Opiliones

 

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Un opilion méridional en expansion : Dicranopalpus ramosus. Comme la majorité des espèces, il n’a pas de véritable nom commun !

Interrogez les gens autour de vous : « les faucheux, c’est quoi comme bêtes ? » et vous aurez immanquablement deux types de réponses : des araignées ou bien des arachnides. Seule la seconde est bonne sauf que la majorité des gens qui utilisent ce nom le confondent et le réduisent aux seules araignées, sans doute du fait de la consonance très proche. Voyons ce qu’il en est vraiment et tentons de remettre les Opilions, le nom scientifique des Faucheux, à leur vraie place.

Des Chélicérates

Replaçons d’abord ce groupe des Opilions dans la grande classification du vivant. Nous sommes clairement au sein des arthropodes, les animaux à pattes articulées et à peau durcie servant de squelette externe (exosquelette). Au cours de l’évolution, deux grandes branches se sont très tôt séparées :

– les Mandibulates ou antennates qui possèdent des mandibules, appendices durcis servant à s’alimenter et des antennes, organes sensoriels ; ce groupe s’est diversifié en Myriapodes (« mille-pattes »), Crustacés au sens large et Insectes ; on voit d’emblée que araignées et opilions ne sont pas dans cette branche car ils n’ont aucun de ces deux organes signatures

– les Chélicériformes qui possèdent un corps divisé en deux parties, 4 paires de pattes locomotrices, des pédipalpes ou pattes-mâchoires, appendices près de la bouche et une paire de chélicères près de la bouche ; araignées et opilions se situent clairement dans cette branche.

Les Chélicériformes comptent dans leurs rangs des êtres marins très étranges, les Pycnogonides, nettement à part et un groupe dit des Chélicérates avec les Limules marines dotées de branchies et d’un prolongement dur et pointu et les fameux Arachnides.

Des Arachnides

Les caractères partagés qui fondent cette classe des arachnides sont très limités et généraux : ils respirent par des trachées et/ou des poumons (ce sont des animaux terrestres ou au plus secondairement aquatiques) et la seconde partie du corps (l’opisthosome) n’a pas d’appendices ou alors très réduits et modifiés (comme les peignes des scorpions ou les filières à soie des araignées).

Derrière ces caractères qui les unissent dans cette classe, se cache en fait une extrême diversité avec pas moins de onze groupes ou ordres, certains très ou assez connus comme les Araignées, les Scorpions, les Tiques et Acariens, les Pseudoscorpions (faune du sol) et d’autres souvent très étranges qui ne nous sont guère familiers car essentiellement exotiques tels que Uropyges, Amblipyges, Schizomides, Solifuges et Palpigrades ! Une vraie liste à la Prévert qui souligne la grande variété au sein de ce groupe que l’on a un peu maladroitement ( ?) nommé ainsi en prenant comme racine le terme arachne, qui signifie …araignée ! Ce terme induit donc cette confusion qui consiste à réduire tous les arachnides au rang d’araignées !

De lointains parents

La classification de ces onze groupes au sein des arachnides reste encore problématique quant à leur position relative les uns par rapport aux autres, autrement dit leur timing de différenciation à partir d’un ancêtre commun au cours de l’évolution. Néanmoins, toutes les classifications placent nettement les Opilions loin des Araignées ; les Opilions sont bien plus proches parents des Scorpions et des Acariens et tiques (pour ne retenir que les groupes qui « parlent » au novice) qu’ils ne le sont des Araignées.

Une des raisons qui rend difficile la « lecture » de l’histoire des arachnides, c’est leur ancienneté : ils forment l’un des groupes d’arthropodes les plus anciens qui remonte sans doute avant le Cambrien, entre -540 et – 530 millions d’années !! Et les Opilions se sont visiblement différenciés très tôt au cours de cette histoire puisqu’on connaît au moins un fossile très bien conservé qui remonte au Dévonien (entre – 418 et – 359 Ma) et qui présente déjà l’aspect des opilions actuels avec notamment les organes sexuels typiques dont le pénis du mâle et l’ovipositeur de la femelle (voir ci-dessous). Ceci signifie donc que leur origine doit se situer bien en amont dans le temps. En tout cas, en dépit de son âge vénérable, ce groupe est resté florissant puisqu’il compte actuellement plus de 6500 espèces (6584 en 2013) connues, soit sans doute plus de 10 000 en réalité. Sur les onze groupes des arachnides, il vient en troisième position en nombre d’espèces avec une belle diversité en milieu tropical et plus de 100 espèces en Europe du nord-ouest.

Voyons donc maintenant, pour achever de convaincre les récalcitrants, tout ce qui sépare les Opilions des Araignées (aussi bien en anatomie qu’en comportements et biologie).

Elles ont et ils n’ont pas ….

Commençons par dresser la liste des attributs propres aux araignées et que l’on ne retrouve pas chez les Opilions. L’ « abdomen » (opithosome) des Opilions n’est pas séparé de l’avant (le prosome) par un resserrement, une constriction et en plus il est nettement découpé en dix segments alors que celui des araignées est d’un seul bloc. De ce fait, leur corps paraît d’une seule pièce, rond à ovale et tout petit.

Ils n’ont pas de filières au bout de l’abdomen et ne fabriquent donc pas de soie et de toiles ou de fils. Ils n’ont pas 8 ou 6 yeux répartis sur le devant mais seulement deux yeux très sombres (ce qui leur donne un regard « noir »). Ils n’ont pas de poumons comme les araignées et respirent par des tubes ou tachées (à la manière des insectes).

Ils ont bien des chélicères mais celles-ci sont très différentes, formés de trois articles dont les deux derniers organisés en une sorte de pince et surtout, il n’y a jamais de glande à venin associée et débouchant au bout d’un crochet par un canal. Donc, qu’on se le dise une bonne fois pour toutes, les Opilions ne mordent pas, eux ! De ce fait, ils mâchent leur nourriture et n’ont pas le système de liquéfaction de la nourriture et d’estomac aspirant avec filtration, propre aux araignées.

Ils s’accouplent directement et non pas indirectement comme les araignées chez qui le mâle prélève un paquet de sperme sur son orifice génital avant d’aller le déposer à l’aide d’un pédipalpe dans l’orifice de la femelle. Pas de parade sexuelle non plus chez les opilions, obligatoire chez les araignées pour que le mâle ne se fasse pas manger par la femelle et puisse ajuster son transfert de sperme !

Ils ont et elles n’ont pas ….

Dans le paragraphe ci-dessus, nous avons déjà listé plusieurs attributs possédés par les opilions et absents chez les araignées où ils ont un équivalent différent. En plus, les mâles d’Opilions possèdent un pénis assez long : ils s’accouplent face à face et le pénis va s’introduire dans l’orifice de la femelle en passant entre ses chélicères ! Les femelles possèdent de leur côté un ovipositeur, un organe assez allongé qui leur permet d’insérer les œufs dans des endroits difficiles d’accès. Elles ne déposent évidemment jamais leurs œufs dans des cocons puisqu’elles n’ont pas de filières à soie.

Les Opilions ont un tubercule saillant sur le dessus du prosome qui porte les yeux : l’ocularium, comme une sorte de périscope. Ils possèdent deux glandes odorantes secrétant des substances répulsives complexes (dont des quinones) sur les côtés du prosome (le « thorax et la tête »). Si les pattes possèdent la même structure avec 7 segments principaux, celles des Opilions se distinguent par un tarse (l’article final) plus ou moins fortement subdivisé ce qui rallonge la patte et donne cet aspect si typique des Opilions surnommé en anglais Daddy longlegs. Mais attention, il existe quelques araignées qui ont aussi de longues pattes comme les Pholcus, hôtes très communs dans nos maisons. Les Opilions perdent facilement leurs pattes qui continuent à s’agiter à la manière de la queue des lézards (d’où le surnom de faucheux ou harvestman en anglais) mais elles ne sont pas régénérées ensuite. Leur corps est orné d’épines dures et de tubercules saillants.

On voit bien que la liste de ce qui sépare Opilions et Araignées dépasse de très loin ce qui les rapproche. Mais alors, direz-vous, si ce ne sont pas des Araignées, c’est quoi alors ? Facile : ce sont des Opilions, ni plus ni moins et ils sont uniques en leur « genre » au sein des Arachnides ! Arrêtons de « typifier » les êtres vivants en les ramenant à des grands modèles de création (tel que « l’araignée »), ce qui est un héritage culturel d’un mode de pensée ancien et imprégné de créationnisme. Regardons les pour ce qu’ils sont avec leur cortège d’originalités propres et acceptons que la diversité du vivant soit bien plus immense que ce que notre cerveau peut appréhender !

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BIBLIOGRAPHIE

  1. Guide des araignées d’Europe. D. Jones. Ed. Delachaux et Niestlé. 1983
  2. Phylogenomic Interrogation of Arachnida Reveals Systemic Conflicts in Phylogenetic Signal. Prashant P. Sharma, Stefan T. Kaluziak,Alicia R. Perez-Porro, Vanessa L. Gonzalez, Gustavo Hormiga, Ward C. Wheeler, and Gonzalo Giribet. Mol. Biol. Evol. Advance Access publication August 8, 2014.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les Arachnides
Page(s) : 306-309 Classification phylogénétique du vivant Tome 1 – 4ème édition revue et complétée
Retrouvez l'Opilion commun
Page(s) : 271 Le guide de la nature en ville