Qui n’a pas remarqué sur les côtes atlantiques, surtout après les tempêtes, la diversité et la quantité de débris échoués sur les plages au premier rang desquels figurent les plastiques de toutes sortes. Ils reflètent l’ampleur de cette pollution flottante qui dérive en mer au gré des courants.

Les fous de Bassan qui nichent en immenses colonies sur des rochers ou des falaises maritimes bâtissent une plateforme de débris végétaux (des algues) recueillis en pleine mer et amassés sur le site de nid.

Or, depuis plusieurs décennies, on observe une utilisation croissante de plastiques comme matériaux des nids. Plusieurs études ont exploré ce phénomène et apportent un précieux éclairage sur cette forme de pollution.

Terre-Neuve ; 1990

Deux grosses colonies de l’île de Terre-Neuve sont inspectées au niveau des nids construits (1) ; le verdict est saisissant : 97% des nids inventoriés contenaient des plastiques ! La répartition des différents types de plastiques apporte un éclairage sur les sources : dans 78% des cas, il s’agit de matériel de pêche (filets, cordages, lignes) ; dans 12% des cas, on trouve des sangles de colis en plastique ; enfin, dans 10%, ce sont des plastiques durs ou des morceaux de sacs plastiques. Les auteurs ajoutent une liste « à la Prévert » d’objets plastiques insolites trouvés à l’unité : préservatif ; pailles en plastique ; applicateur de tampon féminin ; couvercle de boîte de margarine ; sac à oignons ; tube de dentifrice ; ….

Cette pratique fournit donc indirectement une indication sur l’état de pollution par les plastiques flottants de l’environnement immédiat des colonies (la zone de pêche des oiseaux). Des observations conduites en 1972 sur la colonie de Bass Rock près d’Edimbourg en Ecosse indiquaient seulement 25% des nids avec des plastiques incorporés.

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Les débris de filets plastiques peuvent s’avérer redoutables pour les oiseaux en s’emmêlant dans les pattes ou les ailes.

Par contre, on ne pourra guère utiliser la proportion de nids « plastifiés » comme indicateur futur dans l’hypothèse d’une baisse de cette pollution car les nids persistent très longtemps (seulement 5% sont détruits chaque année) et vu la longévité moyenne des plastiques, leur présence va persister très longtemps même si la source se tarissait.

Pays de Galles ; 2011

Sur la colonie de Grassholm au Pays de Galles qui compte 40 000 couples, des nids entiers ont été prélevés en automne et analysés en détail (2). Certains d’entre eux pesaient jusqu’à 30 kg ce qui en dit long sur les quantités de matériaux accumulées au fil des ans. L’étude révèle la présence en moyenne (mais avec une très forte variabilité) de presque 500g de plastiques divers par nid. Les matériaux plastiques se répartissent en 83% de cordages, 15% de filets, 2% d’emballages et 1% de divers. Là encore, le matériel de pêche prédomine largement. Rapportée à l’ensemble de la colonie, l’estimation aboutit à une fourchette entre 5 et 50 tonnes de plastiques dans les nids de la colonie !

La comparaison avec les échouages de plastiques sur les plages semble indiquer une certaine sélection de la part des fous (à moins que tous les matériaux ne dérivent pas de la même manière) : les cordages qui représentent 20 à 30% des échouages de plastiques sur les plages dépassent les 80% dans les nids des fous ; à l’inverse, les filets présents à 50% sur les plages ne représentent que 15% des plastiques des nids.

Un lien direct avec la pression de pêche

Au Canada, au début des années 1990, un moratoire a conduit à l’arrêt de la pêche à la morue (suite à l’effondrement des populations) sur une très vaste zone englobant l’île de Terre-Neuve qui abrite deux colonies (Funk Island et Cape St Mary’s). Une étude (3) a comparé les proportions de nids incorporant des plastiques avant et après cette interdiction. Elle montre globalement une nette diminution : ainsi, sur la colonie de Funk Island, on est passé de 76% de nids avec des plastiques en 1989 à 35% en 2007. D’autre part, les auteurs ont pu montrer une relation exponentielle entre l’utilisation de filets maillants (notamment pour la pêche au saumon) et la proportion de nids contaminés. Avec 20 000 filets maillants en service, on peut prédire que 75% des nids seront impactés.

Une troisième colonie située près de l’embouchure du Saint-Laurent (île de Bonaventure), dans le même secteur mais près d’une zone très peu pêchée, voit la proportion de nids avec des débris plastiques stagner à … 2% avec la moitié des débris liés à la pêche.

La pêche industrielle apparaît donc en tête comme source majeure de plastiques flottants en mer, d’autant qu’elle se concentre sur des zones riches en poissons, celles là justement choisies par les oiseaux de mer. Diverses observations pointent par ailleurs des risques de mortalité pour les jeunes fous sur les nids ou les adultes lors de leurs plongées en mer qui s’emmêlent dans ces débris. Cet aspect fera l’objet d’une autre chronique.

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Fou de Bassan trouvé mort sur une plage de Vendée avec une trace de blessure à l’aile peut-être causée par un morceau de filet

BIBLIOGRAPHIE

  1. Incidence and types of plastic in gannets’ nests in the northwest Atlantic. Can. J. Zool. 69: 295-297. MONTEVECCHWI., A. 1991.
  2. The use of plastic debris as nesting material by a colonial seabird and associated entanglement mortality. Stephen C. Votier, Kirsten Archibald, Greg Morgan, Lisa Morgan. Marine Pollution Bulletin 62 (2011) 168–172
  3. Prevalence and composition of fishing gear debris in the nests of northern gannets (Morus bassanus) are related to fishing effort. Alexander L. Bond, William A. Montevecchi, Nils Guse, Paul M. Regular, Stefan Garthe, Jean-François Rail. Marine Pollution Bulletin 64 (2012) 907–911

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le fou de Bassan
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