Himantopus himantopus

La latéralisation cérébrale, i.e. la prédominance de l’utilisation d’un des deux hémisphères dans un type de tâche donnée, semble assez répandue chez les vertébrés, notamment par rapport à la vue. Pendant longtemps, on a cru que le fait d’utiliser plutôt l’œil gauche par exemple, notamment chez les espèces aux yeux placés très latéralement (et donc l’hémisphère droit) pour rechercher de la nourriture relevait d’un biais lié aux études menées en laboratoire en conditions très artificielles.
Une équipe de chercheurs italiens (1) a étudié en milieu naturel des échasses pour savoir si cette latéralisation existait bien au niveau d’une population par rapport à deux types de comportement : la recherche alimentaire et la parade nuptiale et l’accouplement. Ils ont filmé les oiseaux dans leur milieu naturel et ont ensuite décortiqué minutieusement les séquences comportementales pour déterminer quel champ visuel binoculaire (droit ou gauche) était préférentiellement ou non utilisé pour telle ou telle action.
Les résultats statistiques obtenus concernent la population étudiée dans son ensemble et pas les individus pris séparément.

Coup d’œil à droite pour picorer les proies !

Chez les échasses, la détection des proies ne se fait qu’à vue : les petites proies sont repérées soit dans la colonne d’eau ou sur la vase puis picorées d’un coup de bec. L’oiseau scrute la surface du sol ou de l’eau tout en avançant en agitant la tête de droite et de gauche, sans orientation préférentielle. Par contre, dès qu’il repère une proie potentielle, il oriente sa tête vers celle-ci et frappe d’un coup de bec en se servant du champ visuel préalablement sollicité.
L’analyse des vidéos d’échasses en train de se nourrir montre que les attaques de proies se font significativement plus souvent après un repérage avec l’œil droit (entre 65 et 70% des cas observés) ; le succès des coups de bec (capture effective de la proie visée) est plus élevé si l’oiseau utilise le côté droit pour viser.

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Echasse en train de se nourrir dans un ancien marais salant de Vendée.

Coup d’œil à gauche pour s’accoupler !

Pendant la parade nuptiale, la femelle adopte une posture de sollicitation d’accouplement en baissant la tête et en plaçant son bec à l’horizontale ; le mâle, lui, circule à grands pas d’un côté et de l’autre en alternant deux types de comportements : le bec trempé et secoué dans l’eau ou le lissage des plumes de la poitrine et des ailes. Les résultats de l’analyse des vidéos de comportements nuptiaux indiquent que le comportement de « bec secoué » est significativement plus fréquent quand le mâle regarde la femelle avec l’œil gauche ; par contre, pour le comportement de lissage des plumes, il ne semble pas y avoir de prédominance.
Le biais latéral le plus significatif concerne le moment de l’accouplement : la plupart des tentatives d’accouplement ont lieu après une approche du mâle regardant la femelle avec l’œil gauche ; le temps passé à s’accoupler est significativement plus élevé quand l’approche a eu lieu ainsi. Cette orientation surprenante nous rappelle que chez la plupart des oiseaux, il existe une asymétrie de l’appareil reproducteur des femelles avec l’ovaire et l’oviducte gauches seuls fonctionnels. On aurait donc ou s’attendre à ce que les mâles aient plus de contacts au niveau du cloaque du côté gauche mais c’est donc l’inverse qui est observé vu qu’ils regardent la femelle plutôt du côté gauche. Existe t’il un lien entre cette relative spécialisation latérale et un transfert facilité du sperme dans l’oviducte fonctionnel et de quelle manière ?

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Colonie d’échasses blanches dans des marais salants de Vendée ; la quantité +/- grande de noir sur la tête ne permet pas de différencier les deux sexes.

Quel intérêt à une latéralisation cérébrale ?

On retrouve cette tendance visuelle chez de nombreux vertébrés : le champ droit domine dans les comportements alimentaires alors que le champ gauche est sollicité pour les comportements sociaux et relationnels.
Une spécialisation pendant la recherche de nourriture peut sembler désavantageuse car les attaques de prédateurs risquent d’être plus efficaces selon le côté où a lieu l’attaque. Il doit donc y avoir une compensation avantageuse à une latéralisation : le repérage de nourriture serait plus efficace avec cette spécialisation.
Il ne semble pas qu’il y ait un déterminisme génétique derrière cette orientation à l’échelle d’une population ; peut-être que les comportements interindividuels qui nécessitent une forte coordination (parades ou accouplements par exemple) ont imposé une latéralisation sur le côté gauche et que cela a entrainé secondairement un report sur le côté droit pour le repérage et la capture de la nourriture.

En tout cas, désormais, c’est sûr, vous ne suivrez plus avec le même regard les déambulations des échasses en train de se nourrir dans les marais salants !

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Echasse en vol avec ses longues pattes rouges à « la traîne » derrière !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Laterality in the wild: preferential hemifield use during predatory and sexual behaviour in the black-winged stilt. N. VENTOLIN, E. A. FERRERO, S. SPONZA, A. DELLA CHIESA, P. ZUCCA & G. VALLORTIGARA. ANIMAL BEHAVIOUR, 2005, 69, 1077–1084

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez l'échasse blanche
Page(s) : 115 Le Guide Des Oiseaux De France