) où ils ont mis ces deux hypothèses à l’épreuve des expérimentations.

Pièges au ban d’essai

Pour répondre à cette énigme, les chercheurs ont travaillé sur le terrain (in situ), dans une tourbière anglaise et leur étude a été conduite sur le rossolis à feuilles rondes, la plus « commune » des trois espèces de droséras que l’on trouve aussi en France.

Ils ont marqué 60 pieds de rossolis pour les suivre ; chacun a eu au départ ses feuilles nettoyées à la pince fine pour enlever tous les insectes capturés ou leurs restes (l’état « zéro ») ; à partir de photos des rosettes de feuilles, la surface et la couleur de chacune d’entre elles ont été quantifiées ainsi que la couleur du fond dans un rayon de 5cm2 autour de la plante. Au bout de 7 jours, ils relèvent minutieusement toutes les proies qui sont identifiées et mesurées. On recommence ainsi deux autres semaines de suite.

Parallèlement, ils mettent en place des pièges artificiels imitant des droséras : des figures en papier photo de la taille des feuilles de droséras et colorés en rouge ou en vert et enduits d’un produit adhésif ; ils installent aussi comme témoins des pièges translucides collants. Tous ces pièges sont disposés dans la tourbière sur des fonds artificiels (taille feuille A4) verts ou rouges. Ils relèvent là aussi ces pièges artificiels toutes les semaines 3 fois de suite.

La réponse est : No !

Premier résultat intéressant : les pièges artificiels se montrent aussi efficaces les pièges « naturels » (les feuilles des droséras) avec 103 à 139 proies/semaine pour les premiers et 121/ par semaine pour les seconds. Dans tous les pièges, les proies les plus capturées sont des diptères (moucherons, mouches, …) (57 à 84% du total), puis des hyménoptères (petites guêpes ou abeilles) et des collemboles.

Fort de cette validation, on peut maintenant exploiter les résultats statistiques obtenus. Pour les pièges artificiels, les vert clair se montrent plus efficaces que les rouges ; la couleur du fond influe aussi significativement : les pièges rouges sur fond rouge engluent moins de proies.

Pour les droséras elles-mêmes, on constate une corrélation entre la couleur des feuilles et leur taille alors que plus il y a de feuilles et moins elles sont grandes. Pour les plantes qui ont capturé des proies, celles avec moins de feuilles mais plus grandes ont attrapé plus de proies. Mais pour ces mêmes plantes, les plus visibles de loin (rouges) s’avèrent les moins efficaces !

Donc, tout semble indiquer que la couleur rouge n’apporte ni attraction ni camouflage avantageux pour la capture des proies chez les droséras (et sans doute pour les autres plantes carnivores déjà citées) : au contraire, le rouge semble même éloigner les proies.

Mais pourquoi ?

Les proies prédominantes sont des diptères ; or, chez ces derniers, il n’existe pas dans leur vision de photorécepteurs à la lumière rouge ! C’est d’ailleurs cette contradiction flagrante qui avait conduit les chercheurs à conduire cette étude. L’attraction moindre des pièges artificiels rouges sur fond rouge, vu leur taille, relève donc plutôt d’une répulsion envers le rouge.

Par ailleurs, il apparaît que pour les droséras, avoir moins de feuilles par pied mais plus grandes soit plus efficace même si avoir beaucoup de feuilles augmente mathématiquement la probabilité de capture. Un autre point doit être pris en compte : les pièges artificiels ne mesurent que l’attraction alors que la présence de proies sur les vraies feuilles résulte de deux processus successifs mais différents : l’attraction ET la capture elle-même qui influe tout autant que la première au niveau des résultats ; les pièges artificiels ont été conçus pour capturer toujours à « 100% » alors que les feuilles ne réussissent pas toujours à capturer au final l’insecte qui peut finir par s’échapper.

Il faut en plus noter un autre point : le fond rouge retenu pour tester les pièges artificiels n’a pas été choisi au hasard car, notamment en fin d’été, les bombements de sphaignes élus par les droséras prennent souvent une teinte rougeâtre (du plus bel effet d’ailleurs). Autrement dit, au vu des résultats, plus la tourbière « rougit », moins le rouge des droséras a des chances d’agir !

Les chercheurs soulignent aussi qu’ils n’ont pas exploré la réflectance des ultra-violets par les différentes surfaces colorées ; or, les mêmes diptères possèdent cette fois des récepteurs U-V ; une autre piste à explorer donc !

Reste une dernière question non abordée dans la publication : cette coloration rouge récurrente doit bien avoir un autre rôle? Je propose une hypothèse qui n’engage que moi : la protection contre l’ensoleillement excessif pour ces plantes qui vivent dans des milieux très ouverts en altitude ? Si vous avez d’autres pistes ou idées, je serais preneur … pour éventuellement alimenter une autre chronique.

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BIBLIOGRAPHIE

  1. Red trap colour of the carnivorous plant Drosera rotundifolia does not serve a prey attraction or camouflage function. Biol. Lett. 10: 20131024. Foot G, Rice SP, Millett J. 2014.