Nelumbo nucifera

 

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Le lotus sacré se reconnaît en tant que plante aquatique par ses énormes feuilles de 30 à 60cm de diamètre, soit flottantes, soit, plus souvent, dressées hors de l’eau sur un robuste pétiole atteignant 2m de haut et implanté en plein milieu de la feuille (feuille peltée). Outre leurs nervures rayonnantes et leur forme en bouclier concave, elles se distinguent aussi par leur coloration vert-bleuté et surtout leur aspect impeccable en toutes circonstances, sans poussières accrochées. Cette caractéristique a d’ailleurs valu au lotus d’attirer l’attention des religieux chinois : symbole d’élégance, de pureté, il pousse les pieds dans la vase mais reste sans aucune tache sur lui !

Un pouvoir autonettoyant

Cette capacité à ne rien retenir sur une grande surface pourtant presque à l’horizontale traduit le pouvoir autonettoyant des feuilles que l’on retrouve chez diverses autres plantes non apparentées comme les choux, les euphorbes épurges ou les yuccas. On les repère facilement de loin à l’aspect des gouttes restées accrochées après une pluie ou la rosée du matin : bombées, séparées les unes des autres en myriades de gouttelettes ou agglomérées en grosse goutte aux endroits creux (comme au centre de la feuille du lotus). Cet aspect des gouttes traduit le caractère superhydrophobe (« répulsif de l’eau ») de la surface de ces feuilles. Comme elles roulent très facilement, les gouttes sont d’une part vite évacuées vers les bords par le moindre souffle et elles entrainent au passage toute poussière ou salissure déposée sur la dite surface, avant de s’évaporer rapidement car elles font un effet loupe . Il ne faut pas confondre avec d’autres surfaces de feuilles dites hydrophiles où les gouttes se séparent mais en étant aplaties et étalées et recouvrant presque toute la surface comme on peut l’observer sur les feuilles de diverses plantes tropicales cultivées comme les Calathées, les Alocasias ou la Maranta dormeuse.

Mais le lotus sacré se détache nettement du lot par son excellence en ce domaine : comment fait-il et qu’à t’il de plus que les autres ?

Une surface micro-structurée

C’est essentiellement la face supérieure de la feuille, vert-bleutée et lisse (glauque dit-on en langage botanique) celle tournée vers la lumière et susceptible de recevoir de l’eau, qui possède cette qualité remarquable. Au microscope, l’épiderme supérieur apparaît couvert d’éléments en forme de papilles à tête assez fine (pas ronde), très serrées. Cette combinaison de forme et de densité particulières fait diminuer fortement la surface de contact de l’eau avec la feuille, qui de ce fait n’adhère pratiquement pas et a tendance à rouler. L’autre aspect qui explique la supériorité du lotus concerne l’hétérogénéité des papilles : des très courtes et des hautes se côtoient ; quand une goutte de rosée se dépose doucement, elle ne touche que les plus hautes papilles et roule immédiatement ; par contre, par forte pluie, les gouttes frappent fortement la feuille et s’enfoncent plus en avant mais elles buttent alors sur les petites papilles à la base desquelles se trouve emprisonnée une microcouche limite d’air, couche liée à la présence d’un revêtement particulier. Entre ces papilles qui hérissent donc littéralement la surface de la feuille, se trouve en effet un revêtement continu de tubules microscopiques très courts faits de cire hydrophobe qui génère une force répulsive.

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Les micro-papilles sont juste perceptibles avec une lumière rasante : elles structurent la face supérieure de la feuille

La « nano-forêt » de papilles assure en plus une protection efficace du revêtement cireux mou et fragile car elle intercepte les gouttes d’eau avant qu’elles n’impactent la couche de tubules. Les feuilles du lotus, de ce fait, restent impeccables jusqu’en automne où elles vont se dessécher et mourir. La pointe robuste mais fine des papilles renforce cet effet-parapluie. Ces microtubules (longs de 0,3 à 1 microns) sont eux aussi remarquablement denses : plus de 200 pour 10 micronmètres carrés ! D’ailleurs, quand on compare avec la face inférieure des feuilles, on note que leur revêtement cireux se compose de tubules plus longs et trois fois moins denses.

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Dessous de la feuille beaucoup moins hydrophobe

L’analyse chimique du revêtement cireux montre la prédominance (65%) d’un groupe d’alcools secondaires, des nonacosane-diols qui sont responsables de ces propriétés remarquables. Outre leur quantité, c’est tout autant la protection assurée par les papilles qui prolonge leur bon état et donc leur efficacité sur toute la saison végétative du lotus.

Quel intérêt pour le lotus ?

Au delà de l’aspect esthétique, certes agréable à l’œil humain, il faut s’interroger sur l’avantage adaptatif fourni par une tel dispositif aussi efficace. Le pouvoir autonettoyant évite l’accumulation de particules et diminue le risque de voir se développer sur ces larges feuilles presque plates toute une population de microorganismes pathogènes dont des champignons : les feuilles restent ainsi en pleine santé jusqu’au bout et assurent au maximum leur rôle nourricier via la photosynthèse.

Contrairement à ce qui se passe chez de nombreuses autres plantes, les feuilles du lotus ont leurs stomates (ces micro-ouvertures indispensables pour assurer les échanges gazeux pour la respiration et pour la photosynthèse) essentiellement concentrés sur le dessus de la feuille. Le revêtement cireux et les papilles empêchent la formation d’un film d’eau superficiel qui d’une part obturerait en partie ces stomates vitaux et d’autre part modifierait les échanges gazeux : le dioxyde de carbone prélevé à l’extérieur dans le cadre de la photosynthèse (et qui servira à élaborer des substances nutritives) diffuse 10 000 fois moins vite à travers de l’eau que directement à travers l’air ! Enfin, si la feuille vient à être temporairement submergée (remontée du niveau d’eau ou fort vent), le film d’air plaqué entre les papilles permet la poursuite des échanges gazeux par diffusion à travers cette couche intermédiaire.

Le pouvoir autonettoyant n’a rien d’un gadget du point de vue du lotus mais procure des avantages indéniables à sa survie.

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L’effet lotus

C’est en 1992 que des scientifiques ont pour la première fois mis en évidence la réalité physique de ce processus et l’ont baptisé effet-lotus. L’industrie s’en est vite emparée pour le copier selon le principe du biomimétisme, même si la fragilité des tubules de cire les rend impropres à une application technologique. Par contre, la mise en évidence des particularités du lotus (papilles hétérogènes, serrées, coniques mais fines au bout) a inspiré la création, entre autres, d’une peinture de façade (brevetée sous le nom de Lotusan) autonettoyante sous la pluie : la non adhérence des salissures naturelles évite d’avoir recours à des additifs destinés à tuer les algues ou les champignons susceptibles de s’installer … comme sur les feuilles du lotus.

On a d’ailleurs constaté à l’occasion d’essais industriels qu’une surface artificielle faite de micropiliers imitant des papilles tous de la même hauteur avait une efficacité moindre car les gouttes d’eau y adhèrent plus fortement. Le lotus échappe à ce problème, rappelons le, par l’hétérogénéité de ses papilles : des millions d’années de pression sélective ont conduit à l’élaboration de ce bijou de technologie vivante qu’est la feuille du lotus !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Superhydrophobicity in perfection: the outstanding properties of the lotus leaf. Hans J. Ensikat, Petra Ditsche-Kuru, Christoph Neinhuis and Wilhelm Barthlott. Beilstein J. Nanotechnol. 2011, 2, 152–161.
  2. Investigation on hydrophobicity of lotus leaf: Experiment and theory. Jiadao Wang, Haosheng Chen, Tao Sui, Ang Li, Darong Chen. Plant Science 176 (2009) 687–695
  3. Superhydrophobic and superhydrophilic plant surfaces: an inspiration for biomimetic materials. KERSTIN KOCH* AND WILHELM BARTHLOTT. Phil. Trans. R. Soc. A (2009) 367, 1487–1509
  4. Peinture Lotusan : http://www.sto.be/103527_FR-Brochures_FR-StoLotusan.htm.pdf

A retrouver dans nos ouvrages

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