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Tournepierres en plumage hivernal recherchant leur nourriture à marée montante juste devant les vagues. Vendée

Le tournepierre à collier fait partie de ce que l’on appelle de manière informelle les limicoles, des oiseaux qui recherchent leur nourriture dans la vase ou le sable : ils fréquentent (surtout en hiver et lors des migrations) les zones humides où ils trouvent vasières, plages ou marais pour se nourrir (voir la chronique consacrée à cet aspect).

Il niche dans les toundras et marais de l’Arctique et passe l’hiver sur les côtes d’Eurasie et d’Amérique où il se nourrit de petits animaux et de débris surtout dans la zone de balancement des marées et sur les côtes rocheuses.

Un risque élevé de prédation

Le fait de fréquenter des milieux très ouverts en hiver le rend très sensible à la prédation par certains rapaces. Une des réponses globales à ce problème que l’on retrouve justement chez de nombreux autres limicoles, consiste à se nourrir et à se reposer (notamment à marée haute quand les zones de nourrissage ne sont plus accessibles) en groupes de quelques dizaines, voire plus d’une centaine d’oiseaux : la vigilance collective partagée permet de surveiller tout en laissant plus de temps pour se nourrir, un élément capital pour la survie hivernale et la préparation au printemps du long voyage de retour vers l’Arctique.Ils s’associent souvent par ailleurs à d’autres limicoles en groupes mixtes comme les bécasseaux violets ou les bécasseaux sanderlings (voir photo dans le dernier paragraphe et la chronique consacrée à cette dernière espèce).

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Troupe de tourne-pierres à marée haute, se reposant sur l’estran. Vendée.

En tête des rapaces prédateurs du tournepierre en Europe figure l’épervier ; ainsi dans le sud-est de l’Ecosse, il a été montré que ce dernier était leur principale cause de mortalité hivernale. Face à ses attaques en rase mottes (en profitant notamment de l’écran des dunes pour surgir sur la plage), les tournepierres doivent s’envoler très vite et se disperser en tous sens car l’épervier capture près du sol. Le faucon pèlerin représente un autre prédateur important mais lui agit en plein vol et face à son attaque, la tactique adoptée par les tournepierres consiste à se figer ou s’accroupir au sol.

Des chercheurs hollandais ont voulu tester l’impact de cette pression de prédation élevée et permanente (en hiver, des éperviers venus d’Europe du nord s’ajoutent aux éperviers locaux) sur le comportement et le fonctionnement interne de ces oiseaux.

Une étude en volière

En automne, sur les vasières de la mer des Wadden, ils ont capturé trente tournepierres partagés en deux groupes de 15 qu’ils vont habituer à la captivité pendant tout l’hiver avant de mener les expériences au printemps et de les relâcher en juin pour qu’ils rejoignent leurs sites de reproduction. Les tests sont menés dans une volière de 60 m2 sur 3m de haut où une vasière a été reconstituée avec une zone pour se reposer ; le régime jour/nuit et des marées est reconstitué fidèlement et la nourriture fournie à volonté.

Pour simuler le stress engendré par une attaque, ils font défiler lors des tests (qui durent plusieurs jours de suite), une fois par jour à une heure différente à chaque fois, soit une maquette représentant un épervier en vol qui glisse le long d’un des murs de la volière ou bien une maquette de mouette rieuse, oiseau « neutre » qui ne s’attaque jamais à des tournepierres. Le protocole très élaboré alterne selon les essais la présentation d’abord du rapace plusieurs jours de suite puis la mouette dans un second temps et vice versa avec un groupe témoin.

Un comportement différencié

Contrairement à ce qui se passe dans la nature où, face à l’approche d’un épervier, les tournepierres s’envolent, ici ils se figent ou s’aplatissent un peu au sol du fait de l’espace restreint de la volière qu’ils ont appris à appréhender pendant la période d’acclimatation.

Les tournepierres sont capables de différencier l’approche d’un prédateur de celle d’un oiseau de même taille non dangereux tel que la mouette rieuse comme le montrent les intervalles de réaction après une simulation : le temps entre la présentation d’une maquette et la reprise des activités s’élève à plus de 7 minutes en moyenne face à un épervier alors que face à une mouette il passe à 2minutes. Ces résultats montrent que même face à un oiseau neutre, dans un contexte sûr (la volière fermée), il y a quand même un stress minimal engendré avec une perception de risque.

Mais les résultats les plus surprenants concernent le fonctionnement interne des oiseaux (physiologie) ; pour l’évaluer, les chercheurs ont régulièrement pesé les tournepierres et mesuré à l’aide d’ultrasons l’épaisseur des muscles pectoraux. Ces muscles très développés localisés autour du bréchet de la cage thoracique (c’est le « blanc » du poulet) assurent l’essentiel du travail musculaire considérable nécessaire pour assurer le vol et une fuite rapide. On sait par ailleurs que chez d’autres limicoles, les individus qui possèdent des muscles pectoraux plus développés ont plus de capacités de manœuvrer en vol, capacité essentielle pour échapper à un rapace en chasse !

Les tournepierres « gonflent » leurs pectoraux

Dans les essais où l’épervier était présenté en premier pendant 3 à 7 jours, on observe une augmentation de l’épaisseur des pectoraux de 3,8% ; ces mêmes oiseaux soumis ensuite à la présentation journalière d’une mouette voient leur masse pectorale diminuer de 7,2%. Dans le scénario expérimental inverse, la masse pectorale augmente avec la présentation d’une mouette (rappelons que même la vue de la mouette les fait réagir) puis augmente de nouveau quand on passe au « régime épervier » ! On voit donc bien qu’il y a là une réponse physiologique majeure différenciée induite par un comportement, la perception du risque.

La masse totale du corps augmente en même temps que celle des pectoraux mais ces derniers le font deux fois plus : il y a un découplage entre les deux ce qui signifie que les ressources énergétiques subissent une répartition stratégique orientée prioritairement vers les pectoraux. En s’appuyant sur des données théoriques par rapport à l’aérodynamisme, on montre enfin que la masse pectorale augmente ici plus qu’elle ne le « devrait » ce qui signifie que l’exposition au risque épervier booste cette évolution.

Voici donc un exemple rare (et très élégamment étudié !) où on a pu démontrer qu’un changement de comportement adaptatif pouvait agir sur des processus physiologiques tels que l’évolution rapide et temporaire de la masse musculaire. On connaissait jusqu’ici surtout des exemples de modifications physiologiques du tube digestif en lien avec des changements de comportements alimentaires.

Gérard GUILLOT ; zoom-nature.fr

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Troupe de tournepierres (associés à des bécasseaux sanderlings) au repos dans l’attitude typique sur une patte.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Sparrowhawks Accipiter nisus affect the spacing behaviour of wintering turnstone Arenaria interpres and Redshank Tringa totanus. D. Philip Whitfield. Ibis. Volume 130, Issue 2, pages 284–287, April 1988
  2. Ruddy turnstones Arenaria interpres rapidly build pectoral muscle after raptor scares. Piet J. van den Hout, Theunis Piersma, Anne Dekinga, Suzanne K. Lubbe and G. Henk Visser. JOURNAL OF AVIAN BIOLOGY 37: 425-430, 2006

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le tourne-pierre à collier
Page(s) : 140 Le Guide Des Oiseaux De France