Acer

Le genre Acer, les érables en langage populaire, regroupe environ 115 espèces d’arbres et arbustes (famille des Sapindacées) répandues dans les régions tempérées et froides de l’Hémisphère nord. Outre les quatre espèces indigènes, on peut facilement observer une dizaine d’espèces asiatiques ou américaines très plantées comme ornementales, notamment au cœur des villes et dont certaines sont en cours de naturalisation ou déjà naturalisées comme l’érable négondo. Les érables sont donc un sujet de choix pour des observations rapprochées et des manipulations directes.

NB : Cette chronique est écrite sur le mode « Leçon de botanique » et conçue en partenariat avec le site prépas-svt (ressources/culture naturaliste) ; elle aborde le vocabulaire et les notions de botanique en lien avec la ou les espèces traitées ; les mots en gras dans le texte correspondent au vocabulaire botanique spécifique associé.

Feuilles

La nervation des érables est typiquement palmée ou palmatinerve (par opposition à penné, i.e. en « arêtes de poisson »). Les nervures principales secondaires divergent à partir du sommet du pétiole à la manière des doigts d’une main ouverte à partir de la paume. Le plus souvent, il s’agit de feuilles simples plus ou moins découpées en lobes axés sur ces nervures : si les lobes n’atteignent pas le milieu du limbe, on parle de feuille palmatilobée ; s’il atteignent le milieu, on parle de feuille palmatifide et s’ils dépassent le milieu du limbe, de feuille palmatiséquée. Plus rarement, on a des feuilles composées dont les folioles qui divergent à partir du sommet du pétiole : selon le nombre de folioles, on parle de bifoliolées, trifoliolées, …

 

Par ailleurs, les feuilles des érables sont opposées et n’ont pas de stipules. La majorité d’entre eux ont un feuillage caduc ; quelques espèces des milieux méditerranéennes possèdent un feuillage persistant ou sempervirent.

Feuillage d’automne

Erable plane tout jaune en automne

En automne, de nombreuses espèces d’érables feuillus arborent des couleurs de sénescence avant la chute des feuilles très attractives : beaucoup prennent une teinte jaune doré. Celle-ci résulte de la dégradation progressive de la chlorophylle verte qui masquait auparavant la présence de caroténoïdes jaunes. 95% de la chlorophylle est détruite tandis que seulement 40 à 50% des caroténoïdes le sont et persistent jusqu’à la chute finale décalée. Comme la lumière pénètre plus en profondeur et peut occasionner des dégâts, les caroténoïdes protégeraient alors les tissus notamment contre les effets délétères des radiations bleues qui ne sont plus interceptées par la chlorophylle.

Chez d’autres espèces, les feuilles d’automne prennent des teintes rouges notamment chez l’érable à sucre (voir les couleurs de l’été indien !) : elles accumulent dans les vacuoles de leurs cellules de fortes concentrations d’anthocyanines, pigments hydrosolubles dérivés de précurseurs flavonoïdes qui jouent un rôle protecteur notamment envers les insectes herbivores et les radiations UV-B. Ces feuilles rouges ont de plus un processus d’abscission des feuilles à la base du pétiole moins prononcé qui leur permet de durer plus longtemps et de poursuivre la synthèse de sucres.

Fleurs

Les fleurs des érables sont jaunâtre ou verdâtres et régulières ou actinomorphes : cinq sépales et cinq pétales. Par contre, sauf exception, elles n’ont que huit étamines ce qui les rend un peu asymétriques : ce nombre résulte de la perte de deux étamines sur les dix originelles. Les filets de ces étamines sont typiquement papilleux. Un grand nectaire en forme d’anneau formant une plate forme autour des étamines indique un mode de pollinisation entomophile.

Cependant chez quelques espèces, une évolution secondaire vers l’anémophilie a eu lieu comme chez l’érable négondo (en plus dioïque !) : les fleurs mâles ont de longues étamines retombantes et se trouvent au bout de longs pédoncules qui les éloignent des branches ; les fleurs femelles ont des pétales nuls et, comme les mâles, elles s’épanouissent avant la sortie du feuillage.

L’ovaire unique est formé de deux loges (donc deux carpelles soudés) et possède deux styles ou un seul style bifide.

Systèmes sexuels

Au sein des érables, on constate une diversité extraordinairement complexe des systèmes de reproduction que l’on peut classer en cinq grands types :

monoécie : fleurs mâles (staminées) et femelles (pistillées) séparées sur les mêmes individus et avec une floraison séquentielle décalée (d’abord les mâles puis les femelles) (Ex : érable nippon)

androdioécie : des individus uniquement mâles (peu nombreux) et des individus bisexués mais avec des formes protandres (mâles d’abord puis femelles) et d’autres protogynes (l’inverse) (Ex : érable champêtre ; érable plane ; érable palmé)

trioécie : des individus mâles (plus nombreux) et des femelles (en nombre variable) et des individus bisexués soit protandres soit protogynes (Ex : érable argenté)

– sub-dioïques : surtout des individus unisexués (mâles ou femelles) et de rares individus bisexués à floraison décalée (d’abord mâle puis femelle) (Ex : érable de Pennsylvanie)

dioécie complète : que des individus mâles ou femelles unisexués. (Ex : érable négondo et érable à feuilles de charme).

Toutes ces variantes se rejoignent en fait dans une même tendance : devenir fonctionnellement unisexué. Cette évolution résulterait d’une pression sélective vers la spécialisation sexuelle : par exemple, les sexes peuvent avoir une répartition différenciée dans les milieux comme chez l’érable négondo. L’évitement de la consanguinité lié à l’autopollinisation est déjà acquis en grande partie via le décalage temporel des floraisons mâles et femelles (dichogamie)

L’évolution vers la dioécie (sexes entièrement séparées) s’est faite selon à trois reprises selon des voies indépendantes. Alors qu’en général, l’androdioécie évolue à partir de la dioécie, chez les érables on observe au moins un cas avec la situation inverse.

Disamares

Disamares d’érable plane ; les deux fruits élémentaires sont unis par leurs bases, face à face ; la graine se trouve dans la coque (aplatie ici) vers la ligne de rencontre

Dès que la fleur est fécondée, l’ovaire se transforme de manière radicale : on voit apparaître deux excroissances allongées qui vont s’accroître considérablement. En même temps, les deux carpelles de l’ovaire jusqu’alors soudés, se séparent en deux fruits élémentaires restant temporairement accolés : on parle de schizocarpe double*. Chaque loge développe une aile large et membraneuse parcourue de nervures arquées marquées et donne une samare. Une samare est un fruit simple sec indéhiscent (qui ne s’ouvre pas à maturité) et caractérisé par sa forme aplatie autour d’une ou plusieurs graines ce qui donne une aile sur le bord, plus longue que la portion du fruit contenant la graine. C’est la paroi du fruit qui génère cette aile : il s’agit donc d’un vrai fruit au sens botanique.

La paire de samares jumelées forme un V plus ou moins ouvert selon les espèces qui peut servir de critère d’identification. La graine unique et assez grosse mais aplatie (5 à 10mm) dans chaque samare se trouve enfermée dans une coque dure bossue qui ne s’ouvre pas (indéhiscente). Ces doubles fruits pendent souvent en grappes fournies sur des pédoncules plus ou moins longs et ramifiés. A maturité, en automne et en hiver, les deux samares se séparent mais restent encore accrochées chacune par un filament, un carpophore, et pendent avant de se décrocher à l’occasion d’un coup de vent. Ce sont donc bien les samares individuelles qui servent d’unités de dispersion et non pas les fruits doubles originels.

*On retrouve des schizocarpes doubles chez les Apiacées où le fruit est un diakène.

Anémochorie

Tapis de samares d’érable plane tombées au sol ; ces arbres sont très prolifiques ; avec ce mode de dispersion, il y a beaucoup « d’échecs » !

Les samares simples des érables ont fait l’objet de nombreuses études quant à leur aérodynamisme. La samare en chute décrit une trajectoire descendante selon une hélice étroite en tire-bouchon tout en tournant sur elle-même dans une position à demi-penchée, la graine en bas et l’aile inclinée vers le haut, sur le côté ; la pointe de l’aile décrit ainsi à chaque tour sur elle-même un cône largement ouvert par rapport à l’axe vertical selon un angle d’environ 80°. L’axe de l’hélice se situe autour du centre de gravité de la samare, là où se trouve la graine. Les spécialistes de l’aéronautique comparent un tel dispositif à un autogire, sorte d’aéronef de petite taille qui a une hélice horizontale au-dessus qui assure le maintien dans l’air mais ne le fait pas avancer ; la propulsion est assurée par une hélice à l’avant, sur le nez de l’appareil. Le rotor en plein vol tourne sur lui-même, moteur coupé, à la manière de l’aile de la samare. ( voir la chronique consacrée à cet aspect des samares d’érables).

Cette rotation résulte du centre de gravité très décentré de la samare avec la graine tout au bout. Si on enlève une partie de la graine dans sa loge, la trajectoire se maintient ; par contre, si on l’enlève complètement, la samare chute de manière erratique. C’est donc bien la répartition dissymétrique de la masse qui génère cette giration. Ensuite, un subtil couplage s’installe entre la torsion aérodynamique engendrée et la rigidité de la structure ce qui positionne de manière très précise la samare dans l’espace au cours de sa giration. Le bord d’attaque renforcé génère des tourbillons d’air au-dessus de lui, des vortex, qui ralentissent encore plus la chute tourbillonnante.

Au final, cette giration ne fait pas avancer le fruit mais le ralentit fortement lors de sa chute et laisse ainsi le temps et la possibilité qu’un coup de vent latéral n’écarte le fruit de sa trajectoire descendante verticale. Ainsi ces fruits peuvent être déplacés latéralement de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de mètres, voire des kilomètres de leur arbre-mère. Cette anémochorie permet à nombre d’érables de se comporter écologiquement comme des espèces pionnières de milieux ouverts par des perturbations humaines ou climatiques.

Ces mêmes samares peuvent aussi flotter sur l’eau du fait de leur légèreté et de leur surface aplatie : pour les espèces vivant près des cours d’eau, ce mode de dispersion « au fil de l’eau » (hydrochorie) peut devenir prédominant. (voir aussi la chronique sur un exemple proche des érables, l’ailante)

Espèces

Brève présentation des six principales espèces communément observables dans notre environnement.

Erable négondo (A. negundo) : Petit arbre d’origine nord-américaine ; très utilisé comme arbre d’ornement ; largement naturalisé et devenu invasif dans les forêts galeries le long des cours d’eau. Feuilles composées pennées (et non palmées : exception !). Rameaux lisses avec un revêtement bleuâtre (pruine). Samares petites très repliées et persistant longtemps (voir les fleurs ci-dessus).

Erable argenté (A. saccharinum) : Origine nord-américaine ; très planté en ville. Feuilles simples très découpées à face inférieure argentée très blanche. Samares écartées à angle droit, souvent très inégales et à ailes très larges

Erable sycomore (A. pseudoplatanus) : Arbre indigène très commun et très planté en ville. Feuilles à 5 lobes peu profonds inégalement dentés ; vert foncé dessus, claires dessous. Samares en accent circonflexe assez grandes ; coques des graines très renflées

Erable plane (A. platanoides) : Arbre indigène très commun et très planté en ville. Feuilles vert clair à 5 à 7 lobes très aigus avec un long pétiole. Samares très écartées en V ouvert ; coques des graines très aplaties

Erable champêtre (A. campestre) : Arbre indigène typique des bocages. Feuilles assez petites à lobes arrondis. Samares écartées à l’horizontale

Erable de Montpellier (A. monspessulanus) : Arbre indigène du Midi et des zones rocheuses encaissées. Feuilles petites à 3 lobes arrondis. Samares petites très repliées ; coques très renflées

BIBLIOGRAPHIE

  1. Factors influencing red expression in autumn foliage of sugar maple trees. P. G. SCHABERG et al. Tree Physiology 23, 325–333. 2003
  2. Repeated evolution of dioecy from androdioecy in Acer. Gabriela Gleiser and Miguel Verdú. New Phytologist (2005) 165: 633–640
  3. FLORE FORESTIERE FRANCAISE J.C. Rameau et al. Ed. IDF

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les érables et leurs fruits
Page(s) : 122-133 Guide des fruits sauvages : Fruits secs